Articles récents \ France \ Économie Danièle Marcovici: « Dès ma prise de fonctions à la direction de l’entreprise, j’ai mis en place des règles afin de combattre le sexisme »
Danièle Marcovivi est la fondatrice de la Fondation RAJA qui va fêter ses 15 ans. RAJA est une entreprise créé en 1954 par la mère de Danièle Marcovici, à une époque où il était très courageux pour une femme d’entrer dans « un monde d’hommes ! » La Fondation développe des actions de solidarité et de mécénat dédiées à l’émancipation des femmes, en France et à l’international. Ses projets portent sur la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfant, la promotion de l’éducation et du leadership des femmes, le soutien à l’insertion professionnelle et aux droits économiques des femmes …
Parlez-nous du parcours de votre mère Rachel Marcovici qui a créé les cartons Raja en 1954, ce qui était très rare pour une femme à cette époque.
J’ai beaucoup d’admiration pour ma mère, Rachel Marcovici. Née à Paris de parents immigrés et d’origine modeste, elle a lancé les Cartons RAJA en 1954. C’était à peine dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, à une époque où les femmes étaient cantonnées à un rôle de mère de famille. Ma mère aurait très bien pu rester à la maison pour s’occuper de ses trois enfants. Au lieu de cela, elle a pulvérisé les idées reçues en créant sa propre entreprise de distribution d’emballages, cartons et papiers. Quelle audace ! Rappelez-vous que c’était plus de vingt ans avant que le Parlement n’autorise les françaises à ouvrir un compte bancaire en leur nom et travailler sans le consentement de leur mari !
Ma mère était représentante aux Papeteries du Nord et elle entendait souvent les clients se plaindre du coût trop élevé des cartons neufs. Elle a eu cette idée géniale de proposer à la vente des cartons de réemploi. A l’âge de 40 ans, elle s’est installée d’abord dans le vingtième arrondissement de Paris, rue Monte-Cristo. En cela, elle a fait preuve d’un esprit d’entreprise exceptionnel à une époque où les femmes n’étaient pas pleinement libres.
Son énergie et sa force de travail peu commune ont ensuite fait la différence. Ma mère était permanence à l’écoute du client et disait d’ailleurs qu’il fallait vendre ce dont le client a besoin. Elle était toujours à la recherche de nouveautés dans un souci permanent de satisfaction du client et a développé une offre de produits disponibles sur stocks et proposé des services de livraison rapide. Elle avait une grande intuition commerciale et un sens inné du marketing et de la vente. C’est grâce à cela, et à beaucoup d’audace, qu’elle a pu développer le succès et la notoriété des cartons RAJA. C’est aussi grâce à mon père, Monsieur Marcovici, qui a assuré la bonne gestion de l’entreprise et ne cachait pas son admiration pour sa femme. C’est le premier homme féministe que j’ai rencontré.
Ma mère a été une source d’inspiration constante pour moi. Ses valeurs étaient le respect du client, le sens du service et le goût du travail. Je partage ces valeurs et les applique au quotidien.
Comment et quand avez-vous repris l’entreprise de votre mère ? Est-ce vous qui avez apporté les valeurs de solidarité, d’égalité femmes/hommes ?
Je me suis engagée dans la lutte féministe dès le début des années 1970. Mon militantisme féministe s’est nourri d’un engagement humaniste et universaliste. C’est ensuite que j’ai rejoint l’entreprise en tant que commerciale, puis j’ai repris la direction générale au début des années 1980. J’ai traduit mon engagement dans l’entreprise très concrètement, dans les règles et les usages de l’entreprise. Dès ma prise de fonctions à la direction de l’entreprise, j’ai mis en place des règles afin de combattre le sexisme. J’ai ainsi fait inscrire, dans le règlement intérieur, l’interdiction de tenir des propos racistes ou sexistes, et l’interdiction du harcèlement sexuel et moral. C’était une époque où on parlait encore très peu de sexisme, et on le dénonçait encore moins.
Quand et pourquoi avez créé la Fondation Raja ? Quels sont les objectifs de cette Fondation, ses axes d’intervention ?
J’ai très vite acquis la conviction que l’entreprise peut et doit être un acteur important de la société, ayant la capacité de changer certaines choses et d’apporter des solutions innovantes, au-delà du développement économique.
J’ai voulu que l’entreprise RAJA s’engage pleinement dans la lutte pour les droits des femmes. C’est comme cela que j’ai créé, en 2006, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici. Afin de s’engager et soutenir des actrices/acteurs de terrain qui, au jour le jour, combattent les discriminations auxquelles les femmes et les filles sont confrontées, et cela dans tous les domaines. Il y a encore trop d’inégalités, trop de freins, trop de limitations pour les femmes. La Fondation s’implique sur plusieurs sujets importants, afin de montrer qu’il existe des réponses, des solutions, des actions concrètes qui peuvent faire la différence et améliorer le quotidien et le futur des femmes. La Fondation a ainsi plusieurs domaines d’action : la lutte contre les violences faites aux femmes, la promotion de l’éducation et du leadership des femmes, la formation professionnelle et l’action sociale, et les actions des femmes pour l’environnement.
Donnez-nous quelques exemples de projets soutenus.
Depuis 2006, nous avons soutenu plus de 576 projets dans 56 pays en France et dans le monde, pour un budget global de plus de 11 millions d’euros.
A l’étranger, nous soutenons des associations comme Yara LNC, au Niger, dont l’objectif est de permettre à des jeunes filles de suivre une scolarité complète afin que toutes accèdent à un diplôme puis à un emploi. Nous luttons également contre la déscolarisation des jeunes filles au Sénégal en accompagnant l’association Futur au Présent dans le développement d’une Maison de l’éducation assurant des conditions favorables à la réussite scolaire des jeunes filles du quartier de Kandé à Ziguinchor. En Afghanistan, nous cofinançons l’association Afghanistan libre qui promeut une éducation de qualité par la formation des élèves et des enseignantes.
En France, nous luttons contre les violences faites aux femmes et aux filles en soutenant notamment la Fédération Nationale Solidarité Femmes, qui est en charge du numéro d’écoute national 3919 destiné aux femmes victimes de violences, ou encore en accompagnant la création de la Maison des Femmes de Saint-Denis, lieu de prise en charge unique des femmes en difficulté ou victimes de violences. Les femmes vulnérables sont davantage exposées à la violence et à la précarité. Ainsi, nous soutenons l’association Gynécologues Sans Frontières intervenant auprès des femmes migrantes et de leurs enfants en leur apportant un soutien matériel et juridique, ou encore l’association Urban Refugees qui a pour but de professionnaliser 25 femmes en Ouganda dans la gestion de leur association. Afin de lutter contre la précarité des femmes, nous cofinançons également l’association Rejoué qui favorise l’insertion socio-professionnelle des femmes éloignées de l’emploi en les formant aux métiers du recyclage de jouets.
Enfin, nous soutenant des projets portés par des femmes. Les associations FNAB et SOL promeuvent et accompagnement le travail des femmes dans la lutte contre le dérèglement climatique. La FNAB entreprend des actions pour renforcer et valoriser le travail des productrices bio en France, tandis que SOL forme les femmes en Inde, en France et au Sénégal aux pratiques agroécologiques afin de garantir la sécurité alimentaire des populations.
Vous fêtez les 15 ans de la Fondation Raja le 16 novembre, vous attribuerez alors le prix du Public 2021. Tout le monde a la possibilité de voter pour une association qui lutte en France et dans le monde en faveur de l’autonomisation des femmes ?
Absolument ! Je crois plus que tout à la force du collectif et je pense que ce Prix du Public 2021 est la parfaite occasion de permettre à des associations que la Fondation a soutenues de se faire connaître et de mettre en valeur leurs actions, tout en mobilisant le plus grand nombre de personnes.
Les associations réalisent travail formidable au quotidien. Je pense bien évidemment aussi à toutes les femmes et tous les hommes engagé.es, à toutes les équipes qui sont sur le terrain tous les jours, avec un engagement et une volonté de faire bouger les lignes. Je pense aussi à tous les bénévoles qui les accompagnent, sur leur temps personnel. Les associations ont bien trop souvent des moyens réduits, qu’ils soient financiers, techniques ou même en ressources humaines.
J’encourage vos lectrices et lecteurs à se mobiliser pour soutenir les actrices/acteurs de proximité qui se battent pour plus d’égalité et que toutes les femmes et les filles aient les mêmes chances de pouvoir, un jour, réussir leur vie et s’épanouir pleinement.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine
Cérémonie des 15 ans de la Fondation Raja 50-50 Magazine est partenaire des 15 ans de la Fondation RAJA
Photo de Une © Rémy Deluze