Articles récents \ France \ Société #MeToo : cinq ans après, quel héritage ?

Le 15 octobre 2017, l’actrice Alyssa Milano tweet en invitant les femmes victimes de harcèlement sexuel ou de viol à répondre « #MeToo » sur Twitter. Depuis, les témoignages se sont multipliés, ce qui a conduit à la condamnation de certains hommes influents, mais d’autres ont été largement épargnés malgré les accusations à leur encontre. Le 4 octobre 2022, la Fondation des Femmes, le Collectif Féministe Contre le Viol et la Fédération national des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles sont revenus sur l’héritage du mouvement #MeToo.

Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des Femmes, ouvre la conférence en soulignant les évolutions positives. Les Français·es connaissent ce hashtag et savent qu’il vise la libération de la parole face aux violences sexistes et sexuelles. Par la suite, des hashtags concernant l’inceste, la pédocriminalité dans l’église et les camps de vacances (pour n’en citer que certains) ont servi de piqûres de rappel. Ils ont amené les hommes comme les femmes à se questionner. Ils ont aussi permis aux femmes victimes de se rassembler et de se sentir moins isolées. 

Comme le souligne Anne-Cécile Mailfert : “ Cela fait des années que nous nous battons pour libérer non seulement la parole mais aussi l’écoute des victimes ”. Comme on a pu le voir depuis cinq ans, #MeToo a permis à beaucoup de femmes d’oser parler. 

Un autre grand résultat constaté est que les publics se tournent plus facilement vers les associations de terrain. Elles sont plus connues et sont donc plus souvent sollicitées par les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. 

Des constats à double tranchant 

La société civile a vécu une réelle prise de conscience, alors que les réactions politiques et institutionnelles brillent par leur absence. La transformation des institutions se fait attendre, ce qui se ressent toujours plus dans les témoignages postés sur Twitter. #MeToo, ce sont principalement des femmes qui n’ont pas porté plainte ; et elles ont de bonnes raisons de ne pas le faire. Il est dur de se lever contre l’impunité quand on connait la lenteur et l’inefficacité de la justice proposée en France.

Quelques chiffres le prouvent : 

  • La justice est inefficace car sur l’année 2020, il y a eu 732 condamnations pour viol alors que les chiffres rapportés par les enquêtes de victimation dénombrent 95 000 victimes de viol par an. Le viol est le crime le plus impuni. 
  • La justice est outrageusement lente puisqu’il faut en moyenne 77 mois à une affaire pour aboutir en Cour. Soit 6 ans et demi d’attente pour un résultat rarement à la hauteur du crime. Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif Féministe Contre le Viol, souligne que la procédure la plus courte qu’elle ait pu voir dans ses années de militantisme avait tout de même duré trois années. Il est donc compréhensible que les victimes n’aient pas envie de se lancer dans la procédure. 

De plus, réussir à porter plainte représente déjà un parcours de la combattante. Entre les remarques déplacées et les refus de dépôt de plainte, il faut beaucoup de courage pour pousser la porte d’un commissariat. Des études sur l’accueil des victimes par les policières/policiers et gendarmes démontrent que ça relève de la loterie en termes de chance. Si elles/ils font partie des rares à avoir été formé·es, tout va bien ; mais si ce n’est pas le cas, c’est une autre histoire. Pourtant, le modèle belge de formation montre qu’il est possible de faire mieux. Mais pour cela, il faudrait une forte volonté des pouvoirs publics et des fonds. 

C’est ensuite une lutte qui s’enclenche pour que les femmes soient crues. On a encouragé les femmes à parler mais lorsqu’elles le font, la réponse est souvent pire que le silence. Comme le souligne Emmanuelle Piet : “La présomption d’innocence, oui. Mais nous on veut en face autre chose que la présomption de menteuse. On veut une présomption de crédibilité”. En bref, il semble presque dérisoire pour les associations de conseiller les victimes de se lancer dans cette démarche. 

Au-delà de la justice, l’accompagnement

Ensuite, bien qu’il soit vital que les victimes aient accès au soutien de professionnel·les, par manque de moyens cet accès est plus que fragilisé. Le nombre de femmes se tournant vers des associations de terrain a augmenté de façon exponentielle depuis #MeToo mais ce n’est pas le cas de leurs ressources. Les organismes se retrouvent donc incapables de répondre au réel tsunami de demandes. Les plages d’ouverture sont progressivement passées de tous les jours de 9h30 à 15h à trois demi-journées par semaine. Chaque année, 4 500 femmes ne parviennent pas à les joindre. 

Clémence Pajot, la Directrice de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des Femmes et des Familles (FNCIDFF), souligne également l’importance de l’existence de lieux physiques pour accueillir ces victimes. Il est important pour les CIDFF d’être au plus près d’elles, sur tous les territoires, pour leur offrir des conseils juridiques et un accompagnement. L’accompagnement peut être psychologique (puisque le secteur de la santé mentale est peu accessible) mais il peut aussi être dans l’insertion professionnelle. En effet, la réalité c’est que les victimes de violences sexuelles au travail sont souvent mises à la porte.

Emmanuelle Piet et Clémence Pajot constatent que les métiers de cet accompagnement vital sont très peu valorisés. L’absence de moyens est criante et met une pression très forte sur les aidant·es. Dernier exemple en date, le Ségur de la santé annoncé par le gouvernement visant à revaloriser les salaires de certain·es soignant·es en première ligne lors de la crise du Covid-19 de 183€ nets par mois ne sera pas accordé aux travailleuses/travailleurs qui accompagnent les victimes de violences sexistes et sexuelles sur le terrain :  “Alors même que l’égalité femmes/hommes est la grande cause du quinquennat, c’est un angle mort total de cette politique-là”

La nouvelle campagne de levée de fonds : #PlusJamaisSeules

Eva Mordacq 50-50 Magazine

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