Articles récents \ France \ Société Aicha Haccoun : « Etant donné que l’hôpital a des difficultés à recruter, il fait appel à une start-up »
Aicha Haccoun est infirmière au service d’endocrinologie de l’Hôpital Saint-Antoine dans le 12ème arrondissement de Paris. Elle exerce ce métier depuis près de quarante ans et constate la dégradation des conditions de travail au fil du temps. Elle occupe également le poste de secrétaire CGT médecins, ingénieur·es, cadres, technicien·ne. Ce rôle lui permet de lutter pour les droits des soignant·es et de faire entendre leurs voix.
Le 22 septembre 2022, des soignant·es et des militant·es se sont réuni·es devant l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, pour manifester. Aicha Haccoun prend la parole pour faire un état des lieux de la situation à l’hôpital : environ 120 lits fermés, notamment dans des services importants au sein de Saint-Antoine, comme le service de cardiologie, la chirurgie digestive, l’hématologie, l’oncologie ou la psychiatrie. 50 postes d’infirmières/infirmiers sont vacants, ainsi que des postes d’aides soignant·es et 12 postes d’assistant·es sociales/sociaux. La liste n’est pas exhaustive et ce bilan ne concerne qu’un seul hôpital, parmi des dizaines à Paris et des centaines en France.
Les personnes présentes lors de ce rassemblement témoignent de l’épuisement face aux conditions de travail dans lesquelles elles se trouvent. Elles déplorent le manque d’humanité et les contraintes qui leur sont imposées, qui passent à la fois par des services de 12 heures, ainsi que la nécessité de fournir un travail administratif alors même qu’elles peinent à réaliser leur travail de soignant·es. En mars 2022, le média Reporterre soulignait que depuis le début de la pandémie, les hôpitaux étaient également touchés par de nombreuses démissions du personnel soignant, passant de 10 000 postes vacants à 60 000.
Comment se met en place votre rôle de secrétaire CGT au sein de l’hôpital Saint-Antoine ?
L’objectif de la CGT est de se battre pour améliorer les conditions de travail du personnel hospitalier et la prise en charge des patient·es, mais aussi d’améliorer l’offre de soins au niveau de notre arrondissement et, plus largement, dans l’ensemble de la région parisienne.
Pourquoi avoir choisi de vous syndiquer ?
Je me suis vite rendu compte qu’on se faisait avoir lorsqu’on ne connaissait pas ses droits. J’ai d’abord été militante et j’ai pris conscience qu’au sein de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP), nous manquions de considération, voire que nous étions maltraité·es par cette institution. Je me suis syndiquée pour défendre les droits des salarié·es, je porte en moi ce combat.
Constatez-vous une dégradation des conditions de travail à l’hôpital et, par conséquent, des soins apportés aux patient·es ces dernières années ?
Oui. Nous pensions que le Covid, qui a mis en lumière la nécessité vitale des services de santé et des hôpitaux, allait modifier les comportements de toutes/tous. Mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé, bien au contraire. Nous vivons le calvaire dans nos services. J’emploie ce mot pour souligner la gravité de la situation. Aujourd’hui, en plus d’être fatigué·es, mes collègues et moi sommes dégouté·es de ce qui nous arrive. On nous avait dit que ça allait changer, mais ce qui a changé c’est nos conditions de travail, qui se dégradent de plus en plus. Nous manquons de personnel, il y a beaucoup de personnes qui partent, qui démissionnent et nous ne sommes pas capables de les retenir. On nous demande aussi de faire des économies. Nous souffrons de ces mauvaises conditions de travail et on nous dit qu’il va falloir travailler plus. Il manque du personnel donc on nous harcèle pour faire des heures supplémentaires. Nos plannings sont tout le temps changés, on nous appelle sur nos jours de repos, à la maison, pour venir travailler parce qu’il manque du monde. On nous impose des services de 12 heures à cause du manque de personnel et une alternance jour/nuit va peut-être être mise en place. À la CGT, nous allons lutter contre ce projet, mais c’est ce qui se profile pour les soignant·es.
Les conditions de travail se sont dégradées et elles continuent à se dégrader. Le personnel et les patient·es en souffrent. Il y a moins de soignant·es auprès d’elles/eux parce qu’on court tout le temps. Elles/ils sont moins bien soigné·es et moins bien pris·es en charge, on les fait sortir rapidement parce qu’on a besoin de lits. Les patient·es partent alors qu’elles/ils ne se sentent pas en sécurité. Certain·es reviennent quelques jours après parce qu’elles/ils ne se sentent pas bien et que leur sortie était prématurée, pour faire des économies. On les laisse se débrouiller seul·es à la maison, parce que les soignant·es libérales/libéraux en charge des soins après la sortie de l’hôpital n’ont pas de bonnes conditions de travail non plus. Etant donné que l’hôpital a des difficultés à recruter, il fait appel à une start-up, Noé, qui est un projet mis en place par Martin Hirsch, l’ancien directeur de l’APHP, et de son successeur, Nicolas Rivel. Noé s’occupe de la sortie des patient·es, parfois précoce, sans proposer de réel accompagnement et au détriment de leur santé, contrairement au service social de l’hôpital, qui est compétent dans ce domaine. Cela peut relever d’une forme de maltraitance des patient·es qui ne sont pas pris·es en charge et peuvent être en danger. Noé est déjà en place dans certains hôpitaux parisiens, comme l’hôpital Cochin. Il ne devait pas être mis en place à Saint-Antoine, mais étant donné qu’il manque 12 assistant·es social·es, il est probable que le projet soit également appliqué à cet hôpital. La seule école de l’APHP qui formait les assistantes sociales a été fermée par monsieur Hirsch et on se retrouve en difficulté. Pour faire face à ce manque de personnel, elles/ils font appel à des start-up, qui vont toucher de l’argent de la Sécurité sociale, sur le dos des patient·es à hauteur de 150 et 200 euros par patient·e qui sort de l’hôpital.
Face à ces situations, est-ce que l’administration vous soutient ?
Non, on ne nous soutient pas. L’administration applique les règles et reçoit des primes pour faire des économies sur le matériel et sur le personnel. Les directions ne nous soutiennent pas et c’est bien là le problème.
Et à l’extérieur, avez-vous des soutiens de la part des syndicats ou des politiques ?
La CGT dans son ensemble nous soutient, elle défend le pouvoir d’achat et les augmentations de salaires, l’amélioration des conditions de travail, notamment en revendiquant la semaine de 32 heures. Nous avons aussi le soutien de certains partis politiques, comme les partis de gauche. Mais les autres, nous ne les entendons pas ou bien ils réduisent nos droits. Les Républicains préconisent la fermeture des hôpitaux publics au profit du privé et souhaitent mettre en place la semaine de 40 heures, alors que nous demandons la semaine de 32 heures. Ce n’est pas auprès d’elles/eux que nous cherchons du soutien. La majorité ne nous soutient pas non plus. C’est elles/eux qui mettent en place les réformes et on a bien compris qu’Emmanuel Macron voulait privatiser davantage. Et le Rassemblement National est présent sur les plateaux télévisés mais elles/ils ne prennent pas la défense de l’hôpital public.
Avez-vous des moyens de pression ?
On peut faire la grève, mais malheureusement au sein de nos établissements c’est compliqué. Les soignant·es ont encore la vocation d’aider les patient·es et de les accompagner et pour elles/eux, c’est difficile de se mettre en grève parce qu’elles/ils pensent aux patient·es d’abord, avant de penser à elles/eux-mêmes. C’est pour cette raison qu’on a du mal à se faire entendre. En plus, à cause du manque d’effectifs, les soignant·es sont réquisitionné·es tout de suite et pour elles/eux, être en grève en étant réquisitionné c’est comme ne rien faire. Donc elles/ils ne se positionnent même plus en tant que grévistes, car elles/ils savent qu’elles/ils seront réquisitionné·es. C’est pas la volonté qui manque, mais les conditions de travail rendent la grève compliquée et le fait de laisser les malades sans soins est difficile à accepter.
Dans ce cas, comment faire en sorte que vos revendications soient entendues ?
Ce qui serait intéressant, c’est que la population nous soutienne, qu’elle soit présente aux côtés des soignant·es, que la population demande des comptes au gouvernement. C’est la population qui est la première à être touchée par toutes ces réformes. Si demain il n’y a plus d’hôpitaux publics et qu’il faut payer l’accès aux soins, c’est elle qui en subira les conséquences. Il faut qu’on se batte pour que tout le monde soit soigné, peu importe ses conditions sociales ou la zone géographique où l’on vit. On attend davantage d’implication de la part de la population, parce que c’est important pour l’ensemble de la société.
Vous sentez-vous moins considérées en tant que femme dans le milieu hospitalier ?
Oui, nous sommes mal considérées par la direction parce que nous sommes des femmes et que nous avons des obligations familiales. Nous sommes davantage maltraitées que nos collègues infirmiers, d’autant plus que nous, quand nos enfants sont malades, nous nous arrêtons, quand nous sommes enceinte, nous nous arrêtons. Je considère qu’il y a une forme de discrimination par rapport à nos collègues infirmiers. Il n’y a pas de différences de salaires entre les infirmiers et les infirmières, mais les salaires sont faibles par rapport à nos qualifications et je pense que c’est lié au fait qu’il s’agit d’un métier majoritairement féminin. S’il s’agissait d’une profession masculine, les salaires seraient sans doute plus élevés.
Il y a aussi des comportements sexistes de la part de l’équipe médicale. Cela se traduit par des propos sexistes. Plus jeune, j’ai travaillé au service ORL, où il y avait des remarques de la part de chirurgiens sur notre manière d’être habillées, d’être maquillées et parfois des gestes non-sollicités comme des mains baladeuses. Je pense que ces situations doivent encore arriver, les médecins les plus âgés peuvent encore avoir ce type de comportement. C’est moins le cas des jeunes médecins, cela a changé. Mais je pense que cela existe encore un peu.
Des choses sont-elles mises en place pour limiter les comportements sexistes de la part du personnel hospitalier ?
Normalement, il devrait y avoir une sorte de commission sur les violences sexistes et sexuelles mise en place au sein de l’hôpital. Mais ce n’est pas vraiment le cas dans nos établissements. Certains hommes ont des comportements déplacés, qu’il s’agisse de gestes ou de paroles, et ils ne sont pas recadrés ou sanctionnés, en particulier lorsqu’ils sont cadres ou médecins. En revanche, il y a parfois des rappels à l’ordre du personnel paramédical. Même dans ces circonstances, il y a une hiérarchie qui s’installe selon la place que l’on occupe.
Portez-vous des revendications pour un meilleur traitement des femmes qui travaillent à l’hôpital ?
Dans un monde où les hommes et les femmes travaillent, je pense qu’il est important d’avoir une égalité de traitement. Cette égalité n’est pas effective aujourd’hui. Certains comportements sont inacceptables et sont couverts par la direction. Il n’y a pas de mouvement qui permettrait de dénoncer les violences sexistes et sexuelles au sein de l’APHP ou à l’échelle nationale. Une infirmière de Saint-Antoine a vécu des violences sexistes et sexuelles de la part d’un médecin. Elle a porté plainte, mais au départ la direction voulait étouffer l’affaire. Cette infirmière nous a parlé de ce qu’elle avait vécu et nous avons demandé à la direction de réagir face à cette situation. Le médecin en question a été mis en arrêt pendant quelques mois, avant de changer d’hôpital. Mais il y a une affaire en justice à ce sujet.
Comment envisagez-vous le futur proche de l’hôpital et des services de santé ?
Les soignant·es sont toujours mobilisées mais elles/ils sont à bout de souffle. S’il n’y a pas de sursaut de la population et des politiques, nous allons nous retrouver face à un scandale sanitaire dans les mois ou les années à venir. Il y aura beaucoup de mort·es sur le territoire et il faudra demander au gouvernement de rendre des comptes.
Propos recueillis par Emilie Gain 50-50 Magazine
Article déjà publié le 6 octobre 2022