Articles récents \ Matrimoine Feminists in the City : « On est parties du constat qu’en France, le féminisme est encore perçu de façon péjorative » 1/2
Composé de Cécile Fara et Julie Marangé, le duo des fondatrices de Feminists in the City a vu le jour alors qu’elles étaient étudiantes à Sciences Po Paris. Toutes deux parlent d’un “coup de cœur” aussi bien personnel qu’intellectuel. Leur première visite guidée “Street art et féminisme” date de 2018. Aujourd’hui, elles ont étendu leurs visites guidées parisiennes à d’autres grandes villes de France. Avec leurs masterclasses, ateliers et club de lecture, Feminists in the City est devenu une véritable académie en ligne du féminisme.
Comment Feminists in the City a-t’il vu le jour et dans quel but ?
Cécile Fara : On a créé Feminists in the City pendant nos études à Sciences Po Paris. On s’est rencontrées dans un cours d’entrepreneuriat et cela a vraiment été un coup de cœur féministe, personnel et professionnel. Feminists in the City a commencé d’abord par des visites guidées dans Paris, puis dans différentes villes de France (Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Marseille), et maintenant, en réponse à la situation sanitaire, des masterclasses et des ateliers en ligne. On a toujours ce même objectif de faire vivre la culture féministe et de mettre en valeur les femmes oubliées de l’Histoire.
Julie Marangé : Avec Cécile, ce fut un coup de foudre intellectuel et féministe puisqu’on avait toutes les deux fait nos études en Angleterre où le mouvement féministe est différent du mouvement féministe français. L’intersectionnalité par exemple est un concept bien plus enraciné dans les pays anglo-saxons.
Pour notre projet entrepreneurial, on est parties du constat qu’en France, le féminisme est encore perçu de façon péjorative. On voulait que notre projet démystifie le féminisme et sensibilise aux inégalités femmes/hommes, d’une manière ludique, même les personnes qui ne se considèrent pas comme féministes. C’est pour cela qu’on a utilisé le street art comme première porte d’entrée pour parler du féminisme.
Au fil du temps, avec ces visites, on s’est rendu compte, qu’on faisait bien plus que sensibiliser aux inégalités. On mettait aussi en lumière les femmes dans l’art, la culture, l’espace public et on a vu qu’il y avait un manque à combler à ce niveau. On a donc décidé de s’attaquer à d’autres pans de l’histoire de l’art et de la culture, par exemple en créant une visite sur les femmes révoltées de Paris, sur la chasse aux sorcières dans le Quartier Latin. On a aussi créé des visites dans des musées comme le Musée d’Orsay et le Louvre pour montrer comment le male gaze (1) est présent dans des œuvres comme la grande Odalisque ou même la Joconde.
Depuis le premier confinement, ce sont des masterclasses qui ont vu le jour puisqu’on ne pouvait plus faire de visites guidées mais on voulait continuer à célébrer cette culture féministe. On a développé plus de 70 masterclasses, ainsi que des ateliers interactifs en ligne, par exemple des méditations de sorcières le dimanche matin ou encore du collage féministe avec une artiste plasticienne.
Est-ce que vous voyez les visites guidées comme un moyen pour les femmes et les féministes de se réapproprier l’espace public ? Si oui, pourquoi ?
Julie Marangé : Parler des femmes dans l’espace public et culturel est une manière de se le réapproprier. Quand on parle d’histoire ou quand on visite Paris, on présente souvent des hommes, les faits de guerre de Napoléon par exemple. Ce qu’on oublie de dire sur Napoléon, c’est que le Code Pénal de 1804 a abaissé les femmes au rang de mineures. L’histoire a été biaisée depuis des siècles parce qu’on a parlé que des hommes. On n’est pas en train de balayer l’histoire française, on parle juste de l’histoire française sous un autre angle.
On peut donner l’exemple des femmes résistantes pendant la Seconde Guerre mondiale : elles ont représenté une grande partie de la Résistance mais, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur implication a été invisiblisée . On n’a même pas pensé à leur donner des noms de rues, on a refusé qu’elles fassent partie du discours historique.
Cécile Fara : En tant que femme dans la ville, c’est compliqué de trouver des role models. Au niveau national, seulement 2% des noms de rues sont des noms de femmes. Peu de statues et monuments font écho à l’Histoire des femmes et leur rendent hommage.
On a essayé de montrer, à travers les visites, ce côté caché de l’Histoire mais pas uniquement : il y a de plus en plus de femmes qui se réapproprient l’espace public. Pour donner un exemple, dans notre visite Street art et féminisme, on montre les œuvres d’artistes femmes et féministes. Il y a de plus en plus d’artistes par exemple qui font du “clit-art” donc de l’art qui met en visibilité le clitoris. Il y avait aussi la campagne d’affichage de #NousToutes qui avait renommé les noms de rues avec des noms de femmes.
Quels sont les avantages du format des masterclasses en ligne par rapport aux visites guidées ?
Julie Marangé : Le confinement a été extraordinaire pour Feminists in the City parce que cela nous a permis d’avoir une nouvelle portée, tant au niveau des intervenant·es, que des participant·es.
Parmi les intervenant·es, on a accueilli Inna Shevchenko, présidente internationale des Femen qui a parlé du féminisme radical, Halimatou Soucko, présidente de Féministes sans Frontières, basée au Maroc qui est venue nous parler de l’afro-féminisme, Chahla Chafiq qui a parlé du féminisme en Iran, Eliane Viennot qui est venue parler du langage non-sexiste, des femmes et du pouvoir… Cela nous a permis d’avoir une grande diversité d’intervenant·es qu’on n’aurait jamais eu dans le cadre des visites guidées.
En ce qui concerne les participant·es, c’est extraordinaire pour nous de pouvoir atteindre autant de personnes, jusqu’au niveau international. Cela donne beaucoup d’espoir de créer une sororité internationale.
Cécile Fara : En termes de public, on a pu toucher des personnes qui ne vivent pas forcément dans des grandes villes ou des personnes qui sont à l’étranger. Quand on n’a pas forcément la chance d’aller au théâtre, de visiter des expositions, de participer à des conférences, cet outil en ligne permet d’être chez soi et d’avoir accès à énormément de contenus.
Pendant nos visites on avait aussi beaucoup de touristes qui venaient. Les masterclasses nous permettent de garder contact avec ces personnes. On a eu des personnes qui venaient d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Calédonie, du Japon, de Belgique, du Danemark, de Suède…
Voyez-vous les ateliers en ligne que vous avez développés récemment comme un pas de plus vers la vulgarisation du féminisme, une façon de mettre en pratique le féminisme concrètement ?
Julie Marangé : Oui, c’est la même démarche de vulgarisation que les masterclasses. Finalement, c’est un peu l’académie en ligne du féminisme. Les personnes qui n’ont pas fait d’études sur le genre peuvent s’informer sur tous les sujets liés au féminisme et à la culture du féminisme.
La différence entre masterclasses et ateliers, c’est que les masterclasses sont plus théoriques alors que les ateliers sont plus interactifs, concrets, créatifs aussi. Pour les ateliers, tout comme les méditations de sorcières d’ailleurs, les participant·es sont plus impliqué·es : elles/ils réalisent des collages ou écrivent des contes féministes. C’est une manière de répondre à la question du bien-être, nécessaire pour les activistes féministes. Être des activistes féministes, c’est faire face à beaucoup de violences au quotidien, marcher constamment à contre-courant. C’est émotionnellement et mentalement fatiguant. On parle souvent de burn-out militant. Les ateliers répondent à ce besoin de bien-être des féministes ou des femmes qui ont besoin d’une communauté.
Cécile Fara : Je n’avais pas forcément pensé à cette idée de “vulgarisation” mais plutôt à l’idée de casser les barrières vis-à-vis de la créativité. Les ateliers nous apprennent à dépasser “le syndrome de l’impostrice”, cette idée qu’on n’est jamais au niveau, qu’on n’arrivera jamais à écrire un livre, un conte, à faire un collage, à devenir une artiste… Par exemple, on a fait avec Clémence Vazard un atelier de collages féministes. Elle nous a confié que le collage est une pratique qu’elle utilise souvent pour stimuler sa créativité.
Prochainement, on va faire un atelier sur l’écriture. On aime vraiment cette idée que tout le monde peut créer. Cela peut aider d’être au sein d’un groupe où on partage des valeurs de sororité, d’entraide, où on peut parler librement, échanger.
Propos recueillis par Chloé Vaysse et Maud Charpentier, 50-50 Magazine.
Retranscription d’une interview réalisée le 25 janvier en live sur le compte Instagram de 50-50 Magazine.
Lire la deuxième partie de cette interview.
(1) Le male gaze (regard masculin) est un concept développé par l’américaine Laura Mulvey. Il consiste à faire voir les œuvres culturelles et artistiques à travers un regard d’homme hétérosexuel, c’est à dire en objectivant les femmes et/ou en les mettant en scène de façon stéréotypée comme objet de désir, faire-valoir ou assistante/muse des hommes.