Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Lucien Douib : « un gendarme lui a dit, ce n’est pas encore fini cette histoire ? » 2/2
Le 3 Mars 2019 la vie de Julie Douib a basculé mais aussi celle de tous ses proches. Elle a été assassinée à son domicile par son ex compagnon. Julie est le 30ème féminicide de l’année 2019. Ce passage à l’acte est arrivé après de nombreuses plaintes, qui ont disparues à ce jour.. Le Grenelle des violences a eu lieu mais aujourd’hui encore il y a de nombreux féminicides. Les procès sont longs et coûteux en énergie. Le père de Julie, Lucien est toujours en procès car l’ex-compagnon de sa fille a fait appel du jugement alors qu’il a avoué son crime. En l’approche de la présidentielle il est temps de prendre de réels engagements. Quel honneur de recueillir le témoignage émouvant de Lucien Douib qui se bat sans relâche avec une force immense pour la mémoire de sa fille. Il participe à des colloques tel qu’en octobre dernier, la journée débat 360° Violences conjugales : sortir de l’isolement pour s’en sortir. Il mène des actions comme de mettre en place des lieux de mémoire, il a partagé son histoire dans un documentaire, il organise des marches…
Julie avait retrouvé sa petite vie de femme, elle avait retrouvé un travail, un appartement mais vivait toujours dans la crainte à cause de ce monsieur qui était constamment présent. Les plaintes se sont enchaînées à la gendarmerie dont la fameuse où elle dit qu’il avait une arme et où on lui a répondu « madame tant qu’il ne s’en est pas servi, on ne peut rien faire ». On a appris après qu’ils auraient dû faire le nécessaire. Ainsi lorsqu’il l’a mise à la porte sans vêtements, à la gendarmerie on lui a dit: « madame on ne peut pas aller chercher vos vêtements parce que vous êtes chez lui et non chez vous ». On a finalement appris que quand vous êtes avec quelqu’un depuis X mois vous êtes chez vous ! Donc ils auraient dû toquer à la porte, l’accompagner, chercher ses affaires et ressortir. Juste l’accompagner tout simplement.. J’étais là lorsqu’un jour elle est allée porter plainte et qu’un gendarme lui a dit « ce n’est pas encore fini cette histoire ? », comme si c’était banal. Comme si elle venait porter plainte pour un rien. Ils n’ont pas su la protéger, ils l’ont laissée partir sans s’inquiéter de ce qui pouvait lui arriver.
Moi aussi quand j’allais porter plainte pour menaces de mort, on ne me demandait pas si j’étais prêt à rentrer à l’hôtel ou à rentrer chez ma fille, si je n’avais pas peur. On aurait pu, je ne sais pas, me demander si je me sentais rassuré, car je n’ai pas été porter plainte pour un mal de dents, c’était pour des menaces de mort !
Jusqu’à ce fameux jour où Julie avait la garde de ses enfants et que ce monsieur est venu les chercher un vendredi au lieu du dimanche. Elle lui les a donnés pour ne pas faire d’histoires et elle a porté plainte à la gendarmerie. Elle a demandé où en étaient les plaintes, à ce moment-là il y en avait une dizaine entre nous deux, et le gendarme lui a dit « madame toutes vos plaintes ont été classées sans suite ». Et Julie a répondu « il faudra qu’il me tue pour que vous me preniez au sérieux ». Deux jours plus tard c’est ce qu’il s’est passé. Il est monté et a tiré trois balles.
La pauvre a vécu l’enfer pendant des mois sans qu’on puisse la protéger, sans qu’on puisse prendre conscience de ce qui se passait. C’était très très compliqué pour elle. Après le procès nous avons compris l’ampleur de tout ce qu’il avait pu lui faire avant de la tuer. La violence de cet homme, de ces hommes, est inacceptable. Rien que pour ça, ils devraient être punis de perpétuité, c’est inadmissible et c’est ce qui me fait aujourd’hui très mal. Je ne lui pardonnerai jamais, ça c’est une certitude, mais je lui en veux encore plus pour ce qu’il lui a fait subir avant de la tuer. Les années de coups, de violences, de coups de poings devant les enfants, de souffrance psychologique puis physique, puis cet acte dingue … Je pense vraiment qu’on aurait pu la sauver si elle avait été écoutée.
Je demande, depuis trois ans, qu’on m’explique comment dix plaintes peuvent disparaître, comment une magistrate peut dire ouvertement qu’elle n’a reçu que deux plaintes qui ne correspondent pas à ce que Julie nous a raconté. Je voudrais bien qu’on m’explique un jour où sont passées ces plaintes, qu’est ce qu’elles sont devenues, parce que les preuves et les plaintes on les a entre les mains. Si il y a eu un manquement, qu’on nous le dise, qu’on nous l’explique. Nous laisser dans le doute, c’est nous laisser dans l’impossibilité d’avancer, on se pose toujours les mêmes questions.
C’est ça qui est révoltant, est-ce qu’on aurait pu la sauver, je pense que oui ! Je ne sais pas si ça aurait fonctionné parce que ce genre d’hommes s’ils ont envie de frapper, rien ne les arrête mais si on avait fait le nécessaire et qu’on l’avait mis en prison, peut être qu’elle serait là aujourd’hui.
Il y a encore beaucoup beaucoup de choses à faire pour que les femmes soient écoutées et surtout protégées. Comme j’ai pu l’expliquer quand j’étais avec Mme la ministre Moreno c’est qu’on ne devrait pas laisser une femme sortir des commissariats de police comme ça. On n’a pas le droit de la laisser seule après qu’elle ait eu le courage de porter plainte. On sait que ça va mal finir.
Le problème de tous les féminicides, c’est que c’est toujours la même histoire. Quand une femme s’en sort c’est déjà énorme, mais la pauvre a tellement pris de coups et subi de violences qu’elle est détruite pour tout le reste de sa vie. Ne pas protéger les femmes qui viennent porter plainte c’est pire que tout, ça ne devrait même pas exister ! Les hommes ne sont pas assez punis pour ce qu’ils font. J’ai du mal a comprendre comment on peut donner l’autorisation à un meurtrier qui reconnaît son acte le droit de faire appel ou même tout simplement d’être mis en procès. « J’avoue que j’ai tué, j’assume ce que j’ai fait » et j’ai encore le droit d’emmerder les gens. C’est très très lourd à accepter.
Ça ne s’arrête jamais pour nous, ça fait trois ans bientôt que nous n’avons pas de répit. Nous avons pris perpétuité, nous ne dormirons jamais plus comme il faut… Et lui dort sûrement bien. Il a pris perpétuité avec 22 ans de sûreté, mais il a fait appel donc aujourd’hui il est encore considéré comme innocent… On attend la date de l’appel et donc on doit recommencer un nouveau procès. Comme si d’avoir avoué avoir tué quelqu’un ce n’était pas assez clair pour qu’on évite un nouveau procès.
Trois ans plus tard, nous nous retrouvons au même point qu’au début. Nous savions qu’il fallait des années avant de passer au tribunal mais là il faut tout recommencer, reprendre des avocat.es, repartir en Corse, réentendre des choses que nous voulions mettre un peu de côté comme les insultes ou que ma fille était une mauvaise mère… Lui n’ a plus rien a perdre donc il peut raconter ce qu’il veut, elle n’est plus là pour dire le contraire. Nous allons être présente.s, nous allons nous battre pour qu’il reprenne la même peine et j’espère que la justice va faire encore une fois son travail et afin que cela serve pour les procès d’autres hommes.
Il faut que cet homme purge une peine pour l’assassinat de Julie. Il faut que chaque féminicide soit jugé et que ces hommes paient de la même façon, chacun pour l’acte qu’il a fait.
C’est nous qui avons la garde des enfants, la délégation de l’autorité parentale, nous avons des droits, mais Bruno qui avait été déchu des droits parentaux au procès, a fait appel de la décision au mois de juillet dernier, donc il les a récupérés. La décision est caduque ! Nous attendons une date d’appel aussi pour les enfants. Il n’a pas de contrôle sur ce que nous faisons parce qu’il est en prison, mais il a toujours un droit de regard. Il a un droit de correspondance, mais les lettres ne peuvent être vues que si les enfants ont envie que nous leur lisions. Il ne veut pas que nous leur lisions ses lettres donc, il fait aussi appel sur cette question. Nous touchons les aides de la CAF puisque les enfants sont chez nous. Il a fait appel, en fait il veut que les enfants repartent en Corse chez l’une de ses sœurs. Il fait appel de tout. Il n’a que ça a faire donc tous les six mois, nous y avons droit, appel sur appel. Qu’on nous laisse tranquilles pour élever les enfants le mieux possible !
J’ai été voir ma fille à la morgue à l’hôpital de Bastia, ça m’as donné la force de me battre. J’ai embrassé son cercueil et je lui ait promis deux choses, que nous nous occuperions de ses enfants et qu’il paierait pour ce qu’il lui a fait. C’était une façon de crier ma colère et aussi une façon de mener une thérapie, d’essayer de changer les choses pour toutes les autres femmes qui sont encore vivantes c’est important. On me dit souvent que je suis courageux mais je ne sais pas si on peut appeler ça du courage… J’ai tellement envie que justice soit faite. Il a détruit la mère de mes petits-enfants, il a assassiné ma fille, il a détruit des dizaines de gens qui aimaient Julie, il n’a pas fait qu’une victime. Ce genre d’homme ne doit pas dormir tranquille en prison, même s’il prend 22 ans de sûreté. Moi je ne dors pas et je ne dormirai plus.
Je pense qu’on peut sauver quelques femmes, s’il y a de moins en moins de violences et de féminicides on aura gagné. En faisant bouger le gouvernement, en écoutant plus les victimes, en ouvrant les commissariats... Ce sont des victimes, pas des coupables, ce n’est pas de leur faute ce qui leur arrive c’est de la faute de ces hommes. Il faut qu’elles aient le courage de parler, de crier, d’aller a la gendarmerie ou à la police et de ressortir avec des plaintes. Qu’elles reviennent avec un avocat·e ou une amie ou qu’elles se mettent par terre. C’est une loi donc dans la mesure où on va prendre une plainte parce que vous avez perdu votre chien, on doit prendre votre plainte parce que vous avez pris des coups. N’ayez pas peur ! Mon souhait c’est que plus jamais je n’entende qu’une femme ait posé une main courante, mais il faut qu’elle porte plainte. Je sais qu’il y en a encore beaucoup qui ont peur… Il faut en parler à sa famille, ses amis… Ce n’est pas une honte ce qui leur arrive ce n’est pas elles qui l’ont choisi.
Aujourd’hui beaucoup de femmes, des actrices osent parler de ce qu’elles ont vécu des années en arrière. La parole se libère. Il y a quelques retombées, des gens vont être condamnés et vont payer pour ce qu’ils ont fait. Il faut que toutes les autres se disent aussi qu’il n’y a que malheureusement qu’en criant sa colère qu’on peut faire changer les choses.
Par le biais du téléfilm racontant l’histoire de Julie, je cherche a faire des action de mon côté car rentrer dans une association à ce jour je ne peux pas car je suis toujours en procès. Ce que j’aimerais faire dans les années qui viennent c’est aller dans les universités, les écoles, les colloques, afin d’expliquer ce que Julie a subi et que ce sont les femmes qui peuvent faire changer les choses en n’acceptant plus ce qui leur arrive. On ne doit jamais pardonner a un homme qui a levé la main. Ce sont des messages que j’aimerais faire passer. Même une jeune fille de 15/16 ans qui tombe sur un garçon de son âge qui est violent doit comprendre qu’elle doit vite partir. Si on peut faire comprendre ça dès le plus jeune âge et bien tant mieux.
J’ai eu dans mon malheur l’honneur d’ouvrir le Grenelle des violences conjugales. Je sais que ça bouge avec les téléphones grave danger, les bracelets électroniques, les appartements et les accueils dans les commissariats… Le problème c’est qu’on en arrive toujours au même point, c’est le parcours qui n’a pas changé. Celles qui sont parties ont été assassinées, elles n’ont pas été écoutées, elles ont porté plainte. Trois ans après ma fille il y a encore des femmes qui meurent de la même façon.
En 2022 il y a déjà eu de nombreux féminicides, dont une militaire, donc c’est la preuve que les violences touchent tout le monde ! Tant que les gendarmes et les policiers ne seront pas punis, rien ne changera parce que si ils protègent pas une femme qui vient porter plainte c’est de la non assistance à personne en danger. Ils méritent d’avoir des sanctions. Je n’en veux pas à la gendarmerie j’en veux à ceux qui ne l’ont pas écoutée et qui l’ont laissée partir. Je sais qu’il y a eu des gendarmes qui ont fait un travail extraordinaire, il y en a eu d’autres qui n’ont rien f et aujourd’hui elle n’est plus là.
Pour le moment, mon premier combat c’est que Bruno paie. Tant que lui n’aura pas pris ce qu’il a a prendre moi je ne suis pas tranquille… J’ai appris qu’à Meyrignac les six policiers qui n’avaient pas fait leur boulot lors de l’assassinat de Chahinez Boutaa s’en sortent avec pas grand-chose. Ce n’est pas normal c’est quand même de leur faute ce qu’il s’est passé. Si vous ne faites pas votre travail dans une usine on vous vire ! Julie n’est plus là et je pense qu’elle aurait pu être encore là si elle avait été écoutée, ou qu’on avait pris des décisions importantes comme le fait de retirer l’arme de ce monsieur. Il l’a tué avec son arme donc ça n’aurait peut être pas eu lieu si on lui avait retirée.
La seule chose qu’on ne peut pas reprocher, ni à Julie ni à moi, c’est de ne pas avoir fait ce qu’il fallait. Julie n’a jamais retiré aucune plainte, elle a toujours été présente. Elle a tout fait pour qu’on la prenne au sérieux, ça a bougé mais pas assez. La destitution de l’autorité parentale on nous l’avait promis, il y a trois ans, lors du Grenelle et elle n’est toujours pas en place.
Il faudrait que chaque femme, preuves à l’appui, venant porter plainte pour violences reçoive un téléphone grave danger et que son compagnon ou ex-compagnon ait un bracelet tout de suite. Le bracelet électronique n’est d’ailleurs mis que si monsieur est d’accord donc ça ne sert pas forcément à grand-chose… Pareil pour le téléphone grave danger, car si vous allez faire des courses et qu’il est à côté de vous c’est trop tard pour appeler… J’ai du mal a comprendre qu’un homme violent accepte de mettre un bracelet électronique pour prévenir s’il a l’intention de frapper sa femme, ou alors il est fou…
Il faut que les peines soient redéfinies. Il faut que celui qui va lever la main sur une femme sache qu’il va prendre trois ans de prison ferme sans jugement et si il récidive six ans. Un auteur de féminicide doit prendre perpétuité. Et si c’est défini à l’avance peut être que quelques uns réfléchiraient. Il faut que ce soient des peines dissuasives. J’avais expliqué en rigolant à l’époque que le bracelet électronique devrait électrocuter le monsieur quand il s’approche trop près de sa femme, sinon je n’en voyais pas l’intérêt. Le temps que la police soit prévenue et qu’elle arrive, il a le temps de faire ce qu’il veut. Je pense qu’il faut être plus dur dans les peines et surtout les appliquer.
On avance, il faut le reconnaître, mais encore une fois, pas assez vite. Le message que je veux faire absolument passer aux femmes c’est que ce ne sont pas des coupables, ce sont victimes. Il faut qu’elles n’aient pas peur de parler, de crier, de se plaindre et qu’elles ressortent toujours des commissariats avec des plaintes, c’est important. Qu’elles n’aient pas peur de frapper à la porte des gens autour d’elles, si elles se sentent en danger. Il y aura toujours une personne qui leur ouvrira la porte et leur sauvera la vie.
Témoignage recueilli par Camille Goasduff 50-50Magazine