Articles récents \ Île de France \ Société La journée internationale des droits des femmes : pour un féminisme intergénérationnel !

La journée internationale des droits des femmes est souvent sujette à des interprétations erronées de la part du grand public et d’un grand nombre de médias. La confusion vient probablement de l’appellation officielle de l’ONU en anglais, International Women’s Day, qui se traduit littéralement par Journée internationale des femmes. Cette erreur sémantique contribue en effet à discréditer l’événement militant qui a été conçu initialement pour défendre les droits des femmes. « La journée de la femme » s’ajouterait alors à la liste des fêtes traditionnelles binaires bien connues, dont la fête des mères et la fête des pères sont des exemples significatifs. Cette journée a été l’occasion de se pencher sur la question du féminisme intergénérationnel et d’entrecroiser les pensées féministes de trois générations rencontrées lors de la manifestation de Paris.

Pouvez-vous vous présenter ?

Monique : J’ai 73 ans, mon métier est derrière moi, j’étais psychomotricienne. J’ai travaillé 30 ans en banlieue nord, là où l’on répète sans cesse qu’il y a beaucoup de violence et de délinquance. Je peux témoigner qu’il y avait une richesse, une chaleur extraordinaire que j’aimerais bien retrouver ailleurs. Je suis à la retraite depuis longtemps. J’ai toujours lutté pour les droits des femmes. J’ai commencé jeune et j’ai continué. Aujourd’hui je pense à mes filles et mes petits enfants qui partagent ces valeurs là et j’espère que ça va durer.

Isabelle : J’ai 56 ans, je suis mère de famille, je suis à la CGT, je suis syndicaliste et je travaille dans le monde de la recherche.

Valentine : J’ai 21 ans et je suis étudiante en année de césure. Je fais un volontariat dans une association d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité.

Comment définissez-vous le féminisme ? 

Monique : Je crois que c’est tout simplement faire reconnaître ses droits. Le droit à l’égalité et au respect.

Isabelle : Le féminisme c’est ma mère qui est née en 1936 qui me l’a inculquée. Elle s’est battue pour la pilule, pour les libertés des femmes, l’autonomie financière.

Valentine : Quand des personnes me disent «je ne suis pas féministe», je suis toujours étonnée parce que dans la définition du féminisme il n’y a rien de plus que vouloir l’égalité des droits entre les femmes et les hommes et entre les genres.

Depuis quand vous sentez vous concernée par les questions de l’égalité femmes/hommes, et comment se traduit votre engagement ? 

Monique : Je me sens concernée par ces questions depuis que je suis jeune femme, lorsque je passais le bac. C’était dans les années 1970, donc c’était le grand moment des mouvements féministes, avec le MLF. D’ailleurs la chanson qui a été chantée tout à l’heure est celle du MLF. Moi je n’étais pas au MLF mais dans un autre mouvement féministe qui s’appelait l’Union des Femmes Françaises, mais on se battait pour les mêmes choses. Maintenant mon activité militante est plus ponctuelle, comme être là aujourd’hui. Dans les discussions, je défends nos droits, je ne laisse rien passer, que ce soit le racisme ou le sexisme.

Isabelle : L’égalité femmes-hommes m’a toujours concernée, je suis née dans une famille très libre, année 68 etc. Le moment où je me suis le plus engagée c’est lorsque j’ai ouvert les yeux sur le monde du travail et la domination du patriarcat dans le milieu de la recherche qui n’est pas un milieu facile. Je suis ingénieure. Dans la recherche médicale, il y a plus de femmes mais jusqu’à un certain niveau, plus on monte, c’est-à-dire jusqu’au niveau des directrices/directeurs de recherche, moins il y a de femmes. Donc il y a un réel combat au niveau paritaire.

Valentine  : Je me sens concernée depuis le lycée lorsque j’ai commencé à sortir. C’est horrible à dire mais c’est en vivant le sexisme au quotidien que mon engagement réel à commencé. Je ne suis pas juste féministe, je suis anti-sexiste. Je prends souvent le temps autour de moi d’éduquer de façon constructive sur ces questions. Au quotidien je relève sans cesse les travers de langage. Par exemple, un jour j’avais un débat politique avec un homme et il a parlé «d’hommes politiques» pour évoquer les personnalités politiques dans son ensemble, je l’ai repris.

Ma mère place une confiance folle dans notre génération et donc nous avons des échanges très constructifs. Ma mère a toujours été militante féministe , elle m’apprend de son expérience. Je trouve intéressantes les interactions intergénérationnelles, par exemple échanger avec mes grands parents qui n’ont pas du tout une âme militante. Mes grands-parents sont des aristocrates catholiques de droite homophobe, et donc il y a tous les codes genrés. Ils sont soixante-huitards, mais en fait ils allaient constater les dégâts des manifestations du côté des CRS.

Quelles sont vos revendications quotidiennes à propos de l’égalité femmes/hommes ? 

Monique : Une égalité des droits dans tous les domaines. L’exploitation des femmes est majeure et massive. J’ai bien aimé qu’on fasse allusion dans la chanson de tout à l’heure (et cette question n’existait pas du temps du MLF) aux femmes des classes populaires qui sont surexploitées. Je trouve malgré tout que c’est une problématique que l’on oublie parfois. Il n’y a pas que la classe moyenne qui se bat. Celles qui souffrent peut-être le plus, dans le sens où elles sont le plus exploitées, sont les femmes des classes populaires.

Isabelle : Ce serait déjà au niveau salarial, qu’il n’y ait plus de différences et une reconnaissance au niveau de nos retraites. Retraitées, nous sommes pénalisées, on veut travailler à 80% pour lier notre vie professionnelle et familiale. Mais en travaillant à 80%, on perd un an tous les cinq ans… Pour ces femmes, il faut que le patronat offre la possibilité de surcotiser.

Valentine :  Mes revendications quotidiennes ne sont pas révolutionnaires. Je revendique l’égalité entre les genres, la reconnaissance d’un «non genre». Il n’y a pas que les femmes et les hommes, c’est une vision très binaire.

Quel était le féminisme d’hier et quel sera celui de demain ?

Monique : Hier, on se battait pour l’égalité, on s’est beaucoup battues pour la contraception et la reconnaissance du droit à l’avortement. Aujourd’hui j’ai l’impression que les femmes parlent beaucoup plus, c’est une nouveauté. On parlait beaucoup moins de viols et d’agressions sexuelles à l’époque. Même à l’époque du MLF, il y avait un silence là-dessus, les filles avaient honte. Elles ont peut-être encore honte mais les filles et femmes d’aujourd’hui arrivent davantage à dénoncer. Et c’est une évolution extraordinaire. C’est un long cheminement et c’est à la mesure de l’ampleur des dégâts, qui étaient les mêmes à mon époque. Je n’aurais jamais imaginé que dans les grandes écoles et les facs, les filles/femmes soient autant agressées. Dans le milieu du travail c’est pareil. Je pense qu’il y avait moins d’agression à mon époque, même si beaucoup de femmes se taisaient.

Ce qui me frappe, c’est qu’aujourd’hui les violences sont exercées dans tous les milieux, allant des ouvrières aux cadres sup… Avec #MeToo on a commencé à en parler massivement. C’est insupportable tout ce qu’on entend et en même temps heureusement que ça sort.

Je suis considérée comme une extrémiste par ma génération. J’ai 73 ans je suis là, ma petite fille a 18 ans, elle se plaint du regard des hommes dans le métro. Elle a raison mais n’est pas là aujourd’hui. Et c’est aussi ici que le combat se passe.

Isabelle : Le féminisme d’hier avait des revendications qui ont donné lieu à très peu d’actes. Celui d’aujourd’hui c’est que les femmes aient davantage de responsabilités et plus accès aux postes de pouvoir. L’entraide entre femmes me semble également essentielle car j’ai le sentiment qu’il y en a de moins en moins. Je trouve qu’entre femmes il y a une trop grande compétition et un manque de soutien, et j’aimerais qu’il y en ait davantage car alors on pourrait aller très loin.

Valentine : Le féminisme d’hier c’est celui de mes grands-parents, c’est-à-dire pas de féminisme. Et le féminisme de demain, j’espère qu’il y en aura plus, car on en aura plus besoin… Je suis contente de vivre dans notre génération car nous sommes né·es au moment de la libération de la parole. J’espère que le féminisme de demain ce sera mon grand père qui m’explique que les trans ne regrettent pas leur transition par exemple.

Propos recueillis par Chloé Vaysse 50-50 Magazine

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