Articles récents \ Culture \ Arts Le corps des femmes dans l’art

Des premiers vestiges préhistoriques à l’effigie du corps féminin ne représentant que des attributs sexuels disproportionnés, aux femmes dérangeantes de Jenny Saville, en passant par les toiles conventionnelles ou sulfureuses des peintres de la Renaissance, le corps des femmes reste souvent orchestré par le regard masculin. Il est perçu comme un objet pictural aussi fascinant esthétiquement que politiquement. Ce corps à la fois tentateur et pudique témoigne encore et toujours de la place accordée aux femmes à des époques données, répondant à l’injonction de beauté et aux fantasmes hétéronormés du patriarcat. L’érotisme dans l’art s’est toujours fait le reflet d’un siècle, de ses mœurs, de ses pratiques sexuelles, de ses codes et de ses désirs ainsi que de sa complexité dans son rapport au corps. 

Les scènes de bain du Moyen-Age ne sont pas qu’un simple témoignage de l’hygiène de vie de l’époque, mais bien des lieux de prostitution connus et reconnus par la Royauté à l’instar de l’Eglise qui possédait ses propres maisons closes.  « Jouir en payant n’était pas péché » d’après ces messieurs en soutane, cerbères d’une certaine morale rigoriste. Alors, pourquoi se priver de chair fraiche et de taxes prélevées à chaque passe ? Cet impôt contribuera à la coûteuse édification de la chapelle Sixtine. L’exploitation du corps des femmes existe au sortir du Néolithique avec l’instauration du système patriarcal. La traite des femmes existait déjà sous l’Antiquité. Le pornikon, tribut prélevé dans les lupanars grecs, sur chaque acte sexuel, donnera le mot pornographie.

A travers les âges, les femmes ont fait l’objet d’un rapport de fascination et de répulsion : elles passionnent, attirent, excitent mais on les cache et les méprise. Longtemps l’interdiction de peindre des nus, en raison de la morale religieuse, a été contournée à travers la représentation abondante d’allégories, de déesses alanguies et sensuelles. Sous la Renaissance et la remise en cause de l’Église catholique, la société commence à sortir de l’idée selon laquelle le corps des femmes serait « péché ». Des gravures plus obscènes représentant l’acte sexuel, circulaient secrètement en raison des pressions et menaces du Clergé. Les peintres n’hésitaient plus à mettre en valeur leurs maitresses. Ces courtisanes, d’apparence si élégantes et raffinées, du Tintoret ou d’Engelhart cachaient, pourtant, un quotidien misérable dont le seul moyen pour survivre en dehors du mariage ou du couvent, était de se vendre. L’enlèvement des Sabines de Nicolas Poussin ou le rapt de Proserpine du sculpteur Le Bernin, représentaient des scènes sous-jacentes de viol qui faisaient fantasmer ces Messieurs. 

Ce regard masculin de dominant / dominée témoigne principalement d’une mainmise sur ce corps obsédant et sur sa descendance. En 1804, Napoléon 1er infériorise les femmes juridiquement dans son code misogyne. Les femmes et le fruit de leurs entrailles sont la propriété du mari, elles lui doivent obéissance, il n’existe pas de viol entre époux. Les femmes ne disposent d’aucun droit même sur leur propre corps. Celui-ci ne lui appartient pas et se résume à l’utilisation de son utérus à des fins économiques, pour assurer sa lignée et par-delà, l’ego masculin.

La banalité de l’inceste et de la pédocriminalité

Ainsi, parmi les toiles post-impressionnistes de Paul Gauguin et celles, figuratives de Balthus, il n’est pas rare de voir des adolescentes poser comme modèles. Le spectateur joue le voyeur en s’extasiant devant cette jeunesse découvrant la sexualité à travers le regard lubrique de l’artiste âgé. Cette pratique était normalisée à l’époque. Les peintures badines de François Boucher ou d’Honoré Fragonard offraient des jeunes filles à peine pubères dévoilant innocemment poitrines, fessiers ou cuisses. L’inceste et la pédocriminalité demeuraient d’une banalité sans précédent.

Des peintres comme le préromantique Francisco de Goya avec Sa Maja nue ou Edouard Manet et sa scandaleuse Olympia proposent ainsi des visions plus transgressives et provocatrices en portraitisant des femmes qui aiment être vues, et plus encore être vues nues. Ces modèles semblent ainsi dialoguer avec le désir du spectateur à travers leur regard en les interpellant. Dans ces tableaux, le modèle défie son public mais aussi l’artiste, ce qui est une forme de pouvoir, celui de la séduction. Peut-on y déceler une certaine forme d’émancipation ? Le saphisme et les relations lesbiennes étaient autorisés en termes de représentations académiques, puisqu’elles appartenaient au registre des fantasmes masculins.

Et que dire du lascif courant de l’Orientalisme, avec ces visions de harems, de femmes dociles aux poses lascives, totalement à disposition de ces messieurs. Il faudra attendre les années 70 pour que les femmes se réapproprient leurs corps et l’exhibent en tant que support de l’œuvre. Marina Abramovic, Ana Mendieta ou Valie Export affichent des corps martyrisés, souillés, humiliés par le patriarcat lors de leurs performances artistiques. Louise Bourgeois ou Orlan s’attaquent au pénis, symbole de force et de virilité, en les exposant comme de simple morceau de viande. Le gâteau de la mariée de Penny Slinger offre une série de photographies où l’artiste portant un voile blanc immaculé offre sa virginité comme douceur à partager.

Aujourd’hui, on observe une prise de conscience globale du patriarcat et de son modèle économique d’exploitation des femmes. L’art, comme mode d’expression et de communication, n’y échappe pas. Le cisgenre n’a plus la cote, le nu académique encore moins.  Cependant, le corps des femmes a fait, fait et continuera de faire l’histoire de l’art… en comptant désormais avec des codes féminins !

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Photo de Une : Statuette féminine du Paléolithique (Préhistoire)

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