Articles récents \ DOSSIERS \ NUMERIQU'ELLES Samia Ghozlane : « J’ai toujours le même message pour les jeunes femmes qui souhaitent aller vers les métiers du numérique: qu’elles osent … »
Samia Ghozlane a débuté sa carrière comme éditrice avant de se tourner vers le monde du numérique. Aujourd’hui elle est Directrice Générale de la Grande Ecole du Numérique, un groupement d’intérêt public mis en place par le gouvernement français en 2015 proposant des formations dans le numérique ouvertes à tou·tes. Elle est aussi co-présidente de Cyberelles, une communauté fédérant les femmes souhaitant évoluer dans le monde du numérique.
Vous avez commencé votre carrière comme éditrice, comment en êtes-vous venue au numérique ? Quelle a été votre formation ?
C’est toujours par les hasards des parcours professionnels et des opportunités qui peuvent s’offrir à chacun·e que l’on arrive là où l’on est. J’ai commencé par l’édition d’ouvrages scolaires et universitaires puis je suis passée à la conception et la production d’une publication à destination d’un public particulier qui concernait l’AFM-Téléthon et qui était uniquement papier. Comme c’était le début de l’Internet, on se disait que pour atteindre un plus grand nombre il fallait absolument que nous passions par internet et à l’époque c’était juste des pages HTML et des documents en PDF mis en ligne. Au lieu d’être rédactrice en cheffe ou éditrice de documents qui allaient être imprimés et bien ces documents allaient être diffusés via un autre canal de diffusion : Internet. Les hasards ont fait que nous sommes passé·es à un portail avec énormément de contenus, avec un projet internet et effectivement j’ai suivi quelques formations mais j’ai plus appris sur le tas car les formations que j’avais suivies à l’époque était des formations de chef·fe de projet web ou multimédia, mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron, en tout cas pour moi.
Avez-vous eu l’impression que le numérique ne vous était pas accessible étant donné que c’est un milieu principalement occupé par des hommes ?
Récemment j’ai participé au dictionnaire du numérique sur l’entrée « diversité femmes ». Les faits sont là, il y a moins de 30% de femmes si nous considérons à la fois les fonctions supports et les fonctions techniques dans le numérique, le numérique reste vraiment un milieu majoritairement masculin en 2022.
Quand j’ai commencé au début des années 2000 c’était pareil, j’appelais le numérique le monde des men in black. Le premier appel d’offres que j’ai dû gérer en tant que cheffe de projet ne venant pas d’une école d’ingénieur·e, c’était très intéressant et assez surprenant, j’étais la seule femme dans les réunions. Quand je recevais des sous-missionnaires de cet appel d’offres c’était tous des hommes en costume… sombre. Ensuite, vers la fin des années 2000, je me rappelle très bien que mon hébergeur (Claranet), avait fêté ses 10 ans en 2008 en invitant tou·tes ses client·es. Il devait y avoir au moins 80 ou 100 personnes et j’étais la seule femme présente en dehors de la femme qui faisait l’accueil et les relations presse. Donc effectivement, la tech, c’est un milieu d’hommes. Cela ne m’a pas empêché d’avancer ou de mener les projets dont j’avais envie, mais je peux comprendre que les jeunes femmes se posent des questions sur leur avenir dans le numérique.
Avez-vous été victime de sexisme ? Avez-vous rencontré des difficultés parce que vous êtes une femme, pour réussir dans le milieu du numérique ?
Je n’ai pas subi de sexisme car j’ai toujours été dans des milieux qui laissaient la place à la diversité des parcours, des genres, c’est-à-dire le milieu associatif militant pour les personnes en situation d’handicap ou celui de la recherche dans les maladies rares. Puis, quand je suis partie dans l’enseignement supérieur et au regard de ma position je n’ai pas eu non plus à subir de sexisme. Au début de mon parcours professionnel, j’ai peut être subi des remarques sexistes mais je ne m’en rendais pas compte à l’époque. J’en parle avec ma fille de 18 ans qui est passionnée par ce genre de choses et qui me dit qu’on a dû me faire des remarques… peut-être, mais de là à me dire que j’ai subi du sexisme quand j’avais 25-30 ans, je ne le pense pas, en tout cas mon sentiment à moi c’est que non, je ne le subissais pas. Les deux responsables hiérarchique qui m’ont permis de progresser étaient des femmes donc est ce que c’est ça qui a pu jouer, je n’en sais rien.
Les difficultés que j’ai pu rencontrer professionnellement sont plus liées à la compétition que nous pouvons avoir dans une entreprise mais ce n’est pas forcément avec des hommes.
Les Cyberelles dont vous êtes co-présidente est dirigée par des femmes pour des femmes, pour vous cette non-mixité était une chose nécessaire à mettre en place ?
C’est un des plus vieux réseaux dont les membres étaient très engagé·es en faveur du soutien et de l’aide au développement des femmes travaillant dans le numérique et elles continuent aujourd’hui leur engagement mais de manières différentes. Cyberelles agit pour que les femmes soient mieux représentées dans le numérique, pour qu’elles s’engagent dans ce secteur porteur d’opportunités et surtout pour qu’elles puissent s’entraider, car c’est d’abord un réseau d’entraide et de solidarité entre les femmes.
Un réseau 100% féminin nous a paru très important quand nous avons démarré l’association en 2000, c’était au moment où moi-même je commençais à m’intéresser à internet. Nous avons pu ouvrir des espaces de dialogues et de paroles libres sans la pression que nous aurions pu ressentir s’il y avait des hommes présents. Dès que nous sommes dans un endroit où il y a de la mixité, les hommes ont tendance à se positionner avec une certaine compétitivité et cela rend compliqué pour les femmes de demander de l’aide car cela aurait pu être considéré comme une faiblesse. Les Cyberelles, Les femmes du digital étaient composées des femmes qui commençaient ou souhaitaient faire une carrière dans le digital. Mais elles n’étaient pas toutes des ingénieures, comme moi d’ailleurs, et voulaient un endroit dans lequel elles pourraient discuter, demander des conseils, trouver une entraide. A l’époque nous avions mis en place des ateliers métiers pour pouvoir progresser professionnellement dans ce secteur.
Vous êtes la Directrice Générale de la Grande Ecole du Numérique, 7% des adolescentes s’orientent vers le numérique, qu’avez-vous mis en place pour que les femmes viennent se former chez vous ?
Ce n’est pas uniquement une question qui nous concerne nous, c’est une question qui concerne tout le monde. La Grande Ecole du Numérique (GEN) a été mise en place parce que le secteur numérique était et continue à être très peu divers. Nous voulions ouvrir des possibilités à des personnes n’ayant pas forcément fait une école d’ingénieur·e ou une grande université. Nous avions l’ambition sociale de former des personnes peu ou pas qualifiées avec un niveau bac voir moins, de s’ouvrir aux personnes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et surtout d’aller vers les femmes. Nous avions fixé des objectifs de 30% de femmes dans nos formations, c’est un objectif national. Nous sommes un réseau avec plus de 500 formations numériques inclusives qui ont été labélisées GEN mais cet objectif de 30% n’est pas encore atteint. La sous-représentation des femmes dans le numérique n’est pas quelque chose de récent. C’est à la fois ancré dans les stéréotypes depuis plusieurs siècles et dans l’inconscient collectif où nous croyons à l’inaptitude par exemple des femmes dans les matières scientifiques. Restaurer la mixité dans le numérique va nécessiter vraiment beaucoup de temps. Il faut agir sur tous les fronts, surtout dans une logique de politique publique, ce qui est notre cas. Nous sommes un groupement d’intérêt public, notre objectif est d’aller chercher des femmes afin qu’elles puissent se former au numérique donc nous avons mis en place énormément d’initiatives dans ce sens. Nous avons mis en place un MOOK « Propulser les femmes dans le numérique : les 5 étapes clés », nous libérons la parole avec des podcasts, des séries de vidéos comme les portraits des femmes qui « font la tech », nous avons énormément de contenus, d’actions, d’évènements qui vont démystifier le numérique et s’adresser spécifiquement au public que nous souhaitons former.
Il y a aussi la question des quotas, en France nous sommes très frileux avec les quotas or nous savons que leur instauration donne des résultats. Par exemples, dans des universités américaines et norvégienne comme celle de Trondheim, avec les quotas le pourcentage des femmes en informatique est passé de 7 à 40%. Cela a été mis en place dans les débuts des années 2000 et maintenant les quotas ont été supprimés donc la nécessité d’instaurer un pourcentage minimum de femmes dans certaines filières techniques, scientifiques et informatiques est une question qui doit se poser en France.
C’est important d’aller dans les collèges et lycées pour présenter les métiers du numérique et de proposer par exemple des ateliers d’initiation au code. Nos formations proposent que leur apprenants animent des ateliers de code dans les collèges. Ceci est très instructif parce que souvent les filles ne veulent pas y participer mais quand nous insistons et qu’elles y vont, elles réussissent aussi bien que les garçons donc il y a énormément de travail à faire. C’est un travail de longue haleine mais il faut que cela soit fait par les médias, les écoles, les établissements et, les entreprises, elles-aussi ont un rôle à jouer. Elles disent toutes vouloir recruter des femmes mais que font-elles pour qu’il y ait plus de femmes qui arrivent chez elles et que font-elles pour les garder ? L’association Femmes ingénieures explique qu’au bout de 10 ans les femmes ne sont plus ingénieures, elles occupent un autre poste. La tech reste un milieu complexe, voir dur pour y faire carrière à la longue.
J’ai toujours le même message pour les jeunes femmes qui souhaitent aller vers les métiers du numérique : qu’elles osent, qu’elles y aillent et qu’elles se renseignent car c’est à leur portée. Ça serait dommage qu’elles se privent d’un secteur qui est porteur d’opportunités professionnelles, qui permet des carrières intéressantes avec des salaires attractifs uniquement parce que ce secteur a été accaparé par les hommes.
Propos recueillis par Océane Laffay 50-50 Magazine
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