Articles récents \ DOSSIERS \ NUMERIQU'ELLES « Les calculatrices humaines » de la NASA
Dans les domaines technologiques, les femmes peinent à trouver leur place. Infrastructures mal adaptées, sexisme ambiant et stéréotypes créent un plafond de verre. Pourtant, elles ont été de toutes les avancées, de la radioactivité jusqu’à la conquête spatiale. Le lancement du programme spatial a été rendu possible grâce à des femmes, la première photo d’un trou noir a été prise par une femme. A défaut des étoiles, il est temps d’explorer les relations compliquées qu’ont entretenu les femmes et la National Aeronautics and Space Administration (NASA) au cours des époques.
Au balbutiement des programmes spatiaux américains, trois femmes se sont distinguées : Katherine Johnson, Mary Jackson et Dorothy Vaughan. A cette époque, il était difficile pour une femme de se lancer dans des études de sciences, et encore plus d’aérospatial. Pourtant, ces trois femmes ont réalisé cet exploit, d’autant plus impressionnant qu’elles étaient toutes les trois Noires. En plus du sexisme, elles ont dû affronter le racisme et la ségrégation en intégrant la NASA. Pour étudier, elles devaient suivre des cours réservés aux Noir·es ou alors obtenir une autorisation de leurs responsables Blanches/Blancs.
Malgré le racisme omniprésent, dès 1943 Dorothy Vaughan a rejoint la NASA et elle a activement participé à la course à la lune en effectuant des calculs complexes pour le programme aéronautique américain. En 1949, elle est promue et devient la directrice de son service West Area Computers. Elle devient ainsi l’une des premières femmes à occuper un poste de superviseuse. Ses compétences sont telles qu’elle a pu participer au programme spatial sur le lanceur Scout : une fusée utilisée pour lancer les premiers satellites américains en orbite autour de la Terre. En parallèle de ses lourdes responsabilités, elle s’est battue sans relâche pour l’égalité des droits entre les Noir·es et les Blanches/Blancs et pour l’égalité salariale entre les deux sexes. Le service dont elle est en charge deviendra l’un des premiers où Noir·es et Blanches/Blancs se mélangeront, mettant fin à la ségrégation dans l’établissement.
Katherine Johnson rejoint la NASA en 1953. Elle a simplement répondu à une offre d’emploi et vu ses capacités, l’entreprise l’a embauchée immédiatement. De 1953 à 1958, elle travaille sous la supervision de Dorothy Vaughan dans la section West Area Computers. Ensuite, pendant presque 30 ans, de 1958 jusqu’à sa retraite en 1986, elle va être technologue en aérospatiale. Elle participera au lancement du premier américain dans l’espace en 1961, de la première mission américaine envoyant un homme en orbite autour de la Terre en 1962 et en 1969 durant la mission Apollon 11, elle calculera les trajectoires des modules lunaires de la fusée afin de permettre à Neil Armstrong de poser le pied sur la lune. A l’instar de Dorothy Vaughan, elle s’était aussi engagée pour la cause des femmes afro-américaines. Elle était membre d’Alpha Kappa Alpha depuis l’université, la première association créée par et pour les Afro-Américaines.
Mary Jackson intègre la NASA en 1951, dans le même service que Katherine Johnson et Dorothy Vaughan. Elle débutera en tant que mathématicienne comme elles deux, mais elle se réorientera vers l’ingénierie. Elle suit ensuite une formation spéciale pour devenir ingénieure et des cours du soir de mathématiques et de physique. Elle doit demander à la ville de Hampton une autorisation pour suivre les cours dispensés au lycée d’Hampton, alors réservés aux Blancs. Elle réussit la formation et en 1958, elle devient la première femme noire ingénieure de la NASA. Après 34 ans de carrière à la NASA, elle atteint le plus haut grade d’ingénieure qui lui est possible sans devenir dirigeante. Cependant, elle acceptera une diminution de salaire pour se réorienter dans l’administration et l’égalité des chances. Pour cela, elle se rend au siège de la NASA afin de suivre une formation. Elle devient alors la responsable du programme pour les femmes auprès du bureau d’égalité des chances.
Mary Jackso (à titre posthume), Dorothy Vaughan (à titre posthume) et Katherine Johnson reçoivent le 11 août 2019 la médaille d’or du congrès, plus haute distinction civile décernée par le Congrès des États-Unis. La même loi (Hidden Figures Congressional Gold Medal Act) attribue la médaille d’or du congrès à toutes les femmes ayant contribué par leur travail (mathématique, informatique, ingénierie) au développement de la NASA. En France, cette récompense est équivalente à la légion d’honneur.
Leur histoire inspirera un livre : Hidden Figures de Margot Lee Shetterly. Celui-ci sera adapté au cinéma en 2016 sous le titre Les Figures de l’ombre, réalisé par Théodore Melfi.
Ces trois femmes ont pavé la route pour les femmes et en particulier les Afro-Américaines qui vont arriver après elles. Énormément d’avancées sur l’égalité salariale femmes/hommes vont être réalisées, et aujourd’hui de plus en plus de femmes sont mises sur le devant de la scène. La NASA est consciente de cet enjeu d’égalité et c’est pour cela qu’elle souhaite que le prochain équipage qui s’envolera pour la lune en 2024 soit paritaire avec 50% de femmes. En effet, si les rangs des mathématicien·nes et ingénieur·es se sont avec le temps remplis de femmes, il n’en est pas de même pour les missions spatiales. « Parmi plus de 560 personnes envoyées dans l’espace dans l’histoire de l’humanité, seulement 65 d’entre elles ont été des femmes », remarque Mary Robinette Kowal, autrice de la série de romans La Dame Astronaute, dans un entretien donné au New-York Times. Si l’envoi de la première femme dans l’espace, la cosmonaute russe et actuelle députée du parti de Vladimir Poutine, Valentina Terechkova, remonte à 1963, la première vague de sélection d’astronautes de la NASA ouverte aux femmes ne date que de 1977. Les dirigeants de l’Agence estiment alors que les femmes sont moins aptes à assumer le rôle d’astronaute.
«Ce ne sont que des excuses” déclare Dava Newman, ancienne assistante à l’administration de la NASA, “nous avons la preuve bien que basée sur peu de chiffres, compte tenu du manque de femmes, qu’il n’existe aucune différence statistique concernant l’efficacité des astronautes, hommes ou femmes». Par ailleurs, elle considère même que les différences morphologiques entre les deux sexes (taille moyenne inférieure etc) sont des atouts dans certains cas. “Une personne plus petite sera plus indiquée lorsqu’il faut effectuer des réparations dans des espaces étroits. Bien sûr, parfois, on aura besoin d’une grande amplitude de mouvement et on privilégiera une personne avec de grands bras. Mais il y a des tâches très variées à réaliser, donc au final, aucun physique ne sera moins avantageux qu’un autre” De la même façon, les hommes considéraient que le corps des femmes ne pouvait pas résister à l’atmosphère lunaire, contrairement à celui des hommes. En plus de ces stéréotypes sexistes, l ’envoi des femmes dans l’espace se heurtait à des raisons totalement incongrues. Par exemple, Sally Ride est la troisième femme à être allée dans l’espace. Elle raconte que pour un voyage d’une semaine, elle avait dû emporter avec elle 100 tampons et serviettes hygiéniques, et alors ?
Heureusement, ces conceptions erronées des femmes dans l’aérospatiale ont évolué et elles sont maintenant (presque) reconnues autant que les hommes. Des problèmes persistent mais la situation commence réellement à changer. Pour la première fois depuis sa création, trois des quatre pôles scientifiques de la NASA sont dirigés par des femmes. Nicola Fox, Lori Glaze et Candra Kauffman vont pouvoir, comme Mary Jackson, Dorothy Vaughan et Katherine Johnson, devenir des modèles pour la nouvelle génération de femmes qui voudront intégrer la NASA.
Célia Rabot 50-50 Magazine