Articles récents \ France \ Société Annie Sugier : Prix national de la laïcité

A l’occasion de la journée de célébration de la loi de 1905 sur la laïcité, du 9 décembre, le Prix a été attribué cette année à Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit international des femmes et militante féministe infatigable depuis plus de 50 ans. Cette cérémonie est organisée depuis près de 20 ans par le Comité Laïcité République. De nombreux humains qui se battent un peu partout dans le monde pour leur liberté et leur dignité nous envient cette loi et cette laïcité si précieuse, dont nous ne savons pas toujours apprécier ce qu’elle nous a apporté en matière de liberté, en particulier de liberté de penser et de croyances, tant nous nous y sommes habitué·es.

Lors de cette soirée à la mairie de Paris, le jury des Prix de la Laïcité 2022, présidé par Patrick Pelloux, a donc décerné les Prix comme suit :

  • Prix national : Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit international des femmes
  • Prix international : Pauline Marois, ancienne ministre et Première ministre du Québec
  • Prix Science et laïcité : Etienne Klein , physicien, philosophe des sciences
  • Prix Culture et laïcité : Jean-Michel Ribes , dramaturge, metteur en scène

Pauline Marois, qui recevait son prix des mains de François Hollande, a rappelé ses combats pour la laïcité au Québec où, jusque dans les années 1960, les instances religieuses du pays étaient présentes au ministère de l’Education et supervisaient le contenu des manuels scolaires.

Ne nous y trompons pas, les créationnistes, mouvement dont les adeptes pensent que Dieu a créé l’Homme et la Terre tels qu’ils nous apparaissent aujourd’hui, il y a moins de 10 000 ans, sont aujourd’hui à la manœuvre dans de nombreux pays pour faire entrer leurs théories dans les manuels scolaires, afin de les mettre sur le même plan que la théorie de l’évolution démontrée par Darwin et dénigrer tous les travaux scientifiques qui en découlent. Donald Trump avait des ministres créationnistes. Ils sont très nombreux aux États-Unis aujourd’hui et très méfiants envers la science, voire conspirationnistes. Science et croyances n’ont jamais fait très bon ménage, les premiers savants à avoir démontré que la terre était ronde en ont fait les frais !

La laïcité est également un rempart important des droits des femmes, si souvent exclues d’une universalité des droits humains que de nombreux pays ne sont pas encore prêts à mettre en pratique, surtout pas pour les femmes. Annie Sugier a compris depuis longtemps que cette « universalité » n’était pas réservée aux classes aisées des pays occidentaux et que tant que la liberté de toutes les femmes ne serait pas reconnue, aucune ne pourrait se sentir complètement libre sur cette planète. Notre communauté de destin, opprimées depuis des millénaires par un patriarcat encore tenace, doit nous aider à nous lever toutes pour défendre les plus démunies et les moins chanceuses, excisées, battues, mariées contre leur gré, vendues, exploitées, enfermées, interdites d’activités sportives, politiques, économiques ou culturelles…

C’est au travers du sport et plus particulièrement de l’Olympisme qu’Annie Sugier, qui a reçu son prix des mains de Sarah El Haïry (Secrétaire d’État chargée de la jeunesse) poursuit ses combats pour la liberté des femmes, écoutons-la.

« C’est avec émotion que je reçois ce prix. En cette année 2022, justement !

Si je dis cela c’est parce que cette année la République islamique d’Iran se rappelle à notre souvenir, par l’attaque sauvage dont a été victime Salman Rushdie, par l’assassinat de Mahsa Amini, après son arrestation par la police des mœurs pour avoir « mal porté le voile islamique ».

C’est comme si nous étions ramenées 40 ans en arrière, au moment même où je proposais à Simone de Beauvoir de créer la Ligue du Droit international des femmes.

Car ce qui nous a fait comprendre l’évidente nécessité d’un combat au niveau international, c’est justement la révolution islamique d’Iran et son prosélytisme affiché.

Alors que nombre de mes amies de gauche se réjouissaient de l’irruption d’un modèle alternatif au modèle occidental matérialiste, cette soi-disant Révolution imposait une brutale régression du droit des femmes et leur invisibilité dans l’espace public par l’obligation du port du voile.

Les sociétés humaines sont construites sur des symboles. Les symboles sont porteurs d’une histoire pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire. Un drapeau n’est pas un simple morceau de tissu. Il a un sens, ici et ailleurs, grand ou petit.

Le voile signifie concrètement et symboliquement la séparation des femmes et des hommes et l’assignation des femmes dans l’espace privé. En somme, la signature de l’oppression des femmes ! Qu’il soit porté volontairement ou qu’il soit obligatoire, il a le même sens.

Dans une tribune récente, publiée dans Le Point, intitulée  Le voile est un féminicide  [1], Kamel Daoud écrit : « Le voile n’est pas une liberté mais sa fin ».

Dès 1979, des dizaines de milliers d’Iraniennes sont descendues dans les rues de Téhéran en criant « Nous n’avons pas fait la révolution pour ça ». Mais déjà on entendait ceux qui proclamaient, là-bas et ici, qu’il ne fallait pas gâcher un tel élan révolutionnaire pour un morceau de tissu.

Vous comprendrez pourquoi, dès l’origine, nous nous affirmons comme féministes universalistes et laïques. Nous le sommes en constatant que le droit des femmes varie au gré des cultures et des religions comme si la notion d’universalité ne s’appliquait pas à elles.

Nos combats, nous les mènerons contre l’excision, contre les enlèvements de jeunes filles issues de l’immigration, les mariages forcés, les crimes d’honneur, les enlèvements d’enfants de couple mixtes…

Nous nous saisissons de faits d’actualité, « faits divers » en réalité faits politiques, et nous ne nous contentons pas de dénoncer : nous voulons faire progresser le droit.[…]

Sans doute, aussi, le jury a-t-il voulu récompenser l’un de nos combats sur un sujet qui peut vous surprendre, l’olympisme, et plus généralement le sport. […]

Nous avons été longtemps seules à pointer l’importance de ce sujet, car les pouvoirs publics mais aussi le mouvement associatif ont mis du temps à en comprendre les enjeux.

Le sport est le phénomène culturel le plus populaire au monde ! Les JO ou la Coupe du Monde sont regardés par près de la moitié de l’humanité. Et surtout ils sont régis par des règles techniques et des principes éthiques fondamentaux universels.

Parmi ceux-ci, le principe de non-discrimination y compris de sexe, et la règle 50.2 de la Charte olympique, qui interdit toute expression politique religieuse ou raciale dans tout lieu olympique. Cette règle de neutralité est plus puissante que la laïcité dite à la française, car elle s’applique au niveau international, dans un espace public, aussi bien au personnel d’encadrement qu’aux athlètes.

Cette règle dérange les islamistes qui ont conscience du pouvoir d’influence du sport auprès de la jeunesse. Elle dérange en premier lieu la République islamiste d’Iran. Dès 1996 aux JO d’Atlanta les autorités iraniennes exigent que la seule athlète femme de leur délégation, qui sera leur porte drapeau, soit voilée de la tête aux pieds. Tout un symbole. Le CIO s’est incliné, puis progressivement la plupart des fédérations internationales. C’est l’Iran qui a imaginé et promu le modèle sportif islamiste féminin dont s’emparent aujourd’hui les hijabeuses ou les porteuses de burkini.

En conclusion. Ne quittons pas le sport car il s’adresse en priorité à la jeunesse qui, souvent, ne comprend pas notre attachement à la laïcité. Or quel meilleur outil pédagogique pour faire comprendre les raisons d’être de la neutralité ?

Nous avons plusieurs défis devant nous.

  • D’abord faire le ménage chez nous, c’est-à-dire, comme l’a proposé la commission d’enquête du Sénat, que la règle 50.2 soit intégrée dans les règlements des fédérations nationales, comme l’a fait la FFF.
  • Ensuite soutenir les initiatives actuelles exigeant l’exclusion de l’Iran des compétitions sportives, notamment de la Coupe du monde du Qatar.
  • Enfin, demander au Comité d’organisation des JO Paris 2024 d’interpeller le CIO pour qu’il respecte sa propre Charte en excluant les pays islamistes qui imposent l’apartheid sexuel, comme il l’avait fait pour l’Afrique du Sud pour cause d’apartheid racial.

Mais il faut oser aller au-delà de la dénonciation. Dans le passé, les Nations unies ont condamné sans réserve l’apartheid racial, qualifié de « crime contre l’humanité » (Résolution 3068 – XXVIII – de l’Assemblée générale). Seul un Etat peut faire une telle proposition, c’est ce que nous avons demandé au président de la République dans notre lettre du 23 septembre, quelques jours après la mort de Mahsa Amini.

Nous avons maintenant des arguments à la lumière de ce qui se passe en Iran et de la résolution du Parlement européen votée le 6 octobre reconnaissant que la discrimination des femmes en Iran est « systématique » et que « les femmes qui sont vues en public sans foulard sont fréquemment harcelées, emprisonnées, torturées, flagellées et même tuées pour avoir défié ces lois répressives ».

Nous, les féministes des années 70, nous nous sommes battues pour la liberté, la liberté de notre corps, et l’éradication des violences qui nous empêchent de jouir de nos libertés.

Le voile n’est jamais une liberté. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui en Iran les femmes rejointes par les hommes crient « Femmes, vie, liberté » et refusent l’apartheid.

Je vous demande instamment de prolonger ce moment honorifique qui me touche profondément par une action à la fois en vue des JO et en direction des Nations unies. »

Annie Sugier, Présidente de la Ligue du droit international des femmes 

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

 

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