Articles récents \ France \ Société Marion Lopez : « Le combat des sages-femmes est révélateur du peu d’importance accordé à la santé des femmes »
Marion Lopez est une jeune diplômée sage-femme ayant exercé à Mayotte puis à Lyon. Depuis plusieurs années, les sages-femmes sont en grève pour protester contre leurs conditions de travail et leur salaire, jugé insuffisant au vu de leurs études et de leurs responsabilités. Le 21 novembre 2021, un accord était signé par les syndicats et le gouvernement pour une hausse des salaires, déjà prévue par le Ségur de la Santé en 2020. L’accord inclut finalement une «prime d’exercice médical» de 240€ net par mois, ainsi qu’une augmentation salariale de 78€ net en moyenne. Une sixième année d’études est également actée. Pourtant, les syndicats de sages-femmes ne sont toujours pas satisfaits.
En quoi le métier de sage-femme a-t-il évolué ces dernières années ?
Il faut déjà rappeler les rôles des sages-femmes avant d’évoquer les évolutions de ces dernières années. Les sages-femmes assurent le suivi gynécologique des femmes en bonne santé, le suivi de grossesse, les accouchements physiologiques (80%), les réanimations néonatales, l’accompagnement à la parentalité, le suivi du post-partum etc. Les types d’exercices et les formations complémentaires sont variés : acupuncture, échographie, hypnose, sexologie, violences etc. Les sages-femmes, en tant que profession médicale sont responsables de leur pratique et sont amenées à collaborer avec les docteur·es et tou·tes les professionnel·les de la périnatalité. Concernant les évolutions récentes, nous pouvons depuis peu réaliser des IVG médicamenteuses et bientôt nous pourrons faire des IVG chirurgicales, notre champ de prescription est de plus en plus large, nous pouvons faire de la recherche, de l’enseignement. Toutes ces pratiques ont un objectif commun, accompagner les femmes dans leur santé génésique tout au long de leur vie.
Quelles sont les conditions de travail que vous dénoncez actuellement ?
Les problèmes sont multiples : sous-effectif, salaires insuffisants, manque de reconnaissance. D’abord, nous sommes clairement en sous-effectif. Il faut que les décrets de périnatalité soient revus. Ce sont eux qui fixent les effectifs des sages-femmes dans les maternités, or ils datent de 1998. Depuis, la démographie des naissances a changé et beaucoup de maternités ont fermé. En salle d’accouchement, le flux est très tendu et ne permet pas toujours un accompagnement personnalisé de chaque patiente, de chaque couple, il ne permet pas toujours de garantir une sécurité optimale. Personnellement, je ne compte plus le nombre de gardes où je n’ai ni eu le temps de manger ni d’aller aux toilettes en 12 heures… Par ailleurs, les hôpitaux ont de plus en plus de mal à recruter des sages-femmes et les sous-effectifs de base s’en trouvent majorés. Les sages-femmes absentes ne sont pas toujours remplacées.
Ensuite, nous militons pour une reconnaissance de notre statut. Nous sommes parfois étiquetées en tant que profession para-médicale, alors que nous sommes une profession médicale. Pour les non concerné·es, la différence est mince, pour nous elle est énorme. C’est déjà admettre notre rôle central dans la santé des femmes, mais cela entraine également un salaire différent. Après cinq ans d’études et avec la vie de mères et de nouveau-nés entre les mains, comment se fait-il qu’on commence avec un salaire de 1600–1700€ net (avant les augmentations annoncées qui ne concerneront pas toutes les sages-femmes) ? Le manque de reconnaissance passe également par le fait que nous sommes souvent oubliées : les campagnes de dépistage du cancer du sein, les dépistages des IST, la vaccination contre la COVID, les augmentations du Ségur où nous sommes classées avec les secrétaires médicales plutôt qu’avec les professions médicales etc. Entre collègues, nous nous demandons souvent : « c’est quoi ton plan B ? ». L’épuisement professionnel semble inévitable entre l’impact sur notre santé physique, psychique et notre vie personnelle…
Vous êtes jeune diplômée depuis 2020, existe-t-il un mal-être particulier chez les étudiant·es sages-femmes ?
Les études sont intenses, exigeantes et difficiles. Aujourd’hui, sept étudiant·es sages-femmes sur dix présentent des symptômes dépressifs d’après les chiffres de l’enquête Association nationale des Etudiant·es Sages-Femmes (ANESF) de 2018. Espérons que la sixième année d’études améliore cela.
Comment sont perçues les sages-femmes dans notre société et dans le corps médical ?
Notre rôle est central, et il est pourtant méconnu du grand public. Il y a un gros problème de reconnaissance de notre métier, et peu de volonté de la part des politiques publiques de changer cela. Je pense qu’il est important de replacer notre profession dans un contexte plus global : nous vivons dans une société encore patriarcale, les sages-femmes sont majoritairement des femmes … qui s’occupent de femmes ! On ne part pas avec les meilleures bases pour avoir une reconnaissance à la hauteur. Finalement, il me semble que le combat des sages-femmes est révélateur du peu d’importance accordé à la santé des femmes.
Propos recueillis par Camille Goasduff 50-50Magazine