Articles récents \ France \ Société Une petite entreprise transformée en harem par un violeur multirécidiviste
Lors du procès de ce chef d’entreprise qui a eu lieu du 4 au 9 Avril, ce sont dix années d’abus de pouvoir et de violences qui sont péniblement reconstituées devant la Cour d’Assises de Melun. Les dépositions se ressemblent toutes : des employées jeunes, un chef très autoritaire, sexiste et méprisant pour ses collaboratrices.
Leur quotidien est décrit par les témoins à la barre avec une épuisante constance : leur chef tenait des propos à connotation sexuelle dégradants, commentait leurs tenues, jetait intentionnellement des objets au sol pour les voir se pencher pour les ramasser, et plus grave, provoquait des têtes à têtes lors desquels il les agressait sexuellement. Cette entreprise, agence d’un groupe dont le siège se trouve dans les Hauts de France connaît un turnover extrêmement rapide de secrétaires et d’assistantes administratives, toutes, sauf deux exceptions en quinze ans, âgées de moins de trente ans au moment de leur embauche. Pour la plupart de ces femmes, c’est la première expérience professionnelle. La direction du groupe s’était même étonnée du recrutement de ce chef d’agence qui ne s’entourait « que de belles nanas » et n’avait pas jugé utile de tenir compte d’un main courante pour agression sexuelle déposée préalablement. Seule l’assistante recrutée lors de la fondation de l’agence en 1990, âgée de 50 ans et entre-temps décédée avait osé se tourner vers la police.
Sa déposition a été relue au cours du procès de 2022 et elle y décrit une tentative de viol dans les escaliers de l’entreprise, viol auquel elle a échappé en se débattant physiquement avec l’agresseur. Cette femme a indiqué dans sa déposition avoir été mannequin, elle était donc particulièrement grande, ce qui peut expliquer sa supériorité physique. Lorsque la direction du groupe a appris l’agression dont elle avait été victime elle ne lui a témoigné aucune solidarité, lui intimant de s’entendre avec son chef d’agence, car entre elle et lui, c’était lui qu’on protégerait.
Plusieurs autres employées décrivent des attouchements du chef qui se plaçait derrière elles lorsqu’elles étaient assises à leur bureau pour toucher leurs cheveux, d’autres des agressions sexuelles dans les couloirs, sans compter de multiples allusions à leur tenue et à leur vie sexuelle, créant une atmosphère de harcèlement sexuel continu.
Il se pavane volontiers au restaurant avec trois jolies femmes à ses côtés, insistant pour inviter ses victimes ensemble lors de certains de ces déjeuners, à d’autres moments les isolant les unes des autres.
Dix ans de viols répétés, de parole verrouillée
Le procès pour viol a été déclenché par une des victimes âgée de 24 ans au moment de son embauche et violée quelques semaines après lors de la pause de midi, plaquée contre une photocopieuse. Terrassée de peur et de honte, elle n’avait rien dit. Au fil du temps, pendant 10 ans, les viols se répètent. Elle manifeste son refus, se débat physiquement contre lui, mais de par sa fonction dans l’entreprise, fait de nombreuses heures supplémentaires en restant tard à son bureau avec lui. Il la viole dans les locaux de l’entreprise désertés à cette heure. Lors de déplacements en voiture avec son chef, elle est à sa droite sur le siège passager, il l’attrape par les cheveux et lui impose des fellations. Il réserve pour elle et lui une seule chambre d’hôtel lorsqu’ils sont en déplacement à un congrès professionnel. Les autres participant.es sont logé.es dans un hôtel à proximité du lieu du congrès, alors que son chef a réservé séparément dans un hôtel d’un standing plus élevé, situé dans la campagne environnante, pour elle et lui. Elle découvre une fois sur place qu’il n’y a qu’une chambre pour eux deux.
Pendant ces 10 ans la santé de la victime n’a cessé de se détériorer. A l’occasion de plusieurs fausses couches et de la naissance d’un bébé mort-né, elle doit être mise en arrêt maladie. Lors de certains de ces arrêts de travail pour maladie il lui rend visite à son domicile sous le prétexte de lui apporter du travail et y commet d’autres viols. Pour verrouiller sa parole, il rend toute solidarité impossible entre ses victimes. Cependant certaines se protègent les unes les autres en évitant de laisser l’une d’elles seule avec lui. La victime étant sa principale assistante, son « bras droit » comme il aimait à le répéter elle ne peut participer à cette stratégie qu’en étant active pour les autres, mais elle n’en bénéficie pas.
Durant dix ans elle ne dit rien, se résigne, subit en silence, espérant à chaque accalmie que cela ne se reproduirait plus. Puis, en 2013, une autre des employées de l’entreprise signale à l’inspection du travail et à l’employeur, qu’elle avait subi une agression sexuelle de la part de son supérieur hiérarchique direct, et la direction du groupe a été contrainte par l’inspection du travail de faire une enquête et de protéger les salariées. Le chef d’agence est alors licencié puis mis à pied fin janvier 2014. Cet événement a déclenché chez la victime une forte émotion : elle a compris que son agresseur n’était pas intouchable et a osé, elle aussi, prendre la parole et porter plainte. Ce n’est qu’en 2020 qu’a lieu le premier procès, il est alors condamné à 5 ans de prison et fait appel. Le procès en appel se tenait en avril 2022, presque 20 ans après le début des viols.
De la plainte au procès : un autre parcours de la combattante
Les dépositions sont relues et les témoignages de plusieurs fonctionnaires de police réentendus. Leur bonne foi et leur maladresse permet de faire aussi le procès du traitement judiciaire des viols et des violences faites aux femmes en général. L’un des fonctionnaires raconte qu’il n’a été que 18 mois au poste où il recevait les dépositions de violences sur les personnes. Il n’a pas eu d’autres plaintes pour viol que celle-ci à recevoir et à traiter. Il n’avait aucune formation spécifique pour le faire.
La première audition de la plaignante a duré quatre heures. Le fonctionnaire de police qui s’en était chargé a eu peu après un arrêt de travail pour longue maladie, il n’a pas été remplacé. Plusieurs mois après son collègue, le policier appelé à témoigner, avait dû reprendre ce dossier. Pendant tout ce temps, ni les témoins ni le prévenu n’ont été entendus, situation angoissante et désespérante pour la victime.
Aucune autre victime ne porte plainte, certaines refusent même de venir témoigner. On mesure la terreur sous laquelle elles sont maintenues dans le silence et le degré de résignation de ces femmes, ex-employées de l’agence, dans une vie professionnelle marquée par les menaces et les viols. Elles se désolidarisent ou se distancient, sans doute pour se protéger.
La défense du prévenu se base essentiellement sur de soi-disant « relations » qu’il aurait eues avec plusieurs de ses subordonnées, parfois en même temps, et tout en étant en même temps marié avec deux femmes successivement. Son avocat entre dans le détail des pratiques sexuelles que les victimes auraient subies ou acceptées de leur plein gré. Il tente d’utiliser la déposition du conjoint de la victime pour accabler celle-ci. Durant tout le procès la victime écoute et subit ces descriptions minutieuses et ces allusions inquisitoires. Elle entend la victimisation de son agresseur, qui ne cesse de répéter de façon indécente qu’il l’aimait, et subit une véritable mise à nu de sa vie intime, en particulier par l’interrogatoire de l’avocat du violeur, qui a relu le procès verbal de sa plainte en la questionnant sur chacune de ses dépositions. Un sixième jour d’audience doit être rajouté pour parachever une semaine déjà éprouvante.
Le verdict tombe enfin : la peine est augmentée, le violeur est condamné à neuf ans de réclusion criminelle. La victime se sent enfin reconnue. Au bout de vingt ans.
Florence-Lina Humbert 50-50 Magazine
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