Articles récents \ Île de France \ Société Elina Dumont une ancienne sans abri devenue comédienne, mandatée par la région IDF pour réaliser un état des lieux des femmes dans la rue
En France, 3,6 millions de personnes vivent dans des conditions de logement précaires. 300.000 sont sans domicile. A Paris sur 81.000 personnes sans-abri recensées, 40% sont des femmes mais elles restent invisibles car davantage exposées aux violences. Moins d’un quart des places en centre d’hébergement leur est réservé. Elina Dumont, ancienne sans domicile, a été mandatée par la région Ile-de-France pour réaliser un rapport sur les femmes à la rue. Elle est également devenue comédienne.
Placée à la DASS, Elina Dumont collectionne les foyers d’accueil puis atterrit à Paris à 18 ans sans formation et sans toit. La jeune fille refuse de mendier et utilisera plusieurs ruses pour ne pas dormir dans la rue. Une d’elles en particulier : boire de l’alcool et prendre des comprimés pour s’évanouir et se retrouver aux urgences pour quelques jours. À 19 ans, elle se retrouve à l’hôpital Saint-Anne qui la place sous tutelle jusqu’à ses 21 ans. Elina Dumont vivra 15 ans dans la rue. Elle enchaîne des petits boulots mais iles ne lui permettent pas de louer un logement. Elle dort dans des squats, des centres d’accueil d’urgence, des hôtels miteux, des boîtes de nuit ou bien à la belle étoile. Elle ne se cache pas d’avoir eu des relations sexuelles pour dormir dans un lit au chaud ou pour se faire offrir des vêtements neufs.
Elle doit son salut à Marie Desplechin, l’autrice, qui l’embauche comme baby-sitter, lui dégote une chambre de bonne et l’aidera psychologiquement à retrouver confiance en elle. Elle décide d’arrêter la drogue et l’alcool, de consulter un psychiatre et de reprendre les études. Elina devient assistante sociale. Lors d’un casting, elle est repérée pour jouer un rôle de sans-abri au théâtre de Chaillot. Dès cet instant, la jeune femme décide de devenir comédienne et d’écrire son spectacle. Elle prend alors des cours de mime et de théâtre. En parallèle, elle crée l’association Cris d’éclats pour aider et accompagner les sans-abris. À 44 ans, Elina Dumont emménage dans un studio HLM à 500 € par mois. Pour l’obtenir, elle triche sur sa fiche de paie, car en CDD elle ne gagne pas suffisamment
Son rêve se réalise enfin. En 2012, Elina Dumont monte sur les planches pour son spectacle marrainé par Marie Desplechin, Des quais à la Scène. En 2013, Flammarion la contacte et lui propose d’écrire sa biographie, Longtemps, j’ai habité dehors. Pendant la promotion de son livre, elle est invitée à l’émission Les Grandes Gueules sur RMC où elle intervient régulièrement pour dénoncer les combats qui lui tiennent à cœur.
Elina Dumont : « J’aimerais mettre en place un Syndicat pour les sans domicile« Pouvez-vous nous parler de votre mission auprès de la Région Ile-de-France sur les femmes dans les rues ? Valérie Pécresse, Présidente de la Région Île de France, m’a demandé un état des lieux des femmes dans la rue. Je l’ai rencontrée sur le plateau des Grandes Gueules en 2015 et elle m’a appelée en 2018. Dans mon rapport remis fin 2020, je propose 29 recommandations dont certaines ont été retenues comme la création de plusieurs maisons solidaires gérées par des femmes et qui n’accueillent que des femmes sans-abri. 5000 kits menstruels ont été également distribués, ce que je préconisais. Quel est l’impact du Covid sur les sans domicile ? Je suis marraine de plusieurs maraudes à Paris et depuis le Covid, j’y ai constaté davantage de mères seules avec des enfants et de familles expulsées. De manière générale, les femmes ne sont guère visibles dans les rues en dehors de la prostitution. Elles vont dans des accueils de jour, se réfugient dans les bibliothèques ou les cybercafés, font les lignes de bus et de métro toute la journée. Certaines trouvent des petits boulots comme baby-sister ou femme de ménage. Quant à l’hygiène, il y a du progrès grâce aux nombreuses associations qui existent mais il y a encore trop de femmes qui utilisent des journaux, du papier WC ou autres en guise de protections lors des règles menstruelles. Les viols des femmes sans-abri ont souvent lieu lorsqu’il y a présence d’alcool ou autres produits illicites. La prostitution a-t-elle augmenté depuis quelques années ? Oui, surtout depuis que le client est pénalisé. La prostitution s’organise en cachette. Sur le terrain, de nombreuses jeunes femmes se prostituent pour arrondir leurs fins de mois en emmenant les clients dans un hôtel en toute discrétion. C’est toujours la précarité qui provoque la prostitution qu’elle soit occasionnelle ou pas. Je ne connais pas de femmes aisées qui se prostituent pour le plaisir. Ce que je remarque, c’est l’augmentation de la prostitution liée au crack. Pour 5 € ou 10 €, les filles ont des rapports sexuels car elles sont devenues addictes. On aperçoit aussi beaucoup d’Asiatiques dans le Xème arrondissement de Paris. Des applications sur internet sont mises en place à présent. Comment aider ces jeunes femmes à s’en sortir ? Il faut davantage de lieux d’accueil, multiplier les maraudes, mieux protéger les femmes victimes de violences dès la première plainte, en parler davantage dans les médias pour casser les idées reçues sur les sans-abris. En France, on ne meurt pas de faim mais de solitude. L’espérance de vie d’un·e sans-abri est de 50 ans. Mais surtout, il faut les aider à suivre une psychothérapie en particulier quand il y a des addictions. Elles restent fragiles à vie, retombent plus facilement dans les drogues ou l’alcool, car la rue les déglingue. Quels sont vos projets ? Valérie Pécresse m’a demandé un rapport sur la consommation de crack qui circule énormément à Paris et plus particulièrement dans certains arrondissements. J’aimerais mettre en place un Syndicat pour les sans domicile car je trouve qu’on entretient les gens dans la merde. Les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales ne sont pas assez formé·es. On aide les sans-abris à coup de RSA ou de petits boulots alors qu’elles/ils ont besoin d’aller voir un psychiatre en priorité. Le sans-abrisme n’est pas une fatalité. Il faut une véritable volonté des pouvoirs publics pour y mettre fin. En Finlande, il n’y a quasiment aucune personne à la rue car une réelle prise en charge est effectuée. La France doit prendre ce pays comme exemple. Je connais beaucoup de personnes devenues alcooliques qui ont perdu leur travail puis leur logement et qui se sont retrouvées à la rue. Il faut les soigner de leur addiction qui est le fond du problème. J’ai rencontré des sans-abris qui ne boivent que du café et ne prennent aucune drogue mais qui ont eu une enfance terrible. Un suivi psychologique est indispensable pour s’en sortir. Et au niveau personnel ? Cette année, je remonte sur les planches. J’ai plusieurs spectacles qui auront lieu en fonction de la crise sanitaire.
Laurence Dionigi 50-50 Magazine