Articles récents \ France \ Politique Hélène Bidard : « Je souhaite que nous amplifions le travail de sensibilisation contre la prostitution des jeunes » 1/2
Hélène Bidard est adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes/hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire. Elle revient sur Paris la ville du quart d’heure, la revalorisation des métiers féminisés, les collèges de l’égalité, la lutte contre la prostitution des mineu·res, son travail avec l’Observatoire des violences faites aux femmes, ses projets sur l’égalité professionnelle…
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet Paris ville du quart d’heure ?
Le projet s’adresse avant tout aux femmes, parce qu’elles n’ont pas la même expérience au quotidien. Nous pouvons constater des progrès de génération en génération, mais ce sont encore les femmes qui vont le plus souvent chercher les enfants à l’école. Elles prennent également en charge les rendez-vous médicaux des enfants, dans 80% des cas selon les données de Doctolib. Elles se rendent aussi dans les mairies pour la caisse des écoles, les démarches pour la cantine, etc. Les femmes font souvent les déplacements du quotidien liés à un service public. Tout trouver à un quart d’heure de chez soi est un gain de temps et de charge mentale pour elles.
Nous continuons d’avancer sur ce projet, avec en parallèle, la poursuite de notre travail sur les questions de genre et d’espace public. Nous avions commencé sous l’ancienne mandature en faisant des marches exploratoires de femmes dans les quartiers. nous avons rénové des places de la ville de Paris, en introduisant des objectifs de prise en compte du genre dans le cahier des charges des architectes et des urbanistes.
Aujourd’hui, nous continuons cette démarche en faisant d’autres marches exploratoires, dans le cadre des programmes « Embellir votre quartier », portés par Jacques Baudrier, l’adjoint en charge de l’urbanisme, qui organise, avec l’association A places égales, le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) et les mairies d’arrondissements, des marches avec des femmes dans les quartiers concernés. Il reste des réticences sur les questions de genre et d’espace public dans les mairies de droite. Ce qui est paradoxal parce que les élu·es de droite nous parlent beaucoup du harcèlement de rue mais ne veulent pas entendre l’importance d’associer les femmes aux programmes d’aménagement urbains.
Y a t’il plus de places en crèche aujourd’hui ?
La problématique de la ville est davantage le recrutement de personnel de crèche qui sont pour la majorité des femmes. Et certaines places en crèche sont fermées notamment à cause de ce manque de personnel. Je pense qu’il y a un gros enjeu pour les crèches, comme pour d’autres secteurs, dans la revalorisation des métiers féminisés, des premières de cordée. Nous avons d’ailleurs organisé des évènements lors du dernier 8 mars sur la question des métiers et des travailleuses essentielles. Il y a une question de reconnaissance mais aussi de revalorisation des salaires et des compétences. Les conditions de travail sont très dures à cause du manque de personnel.
Il y a donc plus de manque de personnel et de difficultés à trouver ce personnel qu’auparavant ?
Oui, très clairement, comme les infirmières ou les sages-femmes. Paris va être touchée comme le reste du pays par la crise des vocations et l’usure liée aux conditions très difficiles de travail pendant la pandémie.
C’est un vrai sujet, les femmes ont été sur le pont pendant toute la pandémie de Covid 19, dans des professions très dures. Il faut aussi avoir en tête que le personnel de crèche est celui qui cumule le plus d’arrêts maladie liés aux problématiques du travail : des problèmes de dos, d’audition. La pénibilité n’est pas assez reconnue. Pourtant, je pense que c’est l’une des professions les plus pénibles parmi tous les emplois de la Ville de Paris.
Est-ce qu’il y a des projets pour l’éducation égalitaire ? Quels sont les collèges pour l’égalité ?
Concernant les projets pour l’éducation égalitaire, nous avons fait des expérimentations et des formations pour les professionnelles en lien avec les enfants et la jeunesse, mais aussi des actions comme la rénovation des cours d’école. Les cours Oasis, permettent de recréer des espaces pour les filles dans les cours, qui étaient jusqu’ici sujettes au monopole du football masculin ! Les cours OASIS permettent également d’organiser des activités plus mixtes, comme le jardinage. Il y a aussi des animations dans le périscolaire comme par exemple des tournois de football mixtes pour que les filles fassent autant de football que les garçons. Les animatrices et animateurs ont de nombreuses ressources pour travailler sur l’éducation à l’égalité. Il est vrai que le cadre périscolaire est assez souple et permet de faire beaucoup de choses. Former des animatrices et animateurs offre la possibilité de faire des choses intéressantes.
Nous avons lancé l’appel à projet » Collège pour l’égalité » pour l’année 2022-2023, qui permet de financer des associations pour intervenir sur l’éducation à l’égalité dans les collèges. Je souhaite que nous amplifions le travail de sensibilisation contre la prostitution des jeunes. L’âge d’entrée en prostitution est en moyenne de 14 ans, il s’agit de collégien·nes de quatrième et troisième. En France (dont beaucoup à Paris), nous sommes passé·es de 10 000 à 30 000 jeunes en situation de prostitution identifié·es, et c’est seulement la partie immergée de l’iceberg.
Il y a un important enjeu de prévention chez les jeunes. La loi de 2016 contre la prostitution a quatre piliers : permettre aux personnes en situation de prostitution de trouver des parcours de sortie, sanctionner les « clients », lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Le quatrième pilier, qui est central mais dont personne ne parle, concerne l’éducation à la non-marchandisation du corps. Il y a pourtant une pédagogie à développer, sur le fait qu’on n’achète pas le corps de l’autre et qu’on ne vend pas son corps, qu’on n’aliène pas un corps humain. Nous avons aussi constaté que les plateformes de pornographie explosent depuis le début des années 2000. Les enfants y sont exposé·es dès le plus jeune âge. Dès 9 ans, elles/ils sont abreuvé·es par ce libéralisme anti-femmes, sexiste, violent, barbare, humiliant, raciste. J’attends beaucoup des procès en cours contre des patrons de l’industrie pornographique, qui dévoilent un système de viol, de violences en tous genre, de proxénétisme, de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et d’actes de barbarie. J’espère que cela fera réfléchir dans la société.
Nous parlons d’actes de barbarie et des jeunes ont été exposé·es à ces violences sans contre-discours puisqu’il n’y a pas d’éducation à l’égalité femmes/hommes, à la non-aliénation de son corps et du corps de l’autre. Elles/ils sont donc exposé·es à l’uberisation la plus totale, on peut vendre son corps sur le net. Pour elles/eux il est normal d’acheter et de consommer n’importe quoi. Il y a une banalisation de l’achat et de la vente d’actes sexuels, sans qu’il y ait d’éducation à l’égalité, donc la situation est très grave. Nous allons donc financer des associations qui interviendront dans le cadre de » Collège pour l’égalité » sur ce sujet. Mais c’est une goutte d’eau face à une situation digne des scandales de l’industrie du tabac aux Etats-Unis. D’ailleurs, aux Etats-Unis, YouPorn a dû retirer 80% de ses contenus et il y a eu des peines de prison. Nous attendons donc beaucoup des procès et des missions conduites par les délégations des droits des femmes, notamment celle du Sénat, pour prévenir et mettre à l’abri les victimes.
Il est important de mettre en avant des études menées par l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, sur les parcours prostitutionnels des jeunes. Elles expliquent que les jeunes victimes ont tout·es le même parcours : ce sont des jeunes qui ont d’abord été des enfants victimes d’inceste ou de violences intra-familiales, souvent en situation de rupture familiale, des jeunes qui ont donc déjà un long parcours de violences qui les « prépare » à accepter pire, « aidé.es » également par des addictions à l’alcool et autres drogues. Ces fragilités se manifestent également à travers un fort taux de mutilations et de tentatives de suicide, des fugues voire le placement à l’aide sociale à l’enfance. Le premier petit-ami devient le proxénète. La prostitution commence souvent par un viol « initiatique » ultraviolent. Les jeunes, pour la plupart des filles, sont polytraumatisé·es et fonctionnent dans une totale dissociation du corps et de la raison.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine