Articles récents \ France \ Société Souâd Belhaddad : «Citoyenneté Possible ose le dialogue, même sur les sujets qui fâchent»
Citoyenneté Possible est une association fondée par Souâd Belhaddad en 2005. Depuis plus de 15 ans, son pilier central est le dialogue, une valeur fondamentale pour une « humanité lucide » plus respectueuse et soudée. La lutte contre la dévalorisation des femmes est une étape clé pour y parvenir.
Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder Citoyenneté Possible ?
A Citoyenneté Possible, nous avons une obsession. C’est celle du langage. C’est pour nous un élément de cohésion crucial. Il peut diviser ou fédérer, c’est un peu à double tranchant. On a tendance à l’oublier mais les mots ont un impact très puissant. C’est pourquoi, quand je me suis rendue compte que les discours haineux et discriminants se banalisaient, il y a de ça 15 ans, j’ai voulu y pallier. Le racisme et l’antisémitisme étaient de plus en plus décomplexés et à Citoyenneté Possible, nous pensons que c’est très dangereux. Quand on commence à se permettre de parler de la sorte des autres, ce qu’on fait vraiment, c’est les déshumaniser. Quand on perd conscience que l’autre est un·e humain·e, cela devient presque normal de lui taper dessus. En fait, le langage précède un passage à l’acte. Nous nous battons donc contre cet altérisme qui conduit à des drames.
Nous encourageons au dialogue entre groupes qui ne se comprennent pas pour qu’ils arrêtent de se voir comme “ l’autre ” mais plutôt comme une extension de soi. Aujourd’hui c’est un discours assez répandu et normalisé, et heureusement, mais à l’époque c’était assez novateur. A l’époque, on ne s’arrêtait pas sur les insultes employées. Celles qui m’ont toujours le plus choquée c’est “ ta mère la pute ”, “ nique ta mère ” ou encore “ sale bâtard ”. La société a clairement un souci avec les mamans. Les insultes se tournent toujours vers les femmes, même quand elles n’ont rien à voir avec la situation. D’un coup, l’adversaire change. A une époque, l’insulte à la mode c’était “ nique la police ” et, bien que très vulgaire, il faut reconnaître qu’au moins, cela voulait dire quelque chose. Le message est politique, l’adversaire est clair. Avec “ nique ta mère ”, c’est une autre histoire.
A qui vous adressez vous ?
Nous accompagnons les gens dans le renforcement de leur posture face à la parole stigmatisante et violente. C’est à dire que nous recevons beaucoup de professionnel·les qui sont dans des missions publiques comme des professeur·es, des surveillant·es, des assistant·es de vie scolaire, des conseillères/conseillers, des bibliothécaires, des animatrices/animateurs, etc. Ces personnes sont souvent mal payées et receptacles de paroles violentes auprès de publics souvent de mauvaise humeur. Nous voulons protéger ces professionnel·les. Nous sommes aussi très préocupé·es par la condition des femmes. Les violences envers elles sont croissantes et nous voyons que leur estime d’elles-mêmes en prend un coup.
Comment s’organisent vos formations ?
Justement, c’est une question qui fait peur à beaucoup de personnes avant de passer notre porte. Elles se font toutes une idée de comment ces formations se déroulent et ont peur de se retrouver face à un sermon plein d’injonctions détaché de leur réalité. Alors qu’en vérité, c’est tout l’inverse ! Nous avons trois principes que nous respectons à la lettre, les formations doivent se faire : en petit groupe de maximum 12 participant·es, avec des publics mixtes, donc nous mélangeons les jeunes avec les retraité·es par exemple, et surtout tout doit être du sur-mesure.
Quand c’est une formation sur trois jours, nous avons pour habitude de réserver la première journée à l’écoute. Chacun·e prend la parole pour exposer son problème avec ses mots. Souvent, elles/ils se rendent vite compte que tous leurs récits ont beaucoup en commun. Leur réalité est souvent la même que la personne assise à côté d’elles/eux. A Citoyenneté Possible, nous voulons qu’elles/ils s’en rendent compte d’elles/eux mêmes.
Le lendemain, nous partons des situations évoquées pour construire des mises en situation, des conseils et des apports théoriques. Nous ne commençons jamais une formation avec une morale en tête à placer à la fin. C’est aussi pour cela qu’il n’est pas rare que certain·es participant·es pleurent un peu. Mais ce ne sont que quelques minutes et c’est toujours pour repartir plus fort après. Il y a bien plus de rires que de pleurs et tant mieux. Le féminisme c’est censé être joyeux d’après nous. Pour défendre l’égalité femmes/hommes, nous nous battons pour fragiliser le plafond de verre. L’égalité des chances entre les femmes et les hommes n’est toujours pas atteinte et c’est une honte. Il faut accompagner les femmes pour qu’elles renforcent leurs postures. Maintenant, comme je l’ai dit, il n’y a pas de conseil universel ou de recette magique pour y parvenir et nous savons très bien que la route est encore longue.
Qu’est-ce que le féminisme méditérannéen ?
Citoyenneté Possible est une association financée par le Fond pour les Femmes en Méditerranée et c’est vrai que cela nous donne une casquette supplémentaire à porter. Les femmes qui viennent nous voir viennent parfois d’ailleurs et ce bagage est à prendre en compte. Le féminisme méditerranéen, pour nous, c’est un féminisme qui se doit d’être inclusif. Nous travaillons avec des femmes de tous les horizons et il faut garder à l’esprit l’aspect culturel qui en découle. Pour certaines d’entre elles, c’est parfois difficile de concilier leur culture et leur religion avec leurs valeurs féministes. Je ne saurais pas compter le nombre de fois où une jeune m’a dit, honteuse, qu’elle était super féministe mais que quand son père disait des choses sexistes, elle n’osait pas lui “rentrer dedans”. Ces filles, elles ont l’habitude de s’entendre dire “ bah il suffisait de l’envoyer balader ” alors que c’est loin d’être aussi facile. Notre féminisme fait que nous examinons toutes les facettes du problème et pas uniquement les diktats du féminisme le plus répandu.
Nous écoutons les femmes et les outillons en gardant en tête la pluralité de leur situation.
Propos recueillis par Eva Mordacq 50-50 Magazine
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