Articles récents \ Monde \ Afrique Fatoumata Kane Ki-Zerbo : «Le patriarcat est l’illustration suprême d’un certain mal-être masculin»
Fatoumata Kane Ki-Zerbo, la fille du Sahel, n’est pas une femme comme les autres. C’est une infatigable touche-à-tout d’une infinie sagesse. Militante engagée, elle rêve d’un monde meilleur pour que chacun mais surtout chacune trouve sa place dans nos sociétés et vive dans la dignité. Elle se bat au quotidien pour que les filles d’Afrique aient un autre avenir à travers son métier mais aussi via sa plume.
Fatoumata Kane Ki-Zerbo, vous êtes praticienne en psychothérapie et diplômée en économie et en communication. Vous connaissez bien le continent africain. Voyez vous une différence de la condition des femmes entre le Mali, le Sénégal et le Burkina Faso, pays où vous avez vécu ? Je crois que vous avez vécu aussi en Guinée…
Je suis venue, sur le tard, il y a dix ans, à la relation d’aide comme praticienne en psychothérapie, un parcours exaltant entre Nice et Montréal où j’ai effectué ma formation et mes stages pratiques, en reconversion professionnelle après avoir travaillé comme organisatrice bancaire puis auditrice dans une banque internationale. J’ai eu la chance de vivre dans de nombreux pays d’Afrique, dont le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, l’Algérie, le Congo, le Gabon, la Guinée, le Zimbabwe et l’Éthiopie. J’ai visité beaucoup d’autres pays du continent et en dehors. Il me semble que la condition des femmes est essentiellement la même, partout dans le monde. En Afrique, dans les pays que vous avez cités, il y a de lourdes pesanteurs sociales qui imposent une contrainte plus aliénante à s’adapter au moule. Il y a très clairement, une astreinte socioculturelle et religieuse, qui séquestre de nombreuses femmes, voulant absolument faire bonne figure, et partant de là, se font elles-mêmes violence en subissant stoïquement tous les abus.
Comment expliquez vous cette violence systémique qui perdure en Afrique ? Avez-vous noté une prise de conscience depuis le mouvement #Metoo ?
La violence systémique envers les femmes perdure dans tous les continents. Elle est à mon sens basée sur la fragilité masculine qui ne puise sa force tant vantée que dans la soumission de la femme, cet alter ego, malencontreusement considérée comme inférieure. Le patriarcat est l’illustration suprême d’un certain mal-être masculin. Il faut une grande dose de doute de soi pour asseoir méthodiquement l’infériorisation de l’autre ; il y a probablement aussi une frayeur de l’énorme potentiel des femmes, y compris de la puissance de sa matrice fécondante si mystérieusement intimidante.
Les mouvements #Metoo ont fait de grandes émules parmi une certaine jeunesse africaine. Ma crainte est de voir ce front produire l’effet contraire à celui escompté, en ne se focalisant pas assez sur l’essentiel, à savoir la dénonciation des méfaits dont on doit à tout prix réclamer la punition. Mais lorsqu’on s’engouffre sur la voie de l’invective permanente et des injures, on est malheureusement réduit à ce qu’il y a de plus obscur chez l’être humain. Les femmes devraient être très vigilantes dans la manière de conduire les luttes féministes et ne pas se laisser entraîner par l’émotivité permanente qui n’avance en définitive, en rien, leurs revendications.
Vous êtes aussi une femme engagée et une amoureuse de la littérature. Vous avez créé la maison d’édition Lakalita, le magazine et le cabinet Espace Lakalita. Que signifie Lakalita et quelle est votre ligne éditoriale ?
Je suis écrivaine, auteure de sept livres, je suis co-auteure de plusieurs ouvrages collectifs et j’ai à mon actif de nombreux articles. J’ai créé la maison d’édition Lakalita en juin 2010 et j’y ai adjoint en 2015 le cabinet conseil ainsi que le magazine en créant l’Espace Lakalita qui est maintenant devenu un espace culturel et de développement, d’abord dédié aux filles et aux femmes. Lakalita, signifie en bambara des « choses à raconter ». Notre ligne éditoriale, axée sur la valorisation de la littérature africaine, s’ouvre également à toutes les littératures du monde et à la richesse de la diversité des idées. Nous avons pour ambition d’être actrices/acteurs efficaces de la promotion de la littérature africaine à travers des ouvrages de qualité en format papier, mais aussi en nous appropriant les nouvelles techniques de communication avec l’édition de livres numériques.
Parlez- nous du collectif « Jusqu’à ce que mort s’ensuive » publié cette année par votre maison d’édition ?
Le projet inédit de livre collectif Jusqu’à ce que mort s’ensuive ! est une co-création initiée par les éditions Lakalita entre les victimes, les écrivain·es africain·nes, et les professionnel·les de la relation d’aide. Elle a pour ambition de réunir, de connecter, et de fédérer les efforts pour mieux combattre ensemble, les violences basées sur le genre. Le principal objectif est de rallier une forte mobilisation autour du livre à travers la sensibilisation auprès de toutes les communautés par l’organisation de rencontres de la société civile, dans les lycées et les universités, dans les entreprises, en définitive, partout où cela s’avère nécessaire, mais aussi par des échanges interactifs, et l’organisation de webinaires avec les écrivain.es et les personnes-ressources, pour la promotion et la protection des droits des filles et des femmes.
Les revenus générés par la vente du livre seront mis à la disposition de projets importants et porteurs d’humanité dans les domaines du développement, de l’éducation et de la promotion des filles et des femmes, plus spécifiquement sur l’identité, l’histoire, l’estime de soi, et le leadership.
Je vous cite : « En tant que femmes engagées auprès de nos communautés, notre mission est de laisser comme héritage aux femmes de la prochaine génération, un monde plus épanouissant que celui que nous connaissons». Pouvez vous nous expliquer d’où vous venez et quel est votre parcours pour donner envie aux jeunes filles des nouvelles générations de se battre et de persévérer encore et toujours ?
C’est un extrait de la conclusion écrite pour « Jusqu’à ce que mort s’ensuive ! ». Ce qui m’importe véritablement, c’est d’avoir une vision, selon nos domaines d’expertises, qui permet de se projeter et de préparer un monde meilleur pour nous, mais aussi pour celles qui viennent après nous ; outiller les filles et les femmes d’aujourd’hui pour renforcer leur estime de soi et leurs compétences. Le féminisme que je prône est un engagement volontaire et structuré par l’attitude, le savoir-faire, le savoir-être qui ne permettent aucune tergiversation sur l’égalité femmes/hommes, sur la nécessité du mieux-être de chacun·e pour le bien de tou·tes, et sur des relations apaisées entre les hommes et les femmes. Pour ce faire, il faut aller à l’essentiel, en sortant du sempiternel émoi qui depuis des lustres fait de la femme une caricature du sexe faible. Notre force sera notre capacité à imposer le respect qui change le regard de la société, en brisant tous les plafonds de verre insidieusement construits pour maintenir la femme dans une position mineure.
Des rives du fleuve Djoliba, aux bords de la mer rouge; de la vue imprenable sur la Méditerranée Algéroise, en passant par les superbes dunes du Sahara en Mauritanie et le splendide océan atlantique qui borde les côtes Dakaroises, moi la fille du Sahel, j’ai eu un parcours atypique. J’ai toujours vécu, dès mon plus jeune âge, entre plusieurs continents et cela m’a donné un regard singulier sur le monde. La rencontre du racisme, le choc des conflits interreligieux m’ont forgé à pousser la réflexion sur l’importance du terroir et de l’appropriation du patrimoine culturel.
Aujourd’hui, à travers mon programme « Trouver l’harmonie ! » j’écoute et j’accompagne celles/ceux qui le souhaitent, surtout, les filles et les femmes à avancer sereinement vers leurs objectifs en travaillant sur l’estime de soi, la qualité de vie et le leadership pour un cheminement de transformation qui apaise et redonne confiance. J’interviens aussi en PNL, gestion du stress, Communication Non Violente, en lien avec d’autres professionnel·les à travers des ateliers d’écriture, de théâtre, de dessin, de peinture, en apposant les projets artistiques à des projets thérapeutiques, éducatifs et sociaux.
Je suis membre de plusieurs groupes de réflexion, dont Carrefour, Foi et Spiritualité pour un meilleur dialogue interreligieux, l’Agora des Habitants de la Terre qui prône une humanité responsable du vivre-ensemble et de la défense des biens communs publics. Je suis également membre du Conseil des Sagesses des Peuples de la Terre au sein duquel nous réfléchissons à la création d’un Parlement de Citoyenneté Planétaire à travers la Multicovergence des Réseaux Globaux, une mission exaltante de mise en place d’un modèle de gouvernance planétaire des peuples, pour ne laisser personne de côté. Je suis aussi membre du Parlement des Écrivaines Francophones qui nous permet d’avoir une plateforme d’expressions multiples. Je suis épouse, mère et grand-mère et je souhaite voir dans les yeux de ma petite fille et de toutes les filles du continent la flamme, qui illumine l’Afrique et le monde par la détermination, le principe de dignité et la bienveillance, qui promeut l’individu et lui assigne une place dans la société.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine
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