Articles récents \ Monde \ Europe Comment la solidarité féministe peut-elle aider l’Ukraine ?
Le 10 mai 2022, Haymarket Books, une maison d’édition états-uniennes indépendante, organisait une table ronde. Étaient présentes Yuliya Yurchenko, Oksana Dutchak, Wonda Powell et Sasha Talaver, des féministes venant des quatre coins du monde. Elles répondaient aux questions de Frieda Afary, une libraire traductrice américano-iranienne. Ensemble, elles se sont questionnées sur ce que le féminisme peut faire pour aider l’Ukraine.
Depuis le début de la guerre, le 24 février 2022, il est difficile pour les féministes de voir les événements comme étant autre chose que l’apothéose de la violence misogyne. C’est pourquoi la résistance doit être féministe, comme le souligne Frieda Afary. Les féministes ukrainiennes ont non seulement pris les armes pour défendre leur pays sur le front, mais ont aussi participé aux soins médicaux, à la production de nourriture, à la communication ou encore à l’élaboration de stratégies. Quant aux féministes russes, elles ont organisé la résistance anti-guerre en combattant la propagande et la désinformation mises en place par le gouvernement. Toutefois, il faut noter que les Russes ont une marge de manœuvre moindre. La répression est en effet sévère dans leur pays. La police fait taire les activistes avec de nombreuses arrestations.
Il faut malgré tout agir. Toutes les intervenantes sont d’accord, il n’est pas uniquement question de la survie de l’Ukraine mais aussi du présent et du futur des droits de toutes les minorités : les femmes, les personnes de couleur, la communauté LGBTQIA+, etc. Le sort de l’Ukraine est en effet déterminant pour le futur de l’humanité.
Pourquoi se battre ?
Wonda Powel, une professeure états-uniennes spécialisée sur les questions ethniques, commence par faire le point sur la situation mondiale. Selon elle, un certain sentiment de désespoir s’est installé ces dernières années. La possibilité d’une troisième guerre mondiale plane et l’impuissance face à une telle violence semble s’installer. Ce n’est même pas une guerre de souveraineté que mène Poutine, mais un nouveau génocide. Une guerre génocidaire qui s’inscrit dans la longue lignée des massacres de l’Histoire de l’humanité. La professeure souligne l’importance de s’éduquer pour que l’Histoire ne se répète pas. Poutine est un souverain totalitaire qui en voudra toujours plus. C’est pour cela que l’activisme doit s’organiser et faire mieux que jamais.
Avant la guerre en Ukraine, il y avait 60 millions de réfugié·es dans le monde. Ces migrant·es ont dû fuir leur pays à cause de guerres, d’épidémies ou encore du changement climatique. Depuis le début de la guerre, à ces 60 millions sont venu·es s’ajouter 5.8 millions d’Ukrainien·nes. Malgré tout, Yuliya Yurchenko, une autrice britannique, souligne que toutes/tous les réfugié·es ne sont pas traité·es de la même manière. Certain·es sont accueilli·es les bras ouverts alors que d’autres restent coincé·es aux frontières, souvent malmené·es par des pays qui ne veulent pas d’elles/eux. Seul le féminisme intersectionnel peut venir à bout de ces violences. Il faut que dans ce combat, chacun·e soit prêt·e à s’écouter mutuellement et à apprendre de l’autre, sans laisser personne derrière. Elle voit cette nouvelle guerre comme un test de solidarité.
Sacha Talaver, une doctorante passionnée de l’histoire de l’Union Soviétique et d’études de genre, appuie cet argument en expliquant que se battre contre Poutine, c’est se battre contre les oligarques. Ces mêmes oligarques qui financent tous les mouvements anti-avortement, anti droits LGBTQIA+, etc. Se battre contre l’invasion de l’Ukraine revient donc à se battre contre toutes formes d’oppressions anti minorité. C’est précisément ce que fait le féminisme universaliste. Oksana Dutchak, une sociologue ukrainienne aujourd’hui réfugiée, met quant à elle l’accent sur les conséquences que cette guerre va avoir, et a déjà, sur le monde. Il y a de nombreuses dimensions à prendre en compte. Dans l’immédiat, le monde entier sent déjà les répercussions économiques. L’Ukraine a un rôle crucial dans l’exportation alimentaire pour notamment l’Europe et l’Afrique. Les conséquences sont mondiales.
Comment aider ?
Yuliya Yurchenko souligne l’importance d’écouter les victimes de cette guerre. Elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin. Avant de proposer une aide, il faut donc se demander si c’est bien ce dont elles ont besoin. Elle met aussi en garde sur les pièges tendus aux femmes arrivant dans les pays frontaliers où elles viennent se réfugier. Nombre d’entre elles disparaissent ou se retrouvent enrôlées dans des réseaux de prostitution. Les proxénètes profitent de la vulnérabilité de femmes sans abri et sans patrie pour abuser d’elles : c’est de la traite des êtres humains. Ce qui est très difficile à prouver devant les tribunaux dans les pays où la prostitution est légale. C’est inacceptable et c’est la responsabilité de chacun·e de s’assurer que les réfugiées ne rejoignent pas les pays frontaliers pour trouver une vie encore plus horrible que dans leur pays d’origine. La meilleure façon de s’en assurer, c’est d’être présent·e sur le terrain. Se rapprocher d’associations locales pour organiser l’accueil, l’hébergement et le suivi des réfugié·es reste la meilleure façon de les aider à l’heure actuelle. Il faut aussi continuer à se mobiliser pour approvisionner les organisations humanitaires. La seule manière de se procurer beaucoup de produits en Ukraine, c’est au travers de ces dons. Les commerces sont souvent vides sans cette aide humanitaire internationale.
Enfin, il a été souligné que le pacifisme a ses limites. Sacha Talaver comme Oksana Dutchak confessent avoir beaucoup réfléchi à leurs positions anti-guerre ces derniers mois. En effet, la résistance pacifique n’est pas vraiment une option en Ukraine. Et ça, les deux jeunes femmes l’ont bien compris. Oksana Dutchak, la réfugiée ukrainienne, admet qu’elle dépend aujourd’hui des forces armées, qu’elle a pourtant passé des années à critiquer. Sa perception a depuis changé. Des gens continuent à dire “la guerre devrait juste s’arrêter” mais elle sait maintenant que c’est une option qui n’est pas réalisable.
Eva Mordacq 50-50 Magazine
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