Articles récents \ France \ Société Yaël Dehaese : « L’informatique est un langage alors pourquoi ne pas l’enseigner aux filles dès le CP »

Quand elle se rend compte que la parité est loin d’être atteinte dans le secteur de la Tech, Yaël Dehaese décide de prendre le problème à la base, afin de faire une place aux femmes dans la transition numérique. Elle fonde alors la start-up IT4Girls en 2018, récemment devenue Divers-IT. Cette start-up propose des ateliers aux filles de 7 à 8 ans pour apprendre la programmation informatique de façon ludique. Désormais, la start-up élargit son champ d’action pour toucher des enfants des réseaux d’éducation prioritaire, ainsi que des enfants en situation de handicap. 

Quel est votre parcours ? Comment vous êtes-vous formée au code ?

Je n’ai pas un parcours classique par rapport à l’informatique. Au départ, j’ai fait une formation en gestion et économie appliquée à l’université. Mais il se trouve qu’au début des années 1990, quand j’ai commencé mes études, il y avait une ou deux heures par semaine d’initiation à l’informatique dans les sections économiques. Donc j’ai appris à coder avec les langages C et Turbo Pascal (1). A l’époque, je n’avais pas d’affinités particulières avec cette matière. J’ai poursuivi mes études et je n’ai pas réécrit une ligne de code jusqu’à ce que je mette en place mon projet en 2018. 

J’ai travaillé longtemps dans des banques d’investissements et la finance de marché. Je suis arrivée dans le secteur de l’informatique en 2016. C’est seulement quand j’ai vu l’ampleur que prenait l’informatique que je me suis dit “il y a peut-être des choses à faire” et que je me suis replongée dans la programmation informatique.

Quels sont les origines et objectifs du projet ?

Étant dans l’informatique depuis quelques années, je me suis aperçue qu’on manquait de femmes. La parité n’était pas là. Il y avait énormément d’hommes : à chaque fois, il y avait entre un quart et un tiers de femmes pour trois quarts à deux tiers d’hommes. On était jamais à 50-50 dans l’informatique, un secteur qui pour moi est l’avenir. Je me suis dit : “il est hors de question que l’avenir se construise sans les femmes”.

En analysant le problème, j’ai discuté avec mes collègues : elles/ils m’ont dit qu’elles/ils voulaient recruter des femmes mais qu’il y avait peu, voire pas, de femmes diplômées voulant travailler dans ce domaine. Qu’est-ce qu’on peut faire pour inverser la tendance ? Pour moi, il faut prendre le problème à la base : l’informatique est un langage de programmation alors pourquoi ne pas l’enseigner dès le CP, dès que l’enfant sait lire et écrire, de la même façon qu’aujourd’hui on enseigne les langues vivantes dès le CP. 

A l’époque, mon entreprise proposait aux collaboratrices/collaborateurs de lancer des start-ups internes. Donc en février 2018, j’ai participé à un programme d’entreprenariat interne et j’ai été sélectionnée. Pendant six mois, j’ai été accompagnée dans un incubateur de start-ups pour mettre en place les bases de ma start-up. Dans l’entreprise où j’étais, j’ai commencé à mettre en place des ateliers de coding le mercredi après-midi pour les filles des collaboratrices/collaborateurs à partir de 7 ans. Cela a très bien fonctionné.

Pourquoi est-ce important de commencer la programmation dès que les enfants savent lire ?

Il faut enseigner l’informatique aux enfants dès qu’elles/ils savent lire et écrire pour que, plus tard, quand les stéréotypes se mettent en place, les enfants ne pensent pas “cela ne m’intéresse pas”, “la technologie, je ne connais pas”, “c’est des maths et je suis pas bonne en maths”. En étant dedans dès le départ, il n’y a pas de discontinuité.

Il y a des études qui montrent qu’il y a un âge où tout est possible : les enfants de 8-10 ans sont d’accord pour embrasser tous les métiers. Et puis, il y a un âge, vers 12-13 ans, où les filles ferment la porte aux métiers technologiques. Idéalement, il faut passer ce cap à partir duquel on commence à faire une sélection au détriment des matières technologiques.

Lors de vos ateliers, comment amenez-vous les enfants à s’intéresser à la programmation ?

L’informatique, c’est beaucoup de créativité. Quand l’informatique est enseignée de façon ludique, il y a beaucoup de paramètres qu’on peut changer, faire évoluer. Avec Scratch, un logiciel développé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT), on peut créer des jeux-vidéos en assemblant des blocs de couleurs. Par exemple, nous avons créé un jeu d’attrape autour du tri des déchets : un robot doit attraper les déchets métalliques et laisser dans la nature les déchets biodégradables. Avec les enfants, on crée un algorithme qui dit “si objet touché par le robot, alors gagne un point. Si objet perdu, alors perd un point”. Après, on garde l’algorithme de base “si, alors, sinon”, mais on leur propose de changer de personnage, de décor, de musique, etc. L’enfant devient alors game designer.

Pourquoi est-ce important de promouvoir la mixité dans l’informatique ?

Il y a énormément de métiers qui vont se créer autour des objets connectés, de la robotique, de la programmation informatique, de l’intelligence artificielle, de la blockchain, du cloud, etc. Cela va être notre quotidien à l’avenir. J’aimerais qu’au moment de développer ces technologies, on ait de la diversité autour de la table, avec des personnes d’horizons différents aux parcours et spécificités différentes. Nous avons besoin de diversité pour construire ce qui va se mettre en place demain. Donc ce que je promeus avant-tout, parce qu’on sait qu’elle est facteur de performance, c’est la diversité.

Quelle a été l’évolution du projet depuis 2018 et quels sont vos projets pour 2021 ?

Après la période d’incubation, j’ai proposé ces ateliers à d’autres entreprises. Une trentaine d’entreprises nous ont répondu positivement. Nous demandons à ces entreprises de subventionner les ateliers pour que ce soit gratuit pour les participant·es. Dans les ateliers, nous faisons en sorte qu’il y ait autant de filles que de garçons. Nous faisons également un mixte entre enfants des salarié·es des entreprises partenaires et enfants des réseaux d’éducation prioritaire. Nous sommes par exemple en partenariat avec l’Institut Télémaque.

En ce qui concerne nos projets pour 2021, nous sommes en train d’évoluer : de IT4Girls, nous devenons Divers-IT. Jusqu’à maintenant, nous étions centré·es sur la parité. En 2021, nous allons nous ouvrir et travailler sur la diversité. Nous allons continuer de travailler avec des enfants de réseaux d’éducation prioritaire, mais aussi avec des enfants en situation de handicap et des enfants qui ont des troubles de l’attention parce que nous avons vu que nos ateliers fonctionnent très bien avec elles/eux. Nous allons continuer les ateliers de coding, mais pas seulement : nous allons travailler sur la cybersécurité, le cyberharcèlement qui touche les enfants de plus en plus jeunes, ainsi que la data et la pollution numérique.

Propos recueillis par Maud Charpentier, 50-50 Magazine

Divers-IT (anciennement IT4Girls)

  1. Un langage de programmation est langage destiné à formuler des algorithmes et à produire des programmes informatiques. Le langage C est un des premiers langages de programmation et reste l’un des plus utilisés aujourd’hui.

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