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Au travers de recherches bibliographiques et d’entretiens avec divers acteurs et actrices d’organismes publics et de la société civile, la Commission Climat et développement de Coordination SUD analyse l’action climatique de la France en termes de solidarité internationale à travers un baromètre. Les changements climatiques constituent l’une des plus grandes injustices de notre époque, ses effets pèsent de façon disproportionnée sur les personnes et pays du Sud, pourtant les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre et les plus limités pour s’adapter aux changements climatiques et mener leur transition. La lutte contre les changements climatiques est un enjeu transversal de ce baromètre des engagements climatiques et solidaires, il nous est apparu essentiel de l’analyser au regard d’autres thématiques et notamment au travers des objectifs de développement durable (ODD) . La première édition de ce baromètre s’est concentrée sur l’ODD 5 « Parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes et autonomiser toutes les femmes et les filles ».
Les changements climatiques ont des impacts sur les dynamiques sociales, notamment en exacerbant des inégalités et injustices existantes. De par leur rôle-clé dans la collecte et la gestion des ressources naturelles (eau, bois..) qui sont de plus en plus rares ou lointaines en raison des impacts climatiques, les femmes et les filles, principalement dans les pays les plus vulnérables, font face à une surcharge de travail, voient leurs moyens de subsistance de plus en plus menacés et sont davantage exposées à des risques pour leur santé et leur sécurité. Néanmoins, elles sont des actrices importantes du changement et détiennent des connaissances et des compétences clé pour accélérer et renforcer les actions d’atténuation, d’adaptation et de réduction des risques face au changement climatique.
L’Accord de Paris consacre, dès son préambule, l’importance de prendre en compte les enjeux de droits humains et d’égalité de genre dans l’action climatique, avec la nécessité de briser les silos et de développer des solutions permettant à la fois de limiter les impacts climatiques et de rééquilibrer les relations de pouvoir de genre. En novembre 2017, le tout premier Plan d’Action Genre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) été adopté à la COP23, puis complété par un plan d’action quinquennal renforcé adopté à la COP25 en 2019. Son objectif général est de soutenir et d’améliorer la mise en œuvre des décisions et des mandats relatifs au genre adoptés jusqu’ici dans le cadre du processus de la CCNUCC.
En tant que présidente de la COP21 en 2015, la France a joué un rôle de premier plan pour inclure la lutte contre les inégalités de genre comme essentielle dans l’action climatique. Depuis, elle a continué de mettre à profit sa diplomatie au service d’une réflexion et action conjointe contre le changement climatique et les inégalités de genre, dans plusieurs enceintes internationales dont le G7. Cependant, en tant que gardienne de l’Accord de Paris et porteuse d’une diplomatie féministe, la France doit rehausser l’ambition de ses actions en alignant ses discours avec des actes concrets, mesurables et avec un potentiel d’impact transformatif permettant aux femmes de pouvoir développer et répliquer des solutions en faveur du climat et de la biodiversité et de davantage participer aux décisions régionales, nationales et internationales relatives à ces enjeux. La France a co-organisé des ateliers de renforcement de capacités de négociatrices francophones et apporté une contribution financière limitée et unique à la mise en œuvre du plan d’action Genre de la CCNUCC. Bien que pertinentes, ces actions sont bien trop modestes par rapport au discours et à l’ambition affichée par là. Par ailleurs, le récent départ de la personne point focale Genre et Climat de la France qui avait occupé cette fonction depuis sa création en 2017, et joué un rôle proactif aux niveaux européen et international, peut potentiellement faire perdre du terrain à la France sur ces enjeux. Il est donc primordial que la France assure une transition fluide et rapide afin de continuer de jouer un rôle de premier plan dans le bloc européen lors des négociations genre au sein de la CCNUCC et monte en gamme pour devenir l’un des pays moteurs dans la mise en œuvre du plan d’action Genre de la CCNUCC.
En termes de ressources et d’accès aux financements, l’accès direct des petites et moyennes organisations féministes des pays du Sud – pourtant porteuses de solutions et au cœur des problématiques locales – aux financements climat reste très faible. Si la France a annoncé en 2019, la création d’un fonds de soutien aux organisations féministes et lancé un appel à propositions dédié aux enjeux genre et climat, la pérennisation de ce fonds n’est pas assurée. Et la flexibilité de ses financements et l’inclusion d’organisations de la société civile féministes dans leur diversité font encore l’objet d’un plaidoyer fort de la part de la société civile vis-à-vis de la France. Cela risque donc d’être une réponse insuffisante pour faciliter l’accès direct des OSC féministes locales à ces financements afin qu’elles puissent mener ou répliquer des projets à l’échelle communautaire ; un enjeu clé pour lutter efficacement contre le changement climatique et les inégalités de genre.
L’innovation technologique est une composante indispensable de la réponse à la crise climatique. La mise au point et le transfert de ces technologies font ainsi l’objet de l’article 10 de l’Accord de Paris Elles représentent de fait potentiellement un puissant levier de transition et transformation vers un modèle plus résilient, moins carboné et plus équitable. En raison des normes sociales et culturelles, les inégalités entre les femmes et les hommes sont encore très fortes dans l’accès aux technologies climatiques et leurs avantages. Malgré son importance cruciale, ce sujet n’avance pas au sein des enceintes internationales. De fait, il manque aujourd’hui cruellement d’une approche différente pour l’ensemble des processus liés au transfert et développement de technologies Climat qui empêchent un développement ou un transfert de technologies plus juste ou qui corrige ces inégalités.
L’Agence française de développement (AFD), a récemment développé un narratif autour d’approches intégrées permettant de rapprocher les deux engagements structurants de son plan d’orientation stratégique IV (100% lien social et 100% Accord de Paris) et mentionne les enjeux croisés d’inégalités de genre et de vulnérabilités face au changement climatique. A ce jour, l’AFD ne dispose pas d’une stratégie publique dédiée au genre, laissant craindre un affaiblissement des ambitions en la matière. L’évaluation de la précédente stratégie Genre et Développement de l’AFD, mentionne même des tensions entre les priorités Climat et Genre, la première bénéficiant d’un portage plus important par la hiérarchie. La réflexion et les actions sur les inégalités croisées et l’articulation entre les priorités Genre et Climat du groupe devront être renforcées, y compris dans les différentes stratégies transversales sur le Genre et le Climat. Une intégration effective du genre, voire une institutionnalisation du genre, requiert des ressources, un personnel et des fonds dédiés à l’accompagnement des équipes, à la prospection et au suivi de projets. Une équipe renforcée, à minimum doublée avec un temps significatif dédié à ces fonctions faciliterait l’intégration du genre au sein des activités. Concernant l’intégration du Genre dans les projets Climat de l’AFD, la Commission Climat et développement s’est concentrée sur deux Facilités Climat. Si la Facilité Adapt’Action semble afficher une volonté d’intégration du genre, les résultats sont mitigés du fait de l’absence de mesures contraignantes. De son côté, la Facilité 2050 intègre le genre au cas par cas, sans toutefois afficher une ambition spécifique. L’ambition d’intégrer des enjeux Genre est donc très faible voire inexistante en dépit des liens thématiques potentiels.
Photo de Une : © Annie Spratt – Culture du Manioc en Sierra Leone.