Articles récents \ France \ Politique Fanny Benedetti : « Aucun pays ne prend le leadership sur l’égalité femmes/hommes ni dans l’Union Européenne ni ailleurs »

Le Forum Génération Egalité (FGE) s’est tenu à Mexico entre le 29 et le 31 Mars et à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021. Un an plus tard, pour marquer ce temps fort de la diplomatie féministe, ONU Femmes France a lancé Génération Égalité Voices, une initiative visant à mobiliser le grand public et valoriser les associations féministes. Fanny Benedetti est la directrice exécutive d’ONU Femmes France.

Pourquoi le Forum Génération Egalité a t’il été également appelé Pékin + 25 ?

La génération qui a 25 ans maintenant n’a pas connu l’immense dynamique d’espoirs féministes qu’a été la conférence mondiale des femmes de Pékin en 1995. La conférence de Pékin s’est conclue avec un programme ambitieux en douze points et des feuilles de route assez précises. Or entre temps les rapports de force sur les enjeux d’égalité ont énormément changé.

Dés le début des années 2000, les pays de l’Union européenne ont été plus occupés à faire grandir l’Union qu’à faire avancer les droits des femmes dans le monde. L’arrivée de nouveaux pays membres comme la Hongrie, la Pologne et Malte en 2004 et 2007 a créé des dissensions internes au sujet des droits sexuels et reproductifs. L’UE n’était donc plus en mesure de parler d’une seule voix sur ces sujets dans les discussions à l’ONU. Comme aucun autre Etat ni groupe d’Etats ne se sont emparés du sujet, la réaction des pays les plus avancés comme la Suède, les Pays Bas et la France a été de refuser d’organiser une cinquième conférence mondiale en 2005 car ils craignaient de faire globalement régresser les avancées de Pékin. De nombreuses ONG partageaient ces réticences, mais force est de constater que même vingt ans après Pékin, les rapports de force restaient inchangés et globalement en défaveur des droits des femmes à l’échelle du monde. Cependant on ne pouvait pas laisser passer l’année des 25 ans de la Conférence Mondiale des femmes sans rien faire. Un groupe de pays décidés à faire avancer l’égalité s’est donc rassemblé en marge des institutions onusiennes pour échapper au principe « un pays = une voix » qui provoque de continuels blocages. Contrairement à la Commission sur la condition des femmes qui se réunit chaque année avec une recherche de consensus paralysante et dont les résultats manquent d’ambition et d’intérêt, le Forum Génération Égalité a fait le choix d’inviter tous les Etats prêts à s’engager au niveau national et au niveau international pour faire avancer l’égalité.

Pourquoi le Mexique et la France pays ont-ils été partenaires dans le cadre du FGE ?

ONU Femmes a pris l’initiative de cette rencontre avec pour objectif de faire participer la société civile, comme à Pékin en 1995, où 30 000 militantes s’étaient retrouvées, malgré la mauvaise volonté du gouvernement chinois et les difficultés logistiques. Les pays hôtes le Mexique et la France, qui devaient être juste le cadre de ces rencontres ont voulu devenir partenaires, et se sont donc impliqués dans la gouvernance, ce qui a permis de créer une structure originale : une coalition d’actions, avec des objectifs, devant produire des résultats tangibles, comme les conclusions des sommets du G7 et du G20. Un groupe de coordination « core group » constitué de 21 personnes représentant toutes les composantes de la société civile, a été chargé de définir les cadres et les sujets des discussions. Évidemment la constitution de ce groupe a déclenché de houleux débats et provoqué de fortes frustrations. Les douze thèmes de la conférence de Pékin ont été regroupés en six sujets, et un autre groupe de coordination a été constitué pour représenter les intérêts de la jeunesse

Que s’est-il passé après le Forum Génération Egalité ?

ONU Femmes a assuré le suivi et fait dés le mois de juillet 2021 un rapport sur l’état d’avancement, puis en décembre 2021 une consultation en ligne sur les indicateurs de redevabilité, ce qui a permis de publier en mars 2022 une liste des indicateurs et un cadre de redevabilité. Il y a en tout 2703 projets portés par 1007 actrices et acteurs de la société civile.

 Alors qu’aucun  groupe d’Etats n’est suffisamment engagé politiquement sur la scène internationale, ONU Femmes présentera, en septembre 2022 à l’Assemblée générale des Nations Unies, un rapport sur les progrès accomplis d’autant plus remarquables qu’ils s’inscrivent dans une dynamique mondiale de régression. Le portage politique manque en effet cruellement aux actrices et acteurs de la société civile qui se sont lancé·es dans ces projets : aucun pays ne prend le leadership sur l’égalité femmes/hommes ni dans l’Union Européenne ni ailleurs. Donc les plans d’action sont sans portage politique, car ONU Femmes ne peut pas être redevable d’engagements financiers des parties externes. Il faudrait du courage politique de la part des Etats qui portent le sujet.

Que pensez-vous qu’il puisse se passer en France et dans le monde après la décision de la cour suprême des Etats Unis d’interdire l’IVG ?

La décision récente de la Cour suprême des USA contre le droit à l’IVG va forcer les autres Etats à se positionner. On va peut-être assister à un sursaut. La France est très attendue sur ce sujet, et si elle inscrit le droit à l’IVG dans la constitution, comme l’ont proposé ses gouvernantes, cela pourrait être un signal fort sur la scène internationale. Cela pourrait motiver d’autres pays à consolider leurs avancées : le Chili, la Colombie, l’Argentine, l’Irlande devraient former un groupe pour renverser la tendance actuelle de recul des droits sexuels et reproductifs.

Mais en Europe les opinions publiques croient que l’égalité est acquise, du coup d’autres sujets sont arrivés sur le devant de la scène : les luttes LGBT avec en particulier le choix de son identité de genre, ce qui a un peu invisibilisé les droits des femmes et en particulier des lesbiennes. Mais il y a toute une partie de la population, en particulier en Europe du Sud dans lesquelles ces préoccupations sont absentes.

Le Forum Génération Égalité a donné l’occasion à différents groupes féministes de se rencontrer et d’entrer en dialogue les uns avec les autres, alors qu’ils étaient plutôt habitués à s’affronter. C’est aussi un des acquis du FGE

Le droit à la libre disposition de son corps revendiqué dans la lutte pour l’accès à l’IVG enclenche une dynamique qui peut mener jusqu’au droit à la Grossesse Pour Autrui (GPA), même si la libre disposition de son corps est faussée par la contrainte économique.

Pensez-vous que les médias ont suffisamment suivi le FGE ?

Lors de la cérémonie d’ouverture du FGE de nombreux chefs d’Etats étaient présents, mais les retombées médiatiques sont restées très modestes. L’épidémie a empêchée la tenue d’une grande conférence militante et découragé les médias de rendre compte de ce qui, malgré tout, a quand même eu lieu.

Désormais chaque année le FGE aura lieu en même temps que l’Assemblée générale ordinaire des Nations Unies. Espérons de meilleures retombées médiatiques et de réelles avancées féministes.

Quel est l’objectif de Génération Egalité Voices ?

En mars 2022, un appel à projets a été lancé dans de nombreux domaines complémentaires : violences basées sur le genre, justice et droits économiques, autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle, action féministe pour la justice climatique, technologies et innovations pour l’égalité de genre, action humanitaire, culture, éducation, sport. L’objectif est de mobiliser le grand public, soutenir l’engagement citoyen et de mettre en valeur les associations féministes. 

92 initiatives ont obtenu le double label Génération Égalité Voices / ONU Femmes France. Parmi ces projets, le comité de sélection a d’ores et déjà choisi les lauréats des différents prix : Accélérateur d’Égalité, Résilience et Jeunesse. Ils seront décernés ce vendredi 1er Juillet.

Propos recueillis par Florence- Lina Humbert 50-50 Magazine

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