Articles récents \ France \ Économie L’illusion de l’égalité salariale 2/2
Les stéréotypes et les préjugés de genre commencent dès la naissance et se perpétuent dans le cercle familial et environnemental puis dans le milieu scolaire où le principe d’égalité entre les filles et les garçons, inscrit dans le code de l’Education, est censé être respecté et appliqué en matière d’orientation. Encore aujourd’hui, ceux-ci perdurent dans le choix de l’enseignement supérieur. Réputées faibles en mathématiques et en sciences, elles ne sont que 29% à choisir une formation d’ingénieure et 31% suivent une classe prépa scientifique. L’idéal méritocratique français reste ancré dans les mentalités que ce soit sur les bancs de l’école qu’au sein de l’entreprise. Or, de nombreuses études démontrent que ce principe de justice n’existe pas, la méritocratie n’étant qu’un discours utilisé par les dominants pour légitimer leur suprématie et nier l’existence même du mérite. Ainsi, les filles méritantes issues des classes moyennes ou populaires seront rarement admises dans les grandes écoles, voies royales pour accéder à des carrières plus prestigieuses.
Un système de classification inégal
Le système de classification, de pondération ou d’évaluation qui détermine la grille de salaire, continue de leur être défavorable. A titre d’exemple, le coefficient de classification du métier d’aide-soignante est identique à celui d’un ambulancier. Or, l’obtention du diplôme d’Etat d’aide-soignante exige une formation obligatoire de 41 semaines par comparaison à la formation sommaire d’ambulancier limitée à 18 heures. Les métiers d’infirmièr·e spécialisée et d’informaticien·ne sont classés tous deux en catégorie 2 mais sont dotés de coefficients différents. Ainsi, un·e infirmière anesthésiste, de niveau master avec 2 ans d’expérience professionnelle, se verra attribuer un coefficient 477 alors que la/le titulaire informaticien·ne ne possédant qu’une maitrise avec deux ans d’expérience, aura un coefficient de 590. Pour rappel, la part des femmes infirmières est de 87,7% et celle des hommes techniciens informaticiens de 88,3%. Une révision des grilles d’évaluation et des classifications s’impose afin d’obtenir une égalité salariale.
En moyenne, les écarts de salaire sont de 16,5%. Les femmes cadres de plus de 55 ans perçoivent une rémunération inférieure de 13% et leur salaire stagne dès l’âge de 30 ans contrairement à leurs homologues masculins. Leur taux d’activité est inférieur à celui des hommes pour les 25-49 ans alors qu’elles sont plus diplômées qu’eux (31% de filles ont un niveau master, doctorat ou grandes écoles contre 22% des garçons).
La maternité, un frein à l’évolution de carrière
La candidate, à qualifications égales, sera vite confrontée à un plafond de verre. Elle pourra difficilement accéder à un poste de dirigeante en raison des mentalités qui peinent à évoluer. Considérée de fait comme étant moins disponible en raison d’éventuelles maternités et de futures obligations familiales, son évolution de carrière deviendra plus lente. La grossesse est généralement perçue négativement par l’employeur. Elle pourra se voir écartée des projets entrepreneuriaux. Certaines ne retrouvent pas leur poste initial à leur retour de congé maternité. Les jeunes mères deviennent souvent la cible de réflexions peu amènes lorsqu’elles s’absentent pour enfant malade ou doivent justifier le départ de leur lieu de travail pour récupérer leurs enfants. Une discrimination liée à la maternité donc au genre totalement inacceptable. Dans un souci d’équilibrer les absences liées au congé maternité, le congé paternité a été allongé de 7 à 28 jours en juillet dernier. Il faut attendre les statistiques pour vérifier si les hommes ont pris ce droit et si la mentalité des recruteurs a évolué. La paternité reste pour beaucoup de pères une option. La maternité reste un frein à la carrière de la femme et induit une augmentation non négligeable de sa charge mentale en sus du travail domestique qui lui est réservé (3h20 par jour contre 2h pour les hommes). Ce travail gratuit et invisibilisé se chiffre à près de 20.000 € par an.
Le plafond de verre et la paroi de verre
Statistiquement parlant, 32% de femmes occupent des postes de dirigeante en France contre 40% en Europe. Si elle se hisse à un poste élevé, elle se heurte aux parois de verre cantonnant le poste occupé dans des départements non stratégiques tels que l’administration ou la communication. Les femmes cadres ne sont que 35% à gérer une équipe de plus de 10 salarié·es. Lorsqu’elles accèdent à des fonctions de management, leur poste s’apparente à un management de proximité. Les remarques dévalorisantes, les blagues sexistes, les faits d’harcèlement ou d’intimidation sont plus importants dans les secteurs à dominance masculine. 74% des femmes en politique ont été confrontées à des remarques ou attitudes sexistes au cours de leur mandat afin de les décourager.
Etant donné leur difficulté non seulement d’accéder aux conseils d’administration et de surveillance dans les grandes entreprises mais encore d’occuper une place dans le Comex, la loi Copé-Zimmermann du 27/01/2011 a dû imposer un quota de femmes de 40 %. Ces dispositions ont été confortées par la loi du 04/08/2014 qui interdit l’accès aux contrats de commandes des trois fonctions publiques pour les entreprises ne respectant pas les exigences d’égalité professionnelle. Grâce à ces mesures législatives, obligatoires dans la fonction publique mais seulement recommandées pour les entreprises privées, la parité a progressé. On est passé de 10,7% en 2009 à 44,9% en 2021 pour la part de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40, de 26,1% en 2009 à 45,2% en 2021 pour les 120 premières entreprises cotées en bourse (SBF120). Pour le comité exécutif du SBF120 (1), du chemin reste à faire : de 7,3% en 2009, elles sont présentes pour 21% en 2021. La récente loi du 24 décembre 2021, concerne l’imposition de quota de femmes à hauteur de 40% dans les entreprises de plus de 1000 salarié.es à des postes de dirigeant.es d’ici 2030. Dès le 1er mars 2023, ces grandes entreprises devront publier les écarts salariaux entre les femmes et les hommes. Il était temps car plus on s’élève dans les très hauts salaires, moins les femmes y sont présentes (9% dans le Top 1000 des salaires les mieux rémunérés).
Alors, même si des avancées notables ont été réalisées en matière d’égalité salariale, celles-ci stagnent depuis 20 ans en dépit des interventions récurrentes du législateur et semblent être devenues structurelles. Les Françaises, quel que soit leur secteur d’activité, devront franchir des obstacles liés à leur genre et n’auront jamais la même carrière que celle des hommes. Les inégalités se sont recomposées avec une ségrégation qui se veut horizontale (origine sociale, type d’études, secteur d’activité, métiers) et verticale (position hiérarchique, plafond de verre). La société française continue de juger le travail des femmes différemment de celui des hommes et de les considérer comme des rivales. Le poids des stéréotypes de genre et l’importance de l’éducation octroyée dès le plus jeune âge dans le cercle familial mais aussi à l’école perpétuent ces inégalités. De manière générale, les salariées doivent constamment prouver leurs qualités et leurs capacités car nées femmes. Les femmes ne doivent pas être estimées comme des concurrentes sur le marché du travail mais comme une source de création de richesse au même titre que les hommes.
Une autre question se pose : afin que les hommes arrêtent de prendre les femmes pour des imbéciles, doivent elles changer leur mode de communication ? Faut-il casser des vitrines lors de manifs, renverser du fumier devant les préfectures, bloquer les péages sur les autoroutes, kidnapper des chefs d’entreprise pour faire pression, faire la grève de la faim voire prendre les armes pour enfin changer ce modèle économique qui dure et perdure depuis des millénaires ? Les femmes n’ont rien à perdre dans cette bataille car beaucoup d’entre elles ont pris conscience de ce mécanisme de domination sans compter celui de leur effacement systémique de l’histoire.
A bon entendeur…
Laurence Dionigi 50-50 Magazine
1 Le SBF 120 est un indice boursier de la bourse de Paris
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