Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Une majorité de pères se pensent très actifs au sein du foyer. Les femmes font entendre un autre son de cloche

Le 23 septembre 2020, Emmanuel Macron annonçait officiellement l’allongement du congé paternité à 28 jours, dont 7 jours obligatoires. Si la mesure reste très en-deçà des recommandations d’expert·es (le neuropsychiatre Boris Cyrulnik proposait de porter le congé paternité à 9 semaines), elle constitue néanmoins un pas en avant pour l’égalité femmes/hommes et la déconstruction des stéréotypes genrés dans l’éducation des enfants. Elle va également dans le sens de l’opinion publique : un sondage de YouGov pour le Huffington Post montrait que 61 % des mères et pères français·es sont favorables à un allongement du congé paternité.

Ce qui semble très positif au premier abord, mais… les choses se corsent lorsque l’on se penche d’un peu plus près sur le genre des répondant·es. C’est ce que la faireparterie (1) a mis en évidence dans une étude abordant, entre autres, le sujet de l’implication paternelle dans le quotidien familial et les motivations des pères à prendre leur congé. Un schéma très clair se dessine : papas et mamans ne sont pas exactement sur la même longueur d’onde sur ces questions…

La charge mentale : le père et l’éducation des enfants

4 parents sur 5 estiment que les pères d’aujourd’hui sont plus impliqués dans la vie de famille que ceux des générations précédentes. 64 % des jeunes parents estiment que les pères prennent plus part à l’éducation des enfants et 56 % trouvent qu’ils sont davantage impliqués dans les tâches domestiques. Seuls 9 % des répondant·es pensent qu’il n’y a aucune différence entre pères d’antan et pères d’aujourd’hui, ce qui indique nettement des progrès.

Hélas, les hommes ont également l’air nettement plus convaincus que les femmes de leur implication. Si 72 % des hommes affirment prendre part activement à l’éducation des enfants, seules 56 % des femmes le confirment. Pour les tâches domestiques, l’écart est de 68 % à 44 %. Le fossé est tout aussi grand quand il s’agit de réduire le temps de travail pour passer du temps en famille : 55 % des hommes affirment le faire, mais seules 22 % des femmes acquiescent…

Ces différences de perception reflètent les données actuelles ; le rapport 2020 de l’Observatoire des inégalités indiquait que 80 % des femmes consacraient au moins 1 heure par jour à la cuisine ou au ménage, contre 36 % des hommes. Une démonstration éclatante de la charge mentale encore trop présente dans notre société. Si les femmes en font souvent trop, c’est aussi parce que leurs conjoints ont tendance à surestimer leurs contributions.

26 % des hommes prennent un congé paternité pour soutenir leur conjointe

Les différences de perception ne concernent pas que l’implication dans les tâches domestiques ou éducatives : le fait est que les femmes ignorent pourquoi leurs époux prennent leur congé paternité. Trois quarts d’entre elles pensent que la motivation principale est de tisser un lien avec leur enfant. En réalité, seuls 41 % des hommes citent cette motivation.

La première raison est de soutenir leur conjointe à l’arrivée du bébé (40 %). Les hommes évoquent d’autres motivations comme le partage des tâches et le fait d’être avec leur conjointe pendant quelques jours. Aussi, pour 26 % des hommes, l’idée est de faciliter le retour au travail de leur conjointe, une raison que n’envisagent que 6 % des femmes. Plus gênant encore, 19 % y voient l’opportunité de… se reposer.

38 % citent le désir d’apprendre à s’occuper de son enfant, une motivation qui arrive en troisième place. Ce qui pourrait montrer que, consciemment ou non, beaucoup d’hommes estiment encore que cette tâche revient à leur conjointe, à qui ils apportent une capacité de soutien. Ceci dit, notons que les attentes des pères peuvent être influencées par la durée du congé paternité, non seulement court en comparaison d’autres pays scandinaves, mais assez mal vu dans le milieu professionnel…

En entreprise, le congé paternité ne coule pas de source…

Preuve que le congé paternité n’est pas encore entré dans les mœurs, 4 mères et pères sur 10 se considèrent comme insuffisamment informé·es de leurs droits à la naissance de leur enfant. 53 % expriment le désir que leur employeuse/employeur cesse de considérer le congé paternité comme des vacances, et 45 % qu’il ne soit pas vu comme un obstacle à la performance. Le rapport publié par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2018 confirme « qu’il y a un fort besoin de communication sur le congé de paternité. »

Les problèmes de perception du congé paternité en entreprise sont bien documentés. Peu avant la réforme, Martial Valéry, dirigeant du studio de jeux vidéo Oh Bibi, expliquait ainsi au Monde : « quand j’ai eu ma première fille en 2013, moins de douze heures après la naissance, je recevais un appel de mon boss que je devais absolument prendre. Une semaine après, j’étais de retour au bureau à faire du 9 heures – 20 heures. »

Rien d’étonnant à cela : les stéréotypes genrés ont la vie dure. Dans le milieu professionnel, on considère encore que le soin et l’éducation des enfants sont des tâches qui incombent à la mère. Par conséquent, le désir des pères de passer un peu de temps avec leur famille à la naissance de leur enfant est perçu comme incongru, voire pour les plus cyniques, comme l’envie de prendre des vacances aux frais du contribuable. Une idée pas tout à fait infondée, puisque 19 % affirment prendre leur congé (entre autres) pour se reposer.

mais les entreprises s’engagent de plus en plus

C’est cette expérience qui a incité Martial Valéry à instaurer un congé paternité de deux mois payé par l’entreprise. Et il n’est pas le seul. D’autres boîtes n’ont pas attendu le gouvernement pour se lancer dans la bataille. En 2019, L’Oréal faisait les gros titres suite à sa décision de porter le congé paternité à 6 semaines. Le dispositif Parental Act, créé début 2020 par un collectif d’entrepreneur.es garantit au moins un mois de congé paternité pour les salarié·es des entreprises signataires (actuellement au nombre de 391).

Les motivations officielles ? L’égalité femmes/hommes et le désir de faire bouger les choses. Un communiqué du groupe de luxe Kering, qui a instauré un congé paternité de 14 semaines, citait la volonté de « promouvoir l’égalité entre les salariés femmes et hommes, indépendamment de leur situation personnelle. » D’autres n’hésitent pas à parler plus franchement, comme Netflix après sa décision d’allonger le congé à un an : « l’expérience montre que les gens travaillent mieux lorsqu’ils ne s’inquiètent pas pour leur vie personnelle. »

Quelles qu’en soient les raisons, cette tendance indique que le vent tourne. Si les entreprises prennent les devants, c’est qu’elles ont reconnu un changement social en marche. Leurs initiatives ne peuvent qu’encourager les pères à accepter, voire revendiquer le congé paternité et déconstruire tout doucement les préjugés sociaux à son encontre. Tant bien que mal, l’égalité professionnelle femmes/hommes continue à faire son petit bonhomme de chemin.

Vers un congé parental commun ?

Le rapport des 1 000 premiers jours de l’enfant présidée par Boris Cyrulnik était nettement plus ambitieux que la réforme actuelle. Les 18 expert·es préconisaient d’allonger le congé paternité à 9 semaines et de proposer aux deux parents un congé parental commun de 36 semaines partageable. Une idée qui progresse dans la société française, puisque 42 % des sondé·es se disent favorables à son implémentation (avec 34 % plutôt favorables).

Cette mesure est déjà mise en place dans certains pays européens comme la Finlande, où le congé parental commun dure près de 7 mois. Les congés paternité et maternité ont été supprimés afin d’envoyer un message clair : s’occuper de ses enfants n’est pas une tâche genrée et tou·tes sont égales/égaux dans cet effort.

La proposition s’est vue bloquée par la France pour cause de financement, le chef de l’État ayant déclaré que cela représenterait un « coût potentiellement explosif ». Selon le rapport de l’IGAS, le financement d’un congé de paternité de 4 semaines pourrait cependant « être assuré par la CNAF, et éventuellement par une contribution des entreprises ».

Le tableau est mitigé. D’un côté, les progrès sont indéniables. L’allongement du congé paternité et les efforts récents dans le monde de l’entreprise montrent que le vent tourne et que la société remet de plus en plus en question les stéréotypes qui assignent aux femmes l’éducation des enfants, l’image de l’épouse et mère prenant soin du foyer pendant que papa travaille. Ceci dit, les préjugés sont encore bien présents dans la sphère privée, où ils sont nettement plus compliqués à déconstruire. La tendance des hommes à surestimer leurs contributions au foyer pose notamment problème.

La réforme donne espoir, cependant. Les études montrent en effet que les pères ayant pris leur congé paternité sont plus susceptibles de nourrir et habiller leurs enfants, ainsi que de jouer avec eux, au cours des années suivant la fin du congé. Et l’intérêt des jeunes mères et pères français envers le congé parental indique que des mesures encore plus progressistes pourraient éventuellement être prises à l’avenir. À suivre…

Hélène Belaunde Rédactrice web sur les questions sociétales et d’égalité

  1. La faireparterie est la société de faire-parts qui a commandité l’étude, réalisée avec l’institut d’études et de sondages GECE.
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