Articles récents \ France \ Santé Enquête violences sexistes et sexuelles dans les études de pharmacie
L’Association Nationale des Étudiant·es en Pharmacie de France (ANEPF) a mené, en décembre 2021, une enquête portant sur le sujet des violences sexistes et sexuelles au sein des études de pharmacie, et notamment lors des stages que doivent réaliser les étudiant·es pendant leurs années de formation.
La question du harcèlement sexuel dans les études supérieures a déjà été abordée plusieurs fois mais n’a que rarement été prise au sérieux. Les bizutages des autres étudiant·es, les demandes insistantes des supérieur·es hiérarchiques ou le silence venant de l’administration sont considérés comme normal en pharmacie, voire même comme étant des “traditions” justifiables. Heureusement, les nouvelles générations veulent mettre fin à ces pratiques. Cette étude de grande envergure de l’ANEPF s’inscrit dans la continuité du mouvement MeToo de 2017. Pour l’association il est temps de faire bouger les choses et pour cela, il est important d’avoir une vision claire de la situation actuelle.
L’étude que l’association a réalisée en décembre 2021 a porté sur un panel de 2103 personnes, parmi lesquelles des étudiant·es, des professionnel·les ou encore des professeur·es. Parmi les répondant·es, une large majorité sont des femmes, 75.7%, car plus touchées par les cas de violences sexistes et sexuelles que les hommes.
Qui sont les auteur·es ?
La première question de cette étude concernait les remarques sexistes, en avez-vous déjà reçu et si oui, de la part de qui ? A cette question 49% des étudiant·es interrogé·es ont répondu en avoir déjà été victimes, soit presque un·e étudiant·e sur deux. De plus, parmi l’ensemble du panel, ces outrages concernent 55.4% de femmes contre 28.6% d’hommes. Les femmes reçoivent donc deux fois plus de remarques sexistes que leurs homologues masculins.
Ensuite, pour désigner les auteur·es de ces outrages, l’étude proposait une question à choix multiples et les différents pourcentages prouvent qu’il est très fréquent qu’une seule victime ait subi des remarques de différentes personnes. Ainsi, 89% des répondant·es ont reçu ces commentaires sexistes de la part d’autres étudiant·es, 30.3% par des professeur·es de la faculté de pharmacie et 8.7% par des membres du personnel administratif. Cette diversité de coupables montre que les agissements sexistes imprègnent toutes les strates des études de pharmacie. 48.8% des femmes interrogées ont répondu avoir à répondre à ce genre de remarques régulièrement. De l’autre-côté, 18.5% des hommes disent en avoir fait les frais. Concrètement, cela signifie qu’une femme sur deux et qu’un homme sur cinq subissent quotidiennement du harcèlement dans le cadre des études de pharmacie.
Ces agissements ne demeurent pas au stade de remarques. 27% des étudiantes victimes sondées déclarent en avoir été victimes contre 13.2% des hommes interrogés. Ces agressions proviennent principalement des étudiant·es (à 83.4%) mais le corps enseignant et le personnel administratif sont également responsables de 7.4% des cas. Il convient de rappeler qu’il est extrêmement rare qu’un·e professeur·e soit condamné·e pour ses actions. Bien souvent, l’université ne réagit pas ou bien ne renouvelle pas le contrat de l’enseignant·e à la fin du semestre sans en donner la raison. A 85% ces actes se sont déroulés lors de soirées étudiantes (intégration, bizutages etc), et les 15% restants ont eu lieu au sein même des facultés.
13 propositions d’actions
Pour l’ANEPF, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur doit s’articuler sur deux axes : la lutte contre les conséquences et l’impact des violences sur les individus et la sensibilisation des étudiant·es, des membres de l’administration et de l’équipe pédagogique à ces violences.
Pour ce faire, l’ANEPF propose avec le soutien de la Conférence des Doyens de Pharmacie 13 résolutions.
1 ) Œuvrer pour améliorer la communication sur les dispositifs d’accompagnement des victimes au sein des OFR Pharmacie, et ainsi permettre une meilleure prise en charge des étudiant·es.
2 ) Communiquer sur les dispositifs de signalement existants, vulgariser la procédure et travailler sur leur mise en place dans les établissements où ils n’existeraient pas.
3 ) Mettre en place des sessions de formations obligatoires pour les personnels administratifs et pédagogiques au sujet de la prise en charge des étudiant·es victimes, de l’accompagnement, de l’orientation et des ressources disponibles.
4 ) Rédiger et mettre à disposition des étudiant·es des feuilles de route sur la marche à suivre à destination des victimes, des proches de victimes, des témoins et des étudiant·es recueillant des signalements à l’officine.
5 ) Inciter à la mise en place de groupes de paroles dans les universités entre étudiant·es mais également entre membres du personnel administratif et pédagogique.
6 ) Former les tutorats et les associations étudiantes à la prise en charge et à l’accompagnement des victimes.
7 ) Mettre en place des référent·es étudiant·es chargé·es d’accompagner et de conseiller les étudiant·es qui feraient appel à elles et eux.
8 ) L’ANEPF s’engage à travailler sur un dispositif de signalement en temps réel pour les situations graves lors des stages.
9 ) Sensibiliser et former le réseau étudiant et associatif à raison d’un atelier sur les violences sexistes et sexuelles par Assemblée Générale de l’ANEPF
10 ) Publier le Guide des Affaires Sociales de l’ANEPF, contenant tout un volet sur les violences sexistes et sexuelles pour sensibiliser à plus grande échelle sur leur site internet.
11 ) Créer un temps de sensibilisation aux violences obligatoires pour tout le corps étudiant de la faculté de pharmacie, et pour les membres du personnel pédagogique et administratif.
12 ) L’ANEPF demande à ce que les maîtresses et maîtres de stage en pharmacie soient sensibilisé·es à cette problématique et que cette sensibilisation soit un critère du dossier d’agrément.
13 ) L’ANEPF s’engage à continuer de s’impliquer auprès du Centre National d’appui à la qualité de vie des étudiant·es en santé (CNA) afin de développer les nouvelles missions du CNA vis-à-vis de la lutte contre ces violences dans l’Enseignement Supérieur.
Ces propositions sont en réponse aux chiffres mentionnés plus haut. Ces extraits de l’enquête permettent déjà de dresser un état des lieux glaçant de la situation actuelle au sein des études de pharmacie. Bien que la sensibilisation à ces violences augmentent d’années en années, seulement un·e étudiant·e sur deux estime savoir comment réagir face à celles-ci. De plus, l’ANEPF s’engage à s’investir pour protéger les étudiant·es alors que l’association est elle-même composée d’étudiant·es. Pourtant, après avoir l’enquête il s’est avéré que la sensibilisation s’est faite grâce aux autres associations étudiantes, grâce aux réseaux sociaux, et enfin grâce aux campagnes de sensibilisation nationale.
C’est le gouvernement qui devrait être le premier à agir, et non pas laisser cette responsabilité à des étudiant·es. Il est inacceptable que l’État soit si peu investi dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans ces universités où le harcèlement est toléré et surtout banalisé, ce sont nos futur·es professionnel·les de santé qui sont formé·es. Si même ces personnes sont des agresseuses/agresseurs, alors qui protégera leurs victimes ?
Célia Rabot 50-50 Magazine