Articles récents \ Chroniques Chronique L’Aire du Psy : La cour des miracles

Il y a eu Les SEGPA, ce produit scandaleux proposé en salle pour vomir de l’humour hanounesque, dégradant l’image de ceux, qui selon la rhétorique présidentielle, «ne seraient rien». Et puis, il y a La Cour des Miracles, sorti le 28 septembre. Ce sont Carine May et Hakim Zouhani, qui sont à la réalisation de ce magnifique film présenté à Cannes.

La Cour des miracles

Sous l’Ancien Régime, la cour des Miracles désignait ces espaces de non droit, où les infirmes qui mendiaient, retrouvaient leur intégrité physique la nuit venue. La Seine Saint-Denis incarne aujourd’hui bien souvent l’empire de la misère. Espace de luttes, de résistances, de créations également. Espoirs et désespérances ponctuent le quotidien de celles et ceux qui y vivent et y travaillent. Enseigner dans le 93, ne va pas de soi. Zahia (Rachida Brakni), la directrice, est appréciée et respectée. Les habitant.es et les élèves lui font confiance. Elle est un pilier de l’école. D’importants travaux immobiliers sont entrepris à proximité de l’école Jacques Prévert. L’espoir d’une possible mixité sociale est mise à mal par la sectorisation. Une nouvelle école va voir le jour. Les futur.es habitant.es scolariseront-ils leurs enfants dans l’école du poète ? L’enjeu est donc de rendre attractive l’école aux bobos, qui vont emménager.

Il est question de mixité dans ce film. Mixité genrée, mais surtout mixité des origines. Être Français.e dans le neuf trois, ça se voit. Ça se voit sur l’historique des photos de classes. La directrice a été élève de son école autrefois et petite fille, il y avait des blonds parmi ses camarades, des blonds comme sur l’affiche de la future résidence «Harmonie», un ilot de sociabilité où l’entre-soi va rassurer les futurs accédants à la propriété. Ils auront leur école avant-gardiste à l’architecture écologique et à l’esthétique audacieuse au milieu du complexe immobilier. L’école se nomme Georges Valbon. Ce nom à la consonance française est celui d’un ancien maire de Bobigny, lequel enfant, se faisait pourtant traiter de rital –les émigrés d’alors …

Le ghetto est-il le produit de ceux qui y vivent, comme tentent de nous le faire croire les discours d’exclusion ? Est-ce un choix que font les «étrangers» de se regrouper ? La dimension politique de la mixité sociale est ici interrogée. Le film commence dans les travaux. Les pelleteuses creusent. Que creusent-elles, sinon l’écart à venir. La lutte des classes est médiatiquement souvent qualifiée de révolue. Les désastres du communisme permettent de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’idéologie marxiste est déclarée révolue, tandis que l’écart entre l’enrichissement et la paupérisation s’accentue, que les pensées extrémistes gagnent du terrain et que clivages et séparatismes sont mis en scène par les médias propagandistes.

Quel plaisir de retrouver la romancière Faïza Guène (1), qui incarne de manière caricaturale une mère d’origine maghrébine et entend obtenir la dérogation pour l’école des riches. Faïza Guène est une romancière, qui fait partie des autrices qualifiées par Ioana-Maria Marcu (2) d’«auteurs intrangers», dont l’écriture se situerait «à la périphérie de la norme». Les parents d’élèves désireux que leurs enfants réussissent, réclament une dérogation pour l’école Valbon. Ils ont compris que l’avenir est ailleurs.

«La Cour des Miracles» est une comédie. On rit, on peut pleurer aussi devant ce constat terrible de la démission des autorités en Seine-Saint-Denis. L’inspecteur de l’éducation nationale sollicité par la directrice brandit le fameux «pas de vagues». C’est Marion (Anaïde Rozam), une nouvelle enseignante de l’école, qui impulse sa pédagogie de type Freinet. Elle va conquérir Zahia et va naître l’idée de rendre leur école attractive, en en faisant la première école verte. La résistance au changement est rude dans l’équipe. L’inspecteur avait brandi une solution, lorsque la directrice l’alertait sur la carte scolaire redessinée par un accord entre la mairie et le promoteur immobilier : « Pôle emploi ! Vous avez carte blanche madame Amaoui pour recruter ! » D’abord dépitée par cette lâcheté incarnée par son supérieur hiérarchique (Denis Podalydès), elle va recruter pour compléter l’équipe pédagogique. Outre l’enthousiasme de Marion et Zahia, quelques bras cassés prennent part à l’aventure. L’objectif inaugural est minimaliste : «partir de ce qui nous fait vibrer». C’est donc le désir qui prime bien en amont de la pédagogie. Le désir engendre le savoir. La plus réfractaire, c’est Ingrid, qui argue de son expérience de quinze ans dans l’école face à la nouvelle venue, qui prétend tout bouleverser. «Leur apprendre à lire, écrire, compter», voilà l’objectif d’Ingrid, qui résonne tellement de la récente tonalité blanquérienne de l’austère accès aux fondamentaux : une école de la République, qui maintient chacun.e dans sa condition sous des dehors apparemment raisonnables.

La Cour des Miracles est un film nécessaire pour retrouver l’espoir d’une possible lutte contre ce qui est présenté comme inéluctable. Lors d’une conférence, Edouard Philippe, ancien premier ministre, fait le constat que « pour éviter la colère d’Achille, il faut la ruse d’Ulysse ». Il poursuit en décrivant son étonnement face à «la colère sociale qui va exploser», d’avoir pu mener les ordonnances travail, la réforme de la SNCF, des universités « et ça passe », ponctue-t-il à chacune des mesures destructrices instituées, dont il égrène la liste. « On ne sait jamais laquelle des gouttes est la dernière. En revanche, on peut savoir si le vase est bientôt plein » ajoute t’il avec un cynisme glaçant. 

Souhaitons que ce film redonne du courage et de la lucidité à tou.tes pour tenter d’œuvrer à un projet sociétal plus humaniste. C’est par les femmes que le changement adviendra. Les hommes suivront au lieu de vouloir tout commander.

Daniel Charlemaine 50-50 magazine

1 Je l’avais découverte dans le documentaire «Nos plumes» de Keira Maameri.

2 Marcu (Ioana-Maria Marcu «L’écriture des auteurs « intrangers », Carnets, Deuxième série – 7 | 2016, (mis en ligne le 31 mai 2016).

3 Edouard Philippe aux Mardis de l’ESSEC, mardi 18 mai 2021.

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