Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Retraites : les pistes du Laboratoire de l’Égalité pour que la réforme soit plus juste pour les femmes
L’association Le Laboratoire de l’Égalité, qui défend l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, accuse le projet de réforme des retraites de pénaliser les femmes. Elle propose des axes de travail pour y remédier.
« Alors que l’égalité entre les femmes et les hommes jouit du statut de Grande cause nationale, on était en droit d’espérer que la réforme des retraites serait l’occasion de traduire ce slogan en actes… Hélas, force est de constater que c’est loin d’être le cas. Si certain.e.s n’hésitent pas à parler d’une « réforme anti-femmes », dont le seul but serait de « redresser les finances publiques, pas de soulager les femmes », le ministre des relations avec le Parlement ne laisse aucune place au doute sur le fait que « les femmes sont un peu plus impactées que les hommes » par le report de l’âge légal à la retraite à 64 ans.
Ce projet de réforme des retraites fait peser de nombreuses incertitudes sur l’avenir des Françaises, et confirme dans le même temps la fragilité de la situation des femmes aujourd’hui. Une situation aggravée par les effets secondaires de la crise sanitaire, qui minent la vie quotidienne et la santé des femmes, dans leur foyer et leur travail…
Des inégalités qui persistent au fil du temps …
Aujourd’hui encore, en moyenne, le montant des pensions de droit direct des hommes est supérieur de 63 % à celui des femmes*. Une inégalité qui reflète l’absence chronique de prise en compte des spécificités de genre dans le système de retraite actuel… Les effets de ce biais, toléré par le législateur, ont à peine été compensés par la lente élaboration d’un système où l’amélioration globale des pensions a mécaniquement profité aux femmes.
Tout d’abord par l’instauration de droits associés à la maternité et de pensions de réversion. Puis par l’adoption de mesures destinées à améliorer le niveau de vie des retraité.e.s, dont celui des femmes, en même temps qu’elles obtenaient un statut indépendant de celui de leur mari et une plénitude de droits civiques et civils. Enfin, par la progressive revalorisation des pensions de réversion, qui ont cependant encore du mal à évoluer au même rythme que celui de la transformation des familles.
…Et un rendez-vous manqué
La complexité et la sensibilité de la réforme des retraites impose de traiter plusieurs enjeux et de relever de nombreux défis, ce qu’expert.e.s et communicant.e.s n’ont cessé de faire au cours des derniers mois. Toutes et tous ont été unanimes sur le fait que la réforme du régime de retraites des femmes pourrait constituer un marqueur de la justesse du projet dans son ensemble.
La réforme ne peut, à elle seule, contrebalancer les inégalités qui demeurent entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, en particulier celles qui concernent les salaires, y compris pour des postes équivalents. Elle pourrait cependant contribuer à rendre l’accès à la retraite plus équitable. Les mesures annoncées ne produiront malheureusement pas cet effet.
Une réforme qui doit évoluer pour éviter de nouvelles injustices envers les femmes
Depuis plus de 10 ans, le Laboratoire de l’Égalité s’est engagé dans la construction d’une culture de l’égalité pour mettre fin aux discriminations qui frappent les femmes qui travaillent. Dans plusieurs domaines, nos initiatives ont contribué à déconstruire les stéréotypes attachés aux salaires, au partage des responsabilités, à l’accès à certains métiers genrés… Aujourd’hui, nous considérons que certaines dispositions du projet de réforme pérennisent dangereusement les inégalités :
- le report du départ en retraite à 64 ans entrainerait en moyenne 7 mois de travail supplémentaires pour les femmes, contre 5 pour les hommes,
- le minimum de pension de 1.200 € serait inopérant pour la plupart des femmes, compte tenu de la condition de « carrière complète », •
- la prise en compte des périodes de congé parental, dans le calcul des carrières longues et celui de la pension, ne devrait profiter qu’à 3.000 femmes par an seulement…
Nos travaux et nos réflexions ont fait émerger 4 axes d’évolutions majeurs à intégrer au projet pour que cette réforme puisse avoir un impact réel et positif en faveur des femmes :
- l’ajout d’une mesure concernant le temps partiel, notamment pour les métiers les plus féminisés, où ce statut est souvent subi, en prévoyant une compensation de cotisation à temps plein par l’État et ou par l’employeur,
- la redéfinition de l’ensemble des critères de pénibilité, physiques et psychologiques, auxquels les femmes sont particulièrement exposées ;
- l’intégration de critères concernant les spécificités du travail des femmes dans « l’Index seniors », sans lesquels la prise en compte de l’allongement des durées de cotisations dans les politiques de ressources humaines ne sera pas équitable;
- la prise en considération du temps partiel et de son impact dans le calcul des écarts de rémunération de « l’Index égalité femmes-hommes ».
Au-delà de ces évolutions nécessaires, nous plaidons pour que ce projet soit accompagné d’une réforme en profondeur de la classification des emplois, afin de mieux valoriser financièrement les compétences des emplois principalement tenus par des femmes et de prendre en compte leur pénibilité physique et psychologique.
Le Laboratoire de l’Égalité, pleinement investi sur le sujet, souhaite faire entendre sa voix dans la lutte contre les discriminations qui menacent encore aujourd’hui l’avenir des femmes et celui de leurs filles… et nous ne souhaitons pas oublier la recommandation – plus que jamais d’actualité – de Simone de Beauvoir, selon laquelle « ces droits (des femmes) ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant » ! »