Articles récents \ France \ Économie Si nous avions un milliard contre les violences…?
À l’occasion des premières Assises nationales de lutte contre les violences sexistes qui ont eu lieu les 25 et 26 novembre 2022 à Nantes, la militante féministe Caroline De Haas interpelle le public à travers un plaidoyer intitulé “Si nous avions un milliard contre les violences… ?”.
Le discours de Caroline De Haas (1) prend une forme originale et pourrait être qualifié de monologue théâtral : elle endosse le rôle de nouvelle Présidente de la République, élue en 2027. Elle simule un live Instagram accessible à tout·es dans le but d’échanger autour de mesures mises en place par son gouvernement fictif pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.
À travers cette mise en scène, la militante féministe met en lumière les changements politiques qui pourraient s’opérer dès 2027 en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Cette prise de parole est également l’occasion de rappeler les ressources déjà existantes pour lutter contre les VSS en France.
Ce plaidoyer fait écho à un autre discours des assises, celui de l’autrice, consultante et formatrice sur l’égalité femmes/hommes Margaux Collet, qui aborde les moyens financiers et humains mis en place en Espagne pour lutter contre les violences faites aux femmes, qui dépassent grandement les moyens français. En effet, en 2017, le gouvernement espagnol instaure un Pacte d’Etat qui prévoit 290 mesures contre les violences de genre sur cinq ans, avec des commissions et indicateurs de suivi et, surtout, un budget d’un milliard d’euros supplémentaire réparti sur cinq ans permettrait de financer ces mesures.
Pourquoi les violences sexistes et sexuelles doivent elles devenir une lutte prioritaire en France ?
Caroline De Haas souligne l’omniprésence des VSS à travers des chiffres et des statistiques. Elle rappelle que 82% des femmes en France ont déjà été confrontées à des décisions ou des comportements sexistes dans le cadre professionnel, quels que soient les domaines. Parmi elles, 32% ont déjà été victimes de harcèlement sexuel ou d’agressions sexuelles au travail. Par ailleurs, plus d’un million de femmes sont victimes d’injures sexistes chaque année. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ainsi que l’INED relèvent que 553 000 femmes sont victimes d’agressions sexuelles chaque année en France et que 12% des femmes ont déjà subi un viol. De plus, les femmes qui sont à l’intersection de plusieurs minorités sont d’autant plus victimes de violences. Il s’agit par exemple d’islamophobie ou de grossophobie.
Les enfants sont également victimes de violences. Dans le cadre de violences conjugales, on parle aujourd’hui de co-victimes, car elles/ils sont également sujet aux violences, physiques ou psychologiques. Par ailleurs, 10% de la population française a été victime d’inceste.
Ces chiffres montrent le caractère systémique des violences de genre et la nécessité d’agir de manière rapide et efficace pour lutter contre les VSS.
Quel budget pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?
Pour Caroline de Haas, la lutte contre les VSS doit s’appuyer sur les travaux des chercheur·es et des associations féministes qui ont travaillé sur ce sujet. Elle cite ainsi le rapport publié en 2018 par la Fondation des femmes et le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), Où est l’argent contres les violences faites aux femmes ?, qui conclut qu’un budget minimum de 506 millions d’euros dédié à la lutte contre les VSS permettrait de mettre en place des politiques publiques ambitieuses pour en finir avec les violences.
Un milliard d’euros, c’est le budget dédié à la lutte pour l’égalité de genre en Espagne. Cela peut sembler être un budget conséquent, pourtant, Caroline De Haas rappelle que les dépenses de l’Etat français sont d’au moins 300 milliards d’euros chaque année, dont plus de la moitié est destinée aux aides aux entreprises.
Le budget du ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances sera de 57,7 millions d’euros en 2023 tandis qu’il était de 30 millions d’euros en 2018. Même si ce budget a presque doublé en cinq ans, nous sommes encore loin du milliard d’euros.
Ce plaidoyer est l’occasion pour la féministe de questionner l’état actuel de la lutte contre les VSS, la Grande cause du quinquennat du Président Macron. Aujourd’hui, la lutte contre les VSS intervient généralement après que les violences aient eu lieu, par le biais de sanctions pénales. Pour Caroline De Haas, la lutte contre les violences doit s’opérer en amont de celles-ci, pour les limiter voire, dans l’idéal, les faire disparaître. Ainsi, la prévention devrait avoir une place majeure dans la lutte contre les VSS. Plusieurs outils peuvent être mis en place pour cela.
Comment lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?
À l’école…
La lutte contre les VSS passe avant tout par l’éducation, et ce dès le plus jeune âge. C’est sans doute l’un des messages les plus importants de ces Assises nationales.
Tout d’abord, il faut donc assurer la mise en place de séances d’éducation à l’égalité et à la sexualité à l’école. En effet, si ces séances sont obligatoires depuis plusieurs années, il n’est pas rare qu’elles ne soient que partiellement proposées aux élèves ou qu’elles n’aient pas lieu. Établir une sorte de certificat ou d’attestation de non-violences pourrait permettre de mettre en lumière l’importance de cette lutte dès le plus jeune âge. Caroline De Haas compare ce projet à l’Attestation scolaire de sécurité routière (ASSR) qui est obligatoire pour s’inscrire à l’examen du code de la route et au permis de conduire. L’ASSR coûte environ 60 millions d’euros à l’Etat chaque année, ce qui est une somme marginale dans le budget annuel de 300 milliards d’euros mentionné plus haut. Ainsi, il est possible d’imaginer que la formation à la non-violence ne représenterait pas un budget colossal, tandis qu’il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique.
Dans le monde du travail…
La lutte contre les VSS passe également par le Code du travail. L’article L11-53-1 alinéa 5 du Code du Travail dispose que “ l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. ” Néanmoins, cette loi semble peu appliquée dans le monde du travail, qu’il s’agisse des entreprises privées ou de la fonction publique où elle est également censée être effective. Pour garantir son application, il est nécessaire que des contrôles extérieurs soient effectués. Aujourd’hui, la France compte moins de 2 000 inspectrices/inspecteurs du travail pour plusieurs milliers d’entreprises. Recruter et former des inspectrices/inspecteurs du travail représenterait 40 millions d’euros par an.
Dans le milieu médical et dans la société dans son ensemble…
Il est également crucial de former des professionnel·les, notamment les professionnel·les de santé, afin qu’elles/ils puissent détecter les problèmes de violences, voire leurs prémisses pour les endiguer. Comme d’autres intervenant.es des Assises nationales, Caroline De Haas souligne l’importance de demander à une personne si elle subit des violences dans sa vie. C’est notamment sur ce point qu’ont insisté Isabelle Derrendinger, Présidente du Conseil National de l’Ordre des sages-femmes et directrice de l’école de sages-femmes de Nantes et Richard Matis, Président de Gynécologie Sans Frontières, au cours de leur conférence intitulée “ Repérer les victimes de violences, tout le monde peut agir : l’exemple du corps médical ”. En effet, cette simple question peut permettre d’ouvrir le dialogue et de mettre en place un soutien pour les personnes qui subissent des violences.
Enfin, il est fondamental de mettre en place des campagnes de prévention qui ne seraient pas adressées aux victimes ou aux personnes violentes, mais à l’entourage des victimes, qui peut intervenir pour lutter contre les VSS et le sexisme grâce à des outils.
Encore une fois, Caroline De Haas prend l’exemple de la sécurité routière. Si les campagnes de prévention à destination des piétons ou des personnes qui roulaient trop vite n’ont pas été efficaces, c’est la prévention qui sensibilise l’entourage aux dangers de la route qui a permis de faire évoluer les mentalités sur la sécurité routière. En 20 ans, le nombre de victimes d’accidents de la route a été divisé par trois, passant de 8 200 à 3 000 victimes par an entre 2002 et 2021.
Prendre en charge les violences sexistes et sexuelles
L’un des enjeux majeurs de la lutte contre les VSS est leur prise en charge : 400 millions d’euros sont nécessaires pour garantir un accueil pour les femmes victimes de violences dans tous les départements. Une partie de ce budget serait dédiée aux associations féministes qui pourraient ainsi effectuer leurs missions dans de bonnes conditions. 400 millions d’euros permettrait également de garantir un hébergement aux femmes victimes de violences. L’hébergement inclut la réinsertion de ces femmes, mais aussi un accompagnement social et psychologique, souvent nécessaire à la suite de violences.
La protection de l’enfance est une autre priorité. Il faut améliorer la prise en charge des enfants victimes de violences et leur offrir un accueil dans des lieux sécurisés.
De plus, former les professionel·les de santé pour qu’elles/ils soient en mesure de détecter les violences subis par les femmes et les enfants est fondamental. Dans cette idée, renforcer le déploiement de l’ordonnance de protection est crucial, afin de protéger les femmes victimes de violences sans qu’elles n’aient à porter plainte.
Repenser les institutions pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles : un grand pas vers l’égalité de genre
Caroline De Haas considère que les institutions sont structurellement défaillantes et qu’en l’état, elles ne sont pas en mesure de traiter l’ensemble des violences. Ainsi, il faut penser un système qui en soit capable. Aborder différemment la pénalisation pourrait être une autre étape pour améliorer la prise en charge des violences par les institutions.
Aujourd’hui, le budget national en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les VSS n’est pas suffisant pour être efficace et apporter des résultats concrets. S’inspirer de l’Espagne en matière de législation féministe pourrait être un premier pas pour faire diminuer les violences voire les faire disparaître à long terme.
Ce plaidoyer est toutefois l’occasion de rappeler que certains outils et ressources existent déjà en matière de lutte contre les VSS. Caroline De Haas évoque notamment des numéros d’écoute à destination des victimes de violences comme le 39 19, qui est le numéro national de référence d’écoute téléphonique et d’orientation à destination des femmes victimes de violences, aujourd’hui accessible 24h/24 et 7j/7 et le 0 800 05 95 qui est une permanence téléphonique qui propose une écoute, un soutien et une solidarité aux personnes qui ont subi des violences sexuelle. Cette permanence est disponible du lundi au vendredi de 10h à 19h.
Emilie Gain 50-50 Magazine
1 Caroline De Haas est fondatrice de l’association Osez le féminisme ! créé en 2009, puis du collectif NousToutes en 2018. Depuis 2013, elle est co-directrice du groupe Egae, un organisme de conseils aux entreprises et aux professionnel·les en matière d’égalité femmes/hommes.
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