Articles récents \ France \ Société Le Sommet de la Sororité : pour un mouvement féministe uni !
Entretiens, ateliers, performances artistiques, le Sommet de la Sororité, organisé du 18 au 21 mars par Feminists in the City, a été l’occasion pour les féministes et leurs allié·es de se réunir autour de ce qui nous rassemble. Cette rencontre inédite a permis de réaffirmer une unité dans la différence, donnant ainsi tort au patriarcat qui s’applique à « diviser pour mieux régner ».
Du 18 au 21 mars a eu lieu le Sommet de la Sororité, organisé par Feminists in the City. Avec un programme haut en couleurs et riche en émotions, Julie Marangé et Cécile Fara, les fondatrices, nous ont fait voyager, le temps d’un weekend, sur les traces de la sororité dans le féminisme à travers le temps et l’espace. De la sororité intergénérationnelle, à la sororité internationale, les multiples entretiens, ateliers, masterclasses et performances artistiques ont été l’occasion de se questionner : que recherche-t-on à travers notre activisme ?
La sororité, une notion qui varie au gré des combats
La comédienne Noémie de Lattre a commencé par rappeler la particularité du mot “sororité” : “Sororité est un mot que mon ordinateur souligne encore. Cela dit tout : la fraternité est dans la devise française et la sororité n’est même pas dans le dictionnaire”. Pourtant, la sororité, en tant que sentiment de solidarité entre les femmes, a été au cœur de sa vie professionnelle. Par exemple, entre les confinements, elle a travaillé sur une pièce de théâtre appelée Sabbat avec 28 autres femmes. Cela a été un travail difficile, mais de la difficulté est sorti quelque chose de plus grand : “on s’est soutenues, poussées, épanouies les unes les autres. On est allées chercher au plus profond de nous”. Elle qualifie cette rencontre entre sœurs d’“épiphanie”.
Par ailleurs, du fait du combat qu’elle mène contre le tabou des règles, la comédienne voit les règles comme l’incarnation même de la sororité. “On a appris le dégoût et la honte des règles. On nous a appris à nous concentrer sur l’aspect douloureux des règles. Mais c’est quelque chose de naturel qui nous rassemble, qui suffit à créer une sororité, une communauté”.
Par la suite, la gynécologue obstétricienne Ghada Hatem a expliqué que la sororité est au cœur des actions de la Maison des Femmes de Saint-Denis qu’elle a fondée en 2016. Grâce à des groupes de parole, les femmes victimes de violences peuvent échanger sur leur vécu, se faire des amies, sortir de l’isolement…. et finalement, créer un sentiment de solidarité en se disant “peut-être qu’ensemble on peut changer la donne”.
Pour Ghada Hatem, la sororité, c’est donc “mettre en visibilité les femmes et leur parole” mais pas que : “c’est quelque chose à partager aussi avec les hommes”. Elle rappelle que cela doit être un mouvement qui pousse les humains à s’entraider, à s’accompagner dans des moments de vulnérabilité. En ce sens, elle préfère la notion d’empathie, primordiale pour les soignant·es. Kim et Julie, créatrices du podcast Popculture Inclusive, rejoignent d’ailleurs Ghada Hatem sur ce point : “la sororité, c’est écouter les gens parler”. Parfois, c’est difficile de faire preuve d’empathie envers quelqu’un qui n’a pas le même vécu que soi, mais c’est un travail sur soi qui est nécessaire.
Quant à Caroline De Haas, du collectif #Noustoutes, elle définit la sororité comme la bienveillance que l’on porte aux autres mais aussi à soi-même, notamment en tant que militant·e féministe. Il est important de lutter contre le burn out militant : “je ne veux pas souffrir dans mon militantisme”. Pour cela, il faut fixer des règles individuelles et collectives, comme le droit à la déconnexion et la mise à distance des récits de violences. La santé mentale ne doit plus être taboue.
Petit bémol cependant, le terme “sororité” la gêne en ce qu’il donne l’impression qu’il y a une égalité entre les femmes. Or, certaines femmes sont plus privilégiées que d’autres. Elle propose donc de remplacer ce terme par “générosité”. S’engager en tant que féministe, c’est utiliser ses privilèges, en termes de temps et d’énergie, pour redonner au maximum à celles/ceux qui ont moins. Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter Les Glorieuses, rejoint Caroline de Haas sur ce point. La sororité doit être érigée en combat ; il faut en faire la preuve au quotidien. Concrètement, pour elle, cela signifie « tendre son micro à des femmes moins privilégiées ».
Solidarité, communauté, empathie, bienveillance, générosité… La sororité prend de multiples formes selon les combats menés mais finalement, c’est l’idée d’amour qui ressort. C’est d’ailleurs ainsi que l’historienne Michelle Perrot, marraine du Sommet, a défini la sororité lors de l’ouverture du Sommet.
La sororité : un soutien inconditionnel ou un lieu propice au débat bienveillant ?
Si toutes les intervenantes se rejoignent sur la notion d’amour comme fondement de la sororité, les opinions divergent quant à l’inconditionnalité de cet amour. Pour Noémie de Lattre, sororité implique soutien inconditionnel : “je vais prendre le parti des femmes. Si une femme a tort, je ne dis rien. Si elle a raison, je la soutiens”. Elle fait le choix militant de ne plus dénigrer aucune femme parce que le patriarcat ne prend jamais le parti des femmes, qu’elles sont toujours désavantagées et dénigrées. Cette position peut permettre de dépasser l’injonction patriarcale qui veut que les femmes soient en compétition.
Cependant, pour Inna Shevchenko, présidente du groupe Femen en France (1), la sororité doit être un lieu de débat entre féministes. Elle explique qu’elle a appris la sororité au contact de femmes très différentes les unes des autres avec qui elle a débattu et réfléchi, “tout en comprenant que si on se retrouve dans la même pièce, cela veut dire que nous partageons quelque chose de beaucoup plus grand que nos différences”. Et Inna Shevchenko de rappeler que se réunir entre personnes qui se ressemblent et qui pensent de la même façon “mènera à un échec du projet féministe”.
Ses propos font écho à ceux de l’intellectuelle féministe bell hooks qui indique que la “critique interne est essentielle à tout mouvement politique progressiste” (2). C’est grâce à la critique constructive au sein du mouvement que chacun·e sera en mesure de questionner ses privilèges et de travailler sur soi pour éliminer sa socialisation sexiste, raciste, classiste, etc. Faire preuve d’auto-critique et savoir changer de direction quand c’est nécessaire font du mouvement féministe un mouvement dynamique qui n’est pas figé dans le temps.
Il s’agit donc de trouver un compromis entre soutien inconditionnel et dénigrement des opinions différentes en ouvrant le mouvement au débat constructif et bienveillant. La limite étant les discours haineux ou violents, ceux qui nient à une personne le droit d’exister et mettent les femmes en danger. Rebecca Amsellem rappelle d’ailleurs que lutter les unes contre les autres au sein du mouvement féministe, c’est faire le jeu du patriarcat. “Le mouvement féministe a besoin de bienveillance et faire preuve de bienveillance est un acte sorore”.
La découverte de ce Sommet de la Sororité : les Tentes Rouges, ou la sororité à l’état pur Pendant le Sommet de la Sororité, a eu lieu un atelier Tentes Rouges en non-mixité. Historiquement, une tente rouge est un espace secret et sacré, issu de rituels millénaires, où se réunissent les femmes pour échanger sur leurs expériences et (re)conquérir leur pouvoir intérieur. Pendant 1h30, les participantes ont pu vivre une expérience hors du temps qui les a connectées les unes aux autres. Ouverts et clôturés par une méditation guidée, ces cercles de parole libérée ont été un des temps forts de ce Sommet, une expérience de la sororité à l’état pur.
Maud Charpentier, 50-50 Magazine
1. Lire plus : Conversation avec une Femen, partie 1 et partie 2.
2. bell hooks, De la marge au centre, théorie féministe, Ed. Cambourakis, 1984.