Articles récents \ France \ Sport Béatrice Barbusse : « Il faut que les fédérations acceptent de reverser une partie des subventions en faveur du sport féminin »
Au XXIème siècle considérez vous le sport comme le dernier fief masculin ?
J’ignore si le sport est l’un de leurs derniers bastions qui fait de la résistance car on manque cruellement de statistiques à l’échelle nationale comme européenne pour pouvoir comparer le nombre de dirigeantes de clubs, de techniciennes, d’arbitres ou de responsables et pour cela, il faut des moyens. Parfois, j’ai le sentiment qu’on ne souhaite pas effectuer ces statistiques… Tout comme dans le monde de la politique, il existe un plafond de verre dans le milieu sportif. Rappelez vous l’équipe de foot US qui s’est battue pour obtenir les mêmes primes que leurs homologues masculins. Rien n’est inné, tout est bataille ! A la Fédération féminine de Handball, on a décidé de dire entraineuse plutôt qu’entraîneure ce qui gêne mes collègues alors que c’est le terme exact. Mes étudiant·es ne connaissaient pas le côté péjoratif de ce terme car ce n’est pas leur génération. C’est un véritable bonheur !
Est-ce que la société française a changé son regard sur le sport professionnel féminin ?
Pour le handball, je constate que le regard et les comportements ont changé. Nous n’avons plus autant de mal à imposer la parité, ce qui n’était pas évident il y a quelques années. Les hommes se sont rendus compte que nous avions moins de temps de parole en réunion et certains s’auto-contrôlent. Cependant, il existe toujours des réflexes sexistes et il faudra attendre les prochaines générations pour un changement d’attitude. On a noté une évolution des masculinités lesquelles se manifestaient auparavant par de l’autorité, de la force, voire des comportements violents. Maintenant cette masculinité hégémonique a évolué par un discours pro-féministe mais ces hommes gardent tout de même des réflexes patriarcaux à travers certaines attitudes. Cela leur permet de garder une certaine position dans la société. Il existe toujours des réflexes sexistes à travers des comportements paternalistes. Il ne me viendrait pas à l’idée de mettre la main dans les cheveux d’un collègue pour le saluer. Cette attitude dite protectrice place la personne au-dessus de vous, c’est le grand frère qui est toujours là pour vous protéger. Les hommes se sont adaptés, il peut y avoir une pratique sexiste en même temps qu’un discours pro-féministe.
Ne faudrait il pas que ce soit les femmes qui décident de leur tenue pour la pratique de leur sport et non les fédérations ?
Le sexisme se vit dans notre chair et tout notre corps réagit au sexisme. Nous ressentons ce malaise sur la manière de nous habiller ou de nous comporter contrairement aux hommes. Le sexisme est institutionnalisé dans le sport. L’équipe norvégienne de Beach handball a écopé d’une amende car les filles ne voulaient pas jouer en bikini et être perçues comme un objet de désir. Les hommes détiennent le pouvoir dans le sport mais certaines femmes sont complices de ce sexisme. La commission féminine française a demandé à avoir des vêtements plus adaptés pour les compétitions et la majorité d’entre elles n’a pas voulu en changer. Le sexisme est ancré et a modelé inconsciemment notre manière de penser. On ne peut pas avancer même chez les femmes s’il n’y a pas d’interrogations sur l’intériorisation du sexisme. C’est pour cela que certaines fédérations ne revendiquent rien car certaines sportives ont intériorisé leur infériorité. Elles acceptent ainsi de ne pas être trop viriles par exemple. En sociologie, cela s’appelle de la servitude volontaire ou de la soumission librement consentie.
En 2018 #Balancetonsport a eu moins de répercussions dans le monde sportif qu’ailleurs. Comment l’expliquez vous ?
Comme le sexisme est extrêmement intériorisé dans le sport, on continue à véhiculer des valeurs sexistes comme la séparation des garçons et des filles lors des entrainements pour éviter qu’elles se virilisent. La mixité n’est pas encouragée en France et pour certaines disciplines, il faut des dérogations. En dehors du terrain, s’habiller en survêtement est mal perçu car pas assez féminin. On vous fait comprendre qu’on n’est pas une vraie femme du fait d’être habillée en baskets, survêtement et transpirante. Il y a 40 – 50 ans, rien n’existait comme accessoires pour les cheveux par exemple. Quand on a les cheveux longs et qu’il faut prendre plusieurs douches par semaine, ce n’est pas pratique, alors, on les coupait. Pareil pour les ongles. On n’avait pas le droit d’avoir les ongles longs en raison des risques de griffures ou de blessures. Aujourd’hui, cela a beaucoup changé.
Les tests de féminité font débat régulièrement. Quel est votre avis sur ce point ?
D’abord, qu’est-ce qu’être une vraie femme ? Les femmes doivent constamment prouver qu’elles sont des femmes à travers les vêtements, les accessoires ou la coiffure. Dans le monde du sport, on doit prouver qu’on appartient au genre féminin. Le sport était avant tout pratiqué par les nobles de l’aristocratie. Pierre de Coubertin était misogyne et a prôné un sport conservateur où chacun·e doit garder sa place en répondant à des codes genrés.
Concernant les tests de fémininité, il est ici question de l’ordre moral, de la question de l’égalité des chances mais il s’agit d’une fausse question. C’est une idéologie inventée, un fantasme. Il n’existe pas d’égalité des chances dans le sport. Combien y a t’il de Tony Parker qui mesure deux mètres ? Quand on est handicapé·e, où est l’égalité ? Un homme trans qui à l’origine était une femme n’est pas dangereux car une femme est moins forte qu’un homme. Mais une femme trans (assignée homme à la naissance) qui arrive chez les femmes, peut mettre en danger les performances des autres femmes. Les sportives sont contre ces participations car elles craignent d’être battues. Donc elles se protègent de la concurrence tout comme le patriarcat se protège des femmes en les excluant. La Fédération Internationale de Natation a créé une catégorie à part en 2022 ce qui a fait polémique. Et après, on fanfaronne en disant que le sport est inclusif. Une fois encore, on a préféré mettre en avant la compétition et la performance qui sont des valeurs… viriles. On a l’impression que certains sportifs jouent leur vie sur le terrain. Des supporters s’en prennent aux arbitres. Cela reste un jeu ! Le sport rend aveugle car c’est un exutoire et un lieu d’émotions.
Ne faudrait il pas dénoncer les sponsors qui ne financent pas ou peu les clubs féminins ?
C’est un véritable souci. Peut-être faudraitil mettre en place des facilités fiscales, mutualiser ou encore imposer une nouvelle taxation sur le principe de la taxe Buffet mise en place en 2000 et qui repose sur un principe de solidarité avec le reversement d’une partie de la cession des droits de retransmission d’évènements sportifs professionnels vers le sport amateur. Pourquoi ne pas mettre en place ce principe de solidarité entre le sport masculin et le sport féminin ? Depuis 60 ans le sport masculin a bénéficié d’aides, de subventions et de taxes ce qui a attiré de nombreux sponsors. Il ne reste que les miettes pour sponsoriser le sport féminin. Il faut que les fédérations acceptent de reverser une partie en faveur du sport féminin. Beaucoup de sportifs et de dirigeants dans les fédérations sont contre l’égalité des primes car ils ne souhaitent pas partager le gâteau financier. On attend donc qu’un gouvernement courageux impose cette taxe de solidarité.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine
Béatrice Barbusse Du sexisme dans le sport, Nouvelle Ed. Anamosa 2022