Articles récents \ Matrimoine Femmage à Maria Szymanowska, compositrice 1789-1831
La 7ème édition des journées du Matrimoine fut l’occasion de découvrir une perle : le spectacle refaisant vivre l’œuvre exceptionnelle de Maria Szymanowska. Un duo, avec la pianiste Solène Péréda, premier prix du conservatoire de Paris en 2012, lauréate de plusieurs prix internationaux, et Typhaine D, autrice, comédienne, metteuse en scène, une humoriste féministe à l’origine de la Féminine universelle qui nous narre avec sa verve habituelle la vie de la compositrice.
Le spectacle nous a fait découvrir non seulement cette divine musique jouée admirablement par Solena Péréda mais aussi sa vie et le contexte dans lequel elle a évolué. Elle a bousculé les règles rigides de l’époque, déjà entamées par une bourgeoisie prospère délaissant peu à peu les codes de l’aristocratie, elle les a largement dépassé. Les femmes telles que Maria Szymanowska ont grandement contribué aux changements sociétaux sans que la sociologie ait retenu leur nom et sans même en faire mention dans son domaine.
Typhaine D avec sa verve mordante et son humour contemporain explique comment Maria Szymanowska a divorcé d’un mari trop envahissant et contraignant pour devenir la pianiste en vue que les cours de l’époque s’arrachent au plus haut de sa gloire. Celle-ci manipule les codes en les détournant à son avantage et franchit tous les obstacles dus à son sexe. En effet, une femme ne pouvait se produire seule à l’époque et encore moins vivre de sa musique. Elle parvient à bouleverser ces us et coutumes poussiéreux pour en faire un signe d’indépendance, sachant toutefois garder sa réputation intacte en se faisant accompagner de ses frères et sœurs quand elle se produit dans les différentes cours royales. Elle devient « La compositrice personnelle de l’impératrice de toutes les russies » (1).
Typhaine D et Solène Péréda se répondent pour d’une part, nous faire partager des extraits de ses œuvres, présentés de façon accessible avec forces exemples par la pianiste virtuose Solène Péréda alors que la pétillante Typhaine D nous les situent de manière sociologique. Celle-ci va chanter admirablement une chanson écrite par Maria Szymanowska qui visiblement semble s’adresser à une amante. Décidément, la compositrice est en avance sur son temps. Typhaine D nous livre ainsi une autre facette de son talent : le chant, où elle se montre une très bonne interprète respectueuse des codes artistiques de l’époque, une vraie réussite.
On sort de ce spectacle charmé.es et abasourdi.es de n’avoir pas connu plus tôt cette compositrice oubliée de l’histoire de l’art qui pourtant était reconnue comme musicienne prodige en son temps. Abasourdi.es aussi et choqué.es de voir que ni Chopin, ni Brahms, ni Mendelssohn, ni leur biographe, n’ont rendu hommage à leur inspiratrice. On est alors tenté de parler de plagiat et d’appropriation de découvertes d’un style spécifique par des hommes qui l’ont ensuite développé et reçu tous les lauriers, schéma tristement récurrent !
L’excellente pianiste Solène Péréda possède un talent fou de conteuse mais aussi de passeuse de savoir et explique en quoi la musique de Maria Szymanowska était totalement novatrice pour l’époque. Elle joue des morceaux de préludes et de polonaises apportant définitivement un vent de renouveau dans la musique classique et démontre que Maria Szymanowska a en quelques sorte inventé les bases du romantisme en musique.
La société Maria Szymanowska
La société Maria Szymanowska fondée par la musicienne récemment disparue, Elzbieta Zapolska, a refait surgir et vivre toute son œuvre et l’a faite analysée par des expertes de manière à faire des parallèles qui ne permettent plus de doute sur le rôle de précurseuse de la compositrice.
« La figure de Maria Szymanowska née en 1789, et disparue en 1831, est en effet emblématique du devenir des femmes créatrices dans les mémoires patrimoniales et des processus d’effacement qui les ont affectées. Adoubée par ses pairs et adulée par son époque, Maria a connu après sa disparition une longue période d’éclipse, ignorée le plus souvent dans sa singularité pour n’être plus guère référencée que par rapport à Adam Mickiewicz dont elle était la belle-mère, sa fille Célina ayant épousé le grand poète polonais. » Extrait du N°1 des Cahiers de la Société Maria Szymanowska.
Profitant d’une époque propice aux innovations et changements sociétaux, Maria va en tirer le meilleur parti : elle innove en musique et s’impose en tant que femme artiste dans une société qui, à l’époque, ne donne quasi aucune chance aux femmes musiciennes de se produire et surtout pas aux compositrices. Grâce à sa compétence exceptionnelle et sa capacité hors pair de surmonter tous les obstacles dus à son sexe, elle atteint une célébrité telle qu’elle est demandée dans plusieurs cours royales européennes.
Entre autres innovations, elle invente le passage rapide du mode mineur au mode majeur apportant une structure plus dynamique aux morceaux. Elle invente d’autre part le Rubato qui introduit une certaine souplesse dans le rythme selon les sentiments de l’interprète. Elle devient la compositrice personnelle de la tsarine de toutes les Russies. Les Cahiers rendent compte de travaux d’expert.es en musicologie qui permettent des comparaisons entre les partitions de Maria Szymanowska et celles de Chopin : l’influence de la compositrice sur Chopin ne fait aucun doute. Elle a aussi inspiré Schubert, Mendelssohn, Schumann, Brahms… Aucun d’eux ne lui a rendu hommage. Heureusement le Matrimoine rend justice à cette artiste de génie.
L’équipe des Cahiers Maria Szymanowska est composée d’universitaires, d’expert.es en musicologie, et autres personnes de qualité qui ont élargi les sujets. Elles/ils permettent de découvrir des artistes connues et beaucoup moins connues de diverses disciplines artistiques et littéraires.
Le résultat est impressionnant tant il montre que le progrès artistique depuis des siècles est intimement lié aux découvertes de femmes reconnues en leur temps et tombées dans les oubliettes de l’histoire. Les hommes ont décidément eu peu de fair-play et se sont approprié le travail de leurs contemporaines.
Même les articles sur les femmes que nous croyons connaître, comme la philosophe et poétesse Christine de Pizan, montrent que ce que nous en savons est rapporté en général par des hommes qui omettent souvent l’extrême nouveauté que ces femmes ont apportée dans leurs domaines respectifs.
Roselyne Segalen et Florence-Lina Humbert 50-50 Magazine
1 Catherine II la Grande a été impératrice de Russie de 1762 à 1796.
Photo de Une : Solène Préréda, pianiste, Patrick Chapelle, responsable des Cahiers Maria Szymanowska, et Elisabeth Nicoli co-directrice des Editions des femmes.
Crédit photo et vidéo : Roselyne Segalen