Articles récents \ France \ Économie Lancement de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes
Le 2 février se tenait au Crédit Municipal de Paris le lancement de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, suivi de la prépublication de la note #2 « La dépendance économique des femmes, une affaire d’Etat ? » Organisée avec la Fondation des Femmes, la conférence regroupait Anne-Cécile Mailfert, Marie-Pierre Rixain, Lucile Quillet, Anna Matteoli, Lucile Peytavin, et Nadia Chekkouri.
Le rapport fait suite à une première note rédigée il y a quatre mois, et cible cette fois-ci l’(in)égalité économique et financière au sein des couples hétérosexuels. Invitée pour expliquer les mécanismes économiques qui entravent les femmes dans leur indépendance, Nadia Chekkouri, directrice adjointe de l’Accompagnement budgétaire du Crédit municipal de Paris, rappelle que le dispositif d’accompagnement budgétaire mis en place compte un tiers d’hommes, et deux tiers de femmes. Les spécificités de la fiscalité française sont décortiquées afin de cibler le lien entre inégalités de genre et inégalités économiques.
Cette note a été rédigée par l’historienne Lucile Peytavin et la journaliste Lucile Quillet. Elles rappellent que si certains progrès sur cette thématique sont à relever, comme la dé-conjugalisation de l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés, effective le 1er octobre 2023), beaucoup d’aides étatiques essentielles fonctionnent sur le principe de la conjugalisation et de la familiarisation, c’est-à-dire qu’elles sont supprimées dès lors que mariage ou pacs est contracté avec un.e partenaire bénéficiant de revenus financiers plus élevés que soi. Or, 75% de femmes engagées dans un couple hétérosexuel gagnent moins que leur conjoint, pour un écart moyen de salaire de 42% entre une femme et son mari. « L’Etat fait un cadeau fiscal aux hommes, au détriment des femmes, et se fait une marge sur les aides qu’il est censé verser » déclare Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. « C’est un continuum physique des violences physiques et économiques, qui se nourrissent les unes entre les autres », appuie Lucile Quillet, « l’Etat part du principe que le couple est loyal et solidaire », une solidarité supposée dans laquelle la femme est souvent enchaînée au foyer, dès le mariage, et en paie en plus les frais. Marie-Pierre Rixain, députée Renaissance engagée dans la cause des femmes participait au débat.
Les aides du RSA, des APL, et les primes d’activités qui diminuent si le conjoint « gagne trop », c’est-à-dire qu’il gagne plus que sa conjointe, révèlent en réalité d’un fonctionnement très patriarcal et très hiérarchisant de la fiscalité des ménages : ces mécanismes suggèrent que lorsqu’une femme se marie, elle est placée sous la protection économique de son conjoint, qui prendra alors en charge ses besoins et ses coûts. C’est ce qui expliquerait qu’elle n’a ainsi plus besoin des aides financières de l’Etat, mais d’avantage, qu’elle est entretenue, donc dépendante de l’homme dans le couple. « On inculque aux femmes qu’elles ne sont rien hors du couple, qu’elles n’existent qu’à travers », souligne Anna Matteoli, directrice du CIDFF (1) du Bas-Rhin : ces inégalités multiformes fonctionnent en s’imbriquant les unes avec les autres. Le système fiscal français, par sa conjugalité, matérialise l’infériorité sociale des femmes, empêche leur indépendance économique, et les astreint à la sphère privée du foyer. C’est une vision « très patriarcale et très surannée » du couple, surtout lorsque l’on ajoute les quantités de travail domestique non rémunéré que les femmes réalisent au sein ménage, et qui bien souvent, sont une condition indispensable à la réussite professionnelle de l’homme : « On crée de la redevabilité, cela justifie qu’une femme arrête de travailler et se consacre au foyer, alors que c’est le travail des femmes qui entretient les hommes et la société. Les femmes sont les salariées invisibles de l’Etat» ajoute Anne-Cécile Mailfert.
Le système fiscal français est dit « familiariste », c’est-à-dire qu’il favorise celui qui gagne le plus ( très souvent l’homme), et pénalise celles qui gagnent moins. En moyenne, c’est une baisse de 13 points d’impôts dont bénéficient les hommes mariés, et une augmentation de 6 points pour les femmes. C’est un système qui maintient, mais surtout récompense les écarts salariaux et fiscaux. Anne-Cécile Mailfert insiste sur l’importance d’informer qu’il est aujourd’hui possible pour une femme de demander une imposition à taux individualisé, ce qui permet de bénéficier d’une taxation plus juste, mais aussi de préserver son indépendance économique. La conjugalisation de l’impôt crée dans les faits des mécanismes de dépendance de la femme envers son conjoint, bloque son accès à l’emploi, et perpétue une hiérarchisation sur plusieurs plans de sa vie privée.
La France est l’un des derniers pays d’Europe à appliquer cette forme patriarcale, archaïque et napoléonienne d’imposition. Outre l’individualisation de l’impôt, solution partielle mais bénéfique et à portée de main, la conclusion rendue est la nécessité d’ouvrir un véritable débat sur les fondements du système fiscal français, « un débat sur la modernisation des règles administratives et fiscales afin qu’elles ressemblent de façon plus juste à la société française d’aujourd’hui » selon la note numéro 2.
Thelma de Saint Albin 50-50 Magazine
1 La Fédération Nationale des Centres d’Information des Droits des Femmes et des Familles tient 2300 permanences en France.
Lire plus Note de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, « La dépendance économique des femmes, une affaire d’Etat ? Comment le patriarcat économique de l’état dépossède les femmes de leur indépendance économique. »