Articles récents \ Monde \ Pays Arabes Que faire face à la vague de féminicides dans les pays de la Méditerranée ?

Le 11 octobre, la quatrième édition des rencontres du Fonds pour les Femmes en Méditerranée donnait la parole à deux militantes féministes engagées contre les violences faites aux femmes : Wiame Awres, d’Algérie et Aliaa Awadaa, du Liban. L’échange portait sur la vague de féminicides qui touche actuellement tous les pays méditerranéens.

Le Fonds pour les Femmes en Méditerranée (FFM), créé en 2008, s’est donné pour mission de soutenir et renforcer les associations de terrain qui œuvrent dans cette région géographique. Pour ce faire, le FFM se place sur quatre fronts : le financement des associations, la formation à l’intelligence collective et à l’estime de soi, le plaidoyer pour qu’il y ait plus de ressources accordées par les pouvoirs publics et le tissage de liens entre les associations de toute la Méditerranée. Cette dernière action est d’une importance capitale car tous les pays du bassin sont confrontés à des problématiques semblables. Il faut que les associations mettent en place des stratégies communes. 

La France, l’Algérie et le Liban font face à la même épidémie de féminicides. Partout dans les pays de la Méditerranée, des femmes sont tuées pour des motifs dérisoires. En France, au moment de la conférence, 101 femmes étaient déjà victimes d’un féminicide depuis le début de l’année. En 2021, le pays avait connu une hausse de 20% par rapport à l’année précédente. C’est important de garder des comptes sur ce crime et d’établir des statistiques pour surveiller son avancée.

Mettre des mots sur des actes innommables

Wiame Awres, co-fondatrice de l’association Féminicides Algérie, qui s’occupe du comptage des féminicides, a tenu à définir ce qu’est un féminicide. Elle explique que c’est un mot qui a commencé à être utilisé dans les années 1970 pour nommer les crimes contre les femmes. Ou plus précisément pour nommer le fait de tuer une femme parce que c’est une femme. Les victimes de féminicide sont tuées parce qu’elles vivent dans une société patriarcale. Cet acte est le point culminant d’une série de violences. 

Elle souligne que ces crimes sont souvent commis par le conjoint ou ex-conjoint. Des hommes considèrent qu’ils tuent “par amour”. Ce sont des maris, des partenaires intimes, des violeurs, des harceleurs… Dans leur esprit, le mobile de l’amour est juste et ils se permettent d’ôter la vie en son nom. Les femmes infidèles sont souvent assassinées par leurs conjoints. Ces derniers justifient leur acte en parlant d’amour.

Cependant, il faut savoir que les féminicides ne se limitent pas à cela. D’autres proches peuvent aussi être les assassins. Dans son pays, l’Algérie, Wiame Awres explique que la famille est également trop souvent à l’origine des meurtres. Des pères, des frères, des oncles… Elle donne quelques exemples qui font froid dans le dos : un frère viole sa sœur et leur père tue la jeune fille pour laver l’honneur de sa famille ; un frère voit sa sœur marcher avec un ami alors il la tue en pensant qu’elle déshonorait la famille en se montrant en public avec un homme qui n’est pas de la famille. Le dénominateur commun de ces cas est visiblement la question “d’honneur”. Quand une femme commet un acte perçu comme étant immoral, les hommes de sa famille s’octroient le droit de l’assassiner. Ce mobile veut rendre le crime acceptable aux yeux de la société. Mais comme elle le souligne, ce ne sont que des prétextes. Elle se souvient d’une affaire en 2012 où un mari avait assassiné sa femme en criant sur tous les toits qu’il l’avait fait parce qu’elle l’avait trompé. Il s’est avéré que ce n’était qu’une excuse et qu’il l’avait en fait tuée pour des raisons financières liées à l’héritage. Ici, le “crime d’honneur” était utilisé comme justification pour masquer la réalité. 

Elle souligne que ni l’amour, ni l’honneur ne peuvent tuer. Il n’existe ni crime d’honneur, ni crime passionnel : ce sont des féminicides. C’est le seul nom qu’il faut leur donner.

Les actions à mettre en place

Wiame Awres a commencé à recenser les féminicides en 2019, année où la police en a compté 39 et elle 74, ce qui montre le dysfonctionnement des services de police. Depuis, elle compte et alimente le site de Féminicides Algérie avec les noms et parfois les portraits des femmes victimes. Tous les ans, il y a le chiffre de la police et celui qu’elle poste, qui se rapproche plus de la réalité. Cependant, elle ne peut pas tous les compter puisque les familles, en Algérie comme partout dans la région, ont parfois du mal à les dénoncer pour une question d’honneur. Sur le site, il est possible de signaler un féminicide anonymement en donnant les informations nécessaires à la vérification des faits. C’est un travail de longue haleine mais essentiel pour que ces femmes ne soient pas oubliées. 

Le choix de l’association de montrer le nom et la photo est souvent critiqué dans le pays. Quand un homme est tué, mettre son nom et sa photo ne pose pas problème mais quand il s’agit d’une femme, c’est plus compliqué car elle est considérée comme étant la propriété de la famille : son corps et son esprit leur appartiennent. De plus, il est plus facile de détourner le regard et de penser à elles comme étant un chiffre abstrait que d’être confronté à la réalité. 

Aliaa Awada est une journaliste activiste libanaise qui, sans surprise, partage cet avis. Selon elle, les médias jouent un rôle primordial. Or, ils ne font pas toujours leur travail. Elle estime qu’en tant que féministe, il faut assurer la couverture médiatique de ces féminicides sur les réseaux sociaux. Elle a cofondé No2ta, une initiative de production féministe qui propose des médias engagés de haute qualité. Entre articles, vidéos et musiques, le public a accès à des contenus qui visent à changer la donne dans la région du Moyen Orient. 

Ces contenus, dans l’ère de numérisation actuelle, permettent d’atteindre des personnes du monde entier et sont justement étudiés pour coller aux tendances actuelles. Par exemple, ils reprennent souvent les codes de Tik Tok (format court avec de la musique) pour pouvoir atteindre une génération plus jeune. Ce qui est plus qu’important pour Aliaa Awada puisqu’elle est convaincue que la génération capable d’opérer un réel changement est celle des jeunes qui ont entre 18 et 35 ans actuellement. C’est précisément cette génération qui peut commettre les féminicides ou non. Au-delà de cet âge, il lui semble difficile de changer les comportements et les mentalités. Pour toucher cette tranche d’âge, les médias traditionnels sont dépassés et ce sont les réseaux sociaux qu’il faut investir. 

Communiquer : oui, mais avec prudence 

Il y a des féminicides tous les jours mais ils ne sont pas tous médiatisés de la même manière. Récemment, en Egypte, la mobilisation a connu un nouvel élan à la suite de l’assassinat d’une jeune femme devant son université en plein jour. Elle était étudiante et un jeune homme, étudiant lui aussi, la harcelait. Ne parvenant pas à obtenir ce qu’il voulait d’elle (une relation amoureuse), il la tue devant l’école. La scène est filmée et le portrait de la jeune femme circule. Ce qui est inhabituel dans le pays. Un grand nombre de personnes s’identifie à elle et l’indignation de la société ne se fait pas attendre. Des appels à la peine de mort sont lancés. Ce que beaucoup de collectifs féministes regrettent puisque cela revient à traiter le problème comme étant individuel et non systémique. Les féministes rappellent que le tuer ferait de lui un martyr et que 100 autres hommes comme lui pourraient lui emboîter le pas. Finalement, il est mis à mort et comme les féministes l’avaient prédit, un Jordanien s’inspire du criminel pour, lui aussi, tuer une femme qui refusait ses avances. 

Aliaa Awadaa souligne l’importance de ne pas braquer la lumière sur les meurtriers, au risque de servir de source d’inspiration aux autres hommes aux penchants criminels. Il faut plutôt parler des victimes et des problèmes institutionnels et systémiques qu’elles ont pu rencontrer. Dans la plupart des cas, les femmes victimes de féminicides ont identifié tous les signaux d’alerte : des menaces, du harcèlement, des écrits pour preuve… Il ne faut pas penser qu’elles n’ont rien fait pour s’en sortir. La vérité, c’est qu’il n’y a pas assez de centres d’hébergement pour les mettre en sécurité, de plus le parcours pour divorcer est semé d’embûches et les mesures d’éloignement ne sont pas appliquées. Il faut plutôt identifier les alertes et proposer des mesures concrètes pour pallier ces manques. Seule la reconnaissance politique pourra éviter les féminicides. Dans certains pays, il existe des lois mais elles ne sont pas suffisamment appliquées.

Eva Mordacq 50-50 Magazine

Lire aussi : Marta Clara Ferreyra : « La loi de 2007, actant les assassinats de femmes comme féminicides a eu un rôle pédagogique certain » 

print