Articles récents \ France \ Société Anna Toumazoff, la lanceuse d’alerte féministe
Anna Toumazoff est une jeune féministe très présente sur les réseaux sociaux depuis 2019. Elle a mis en lien de nombreux témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles et a donc aidé un large public à se rendre compte de l’ampleur du problème.
Anna Toumazoff est à l’origine de trois hashtags qui ont fait beaucoup de bruit, tous dérivés de l’ère de #metoo : #doublepeine, #sciencesporcs et #ubercestover. Pour chacun de ces mouvements, le scénario est le même. Une victime contacte Anna Toumazoff et lui partage son témoignage et qu’elle s’occupe de relayer sur ses plateformes. Ensuite, une pluie de commentaires et messages racontant des faits très (trop) similaires afflue. Elle donne le premier coup de pied dans la fourmilière et les victimes se chargent du reste. Ce phénomène est la preuve que lorsqu’une femme sort de l’ombre pour prendre la parole, elle inspire les autres à en faire autant. C’est la force des réseaux sociaux, la jeune lanceuse d’alerte l’a parfaitement compris.
#ubercestover, 2019
La première fois qu’elle a déclenché ce genre de vague de témoignages, c’était concernant Uber et ses conducteurs de VTC. Alors que la popularité d’Anna Toumazoff monte en flèche sur les réseaux sociaux, elle est contactée par une femme qui lui raconte avoir été agressée sexuellement par un chauffeur Uber. Elle lui dit aussi que malgré son signalement à l’entreprise, Uber reste de marbre et brille par son inaction. Ils ne prennent pas sa plainte au moment de l’agression et le chauffeur récidive. C’est donc deux ans plus tard que la victime contacte Anna Toumazoff pour enfin le mettre hors d’état de nuire. La militante décide de partager ce témoignage publiquement pour faire pression sur la marque. Elle espère qu’ils contactent cette victime pour l’aider mais leur réaction dépasse toutes ses attentes. En 24h, des centaines de témoignages inondent les réseaux sociaux en reprenant le hashtag créé par Anna Toumazoff : #ubercestover. L’image de Uber change également à l’international. Ils perdent leur place de leader sur le marché des VTC et leur concurrent les dépasse même quelques jours. La marque n’a pas d’autre choix que de réagir. D’abord en prenant la parole sur ses réseaux sociaux puis en lançant une campagne d’affichage de prévention.
#sciencesporcs, 2021
Quelques années après la fin de ses études à Sciences Po Toulouse, Anna Toumazoff relaie le témoignage de viol d’une étudiante. Elle y raconte le bizutage (en réalité le mot ici devrait être viol) qu’elle a subi lors de la rentrée et l’inaction de l’établissement après avoir relaté les faits à des responsables. Des dénonciations similaires dans de nombreux établissements s’empilent mais, mais la réaction des mis en cause est plus mitigée. Anna Toumazoff sent qu’il y a une résistance interne qui empêche un réel changement. Depuis, des étudiant·es l’ont contactée pour lui dire que “des ajustements ont été faits, mais rien de mirobolant”. L’inspection générale de l’éducation établit un rapport sur la situation mais avec des chiffres bien en deçà de la réalité.
#doublepeine, 2021
La militante récidive en septembre 2021 en s’attaquant aux policier·ères recevant mal les plaintes pour agression sexuelle et pour viol. L’histoire est à nouveau la même : elle partage le témoignage d’une femme victime de viol qui s’est vue dire au commissariat que “si vous bu, vous n’avez pas pu dire non, donc il n’y a pas de problème de consentement”. De nombreuses femmes se reconnaissent dans ces échanges et utilisent le hashtag pour relater des faits similaires. Le mouvement prend de l’ampleur et des commissariats et policier·ères aux quatre coins du pays sont dénoncé·es. Cependant, l’Etat et les forces de l’ordre, au lieu de reconnaître leurs torts et de promettre de revoir leur façon d’accueillir les victimes et de recueillir leur parole, se braquent. Ils menacent la lanceuse d’alerte de poursuites pour diffamation et stigmatisation de la police. Le syndicat Alliance se range également de ce côté. Ils préfèrent menacer de sanctions plutôt que de remettre ses syndiqués en question. Heureusement la jeune femme ne mène pas ce combat seule et de nombreuses féministes et collectifs se joignent à elle pour que les paroles des victimes soient entendues et que justice soit faite. Il est encore tôt pour tirer des conclusions de ce hashtag. Mais il faut tout de même noter que des réformes ont été annoncées et que le ministre a donné des directives. Malgré la réticence d’un gouvernement qu’elle souligne comme étant “tout sauf féministe”, elle sent que ce hashtag a plus profondément marqué le public. Cette pression ajoutée saura, d’après elle, faire pencher le bras de fer en faveur des féministes.
Au delà des hashtags
Le militantisme peut prendre des formes diverses et variées. Anna Toumazoff a choisi de créer une page Instagram axée sur l’humour : @memespourcoolkidsfeministes. Elle y parle des problématiques féministes et féminines. Ce compte est connu pour ses memes (1) qui vont, d’après certain·es, de la vulgarisation du féminisme à la misandrie. Ce format permet non seulement de toucher une population jeune, mais aussi de toucher le plus grand nombre. En effet, la culture memique a une capacité virale inégalée pour le moment. Les memes sont partagés, envoyés et tagués constamment sur les réseaux sociaux.
En plus de cette page elle crée @cequeveulentlesfemmes, qui a une toute autre philosophie. Elle raconte que durant des années elle a dû expliquer la même chose à différentes personnes en boucle. Cette répétition l’a fatiguée et l’a menée à l’idée de créer cette page Instagram et renvoie aujourd’hui ceux qui lui posent des questions sur cette dernière puisqu’elle y a détaillé de nombreux concepts du féminisme. C’est en quelque sorte une page de “féminisme pour les nuls” où elle éduque et fait de la prévention.
Les risques du métier
Anna Toumazoff a été propulsée au devant de la scène à un très jeune âge (à 24 ans elle était déjà dans les journaux télévisés et reconnue dans la rue) et avec peu d’armes pour se défendre. Cette notoriété a totalement changé sa vie et pas forcément en bien. Pour ce qui est de sa vie professionnelle, elle raconte avoir ressenti des tensions internes importantes. Notamment lors de la création de #ubercestover. A l’époque, elle était en stage aux Glorieuses et elle raconte que Rebecca Amsellam lui a demandé de “donner le hashtag” à la newsletter. Elle a bien sûr refusé. La fondatrice lui a alors dit qu’elle devait choisir entre continuer son hashtag ou son stage. Elle raconte aussi que maintenant, étant très engagée dans ces luttes, elle ne peut pas travailler n’importe où. Il n’y a plus de retour en arrière pour elle. C’est pourquoi elle travaille aujourd’hui sur ses projets seule, sans hiérarchie. L’idée de s’engager dans un parti politique semble lui avoir brièvement traversé l’esprit mais elle s’est vite rendue compte qu’aucun ne partageait vraiment ses idées et qu’elle ne voulait pas se retrouver à être la “token feministe” d’un parti.
Comme elle le souligne, les fachos sont encore présents et dangereux. Ses actions féministes lui ont attiré de nombreux ennemis et elle ne saurait compter les menaces qu’elle a reçues. Entre les menaces de mort et celles de défiguration, il ne faut pas oublier celles de viol. Ces violences, couplées au harcèlement subi au sein même de la sphère militante, ont mené la jeune femme à un burn out militant. Elle a commencé à réellement avoir peur pour sa vie et a cru qu’elle allait tout devoir arrêter. Elle a finalement opté pour une pause. Depuis, elle va mieux. Elle a repris son activisme mais ce burnout aura laissé des séquelles. C’est pourquoi elle laisse une telle place à la santé mentale sur ses plateformes. C’est important pour elle d’en parler ouvertement pour montrer qu’on peut être très forte et courageuse et quand même avoir des moments difficiles.
Pour suivre son parcours, qui promet d’être encore long, les comptes cités sont toujours actifs et le 15 avril est sorti son livre Ta Vie Sans Filtre, qui redéfinit le Dico des Filles de son enfance, mais avec la misogynie, l’homophobie et le racisme en moins. Ce livre promet d’être plein de conseils contre les injonctions sur les corps des femmes et l’instauration d’une sensation de rivalité intra féminine.
Eva Mordacq 50-50 Magazine
Lire aussi : #metoopolitique
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Rétroliens pour ce billet
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