Articles récents \ Île de France \ Société Frederique Martz : « Women Safe & Children est né d’un constat : celui de l’universalité des violences faites aux femmes et de l’absence de réponses adéquates à ce fléau »

Frédérique Martz est l’inventrice du concept holistique de soins pour les femmes victimes de violences. Il consiste à réunir toutes les compétences dans un même lieu. Elle a co-fondé et dirige l’Institut Women safe & Children. Pour elle, l’approche holistique des soins était une évidence. Elle est né d’un constat patent : le parcours de reconstruction des femmes qui ont vécu des violences patriarcales ressemble à un chemin de croix.

Quel est votre parcours ?

J’ai été manager dans une grande entreprise du CAC40, une maison d’édition s’adressant aux professionnel·les de santé (docteur·es, pharmacien·nes, infirmières/infirmiers, vétérinaires) et du secteur du social (ex : les ASH).

Mon parcours professionnel m’a permis de mettre en place une organisation pluridisciplinaire qui nécessitait une coordination de professionnel·les n’ayant pas eu l’habitude de travailler ensemble : des docteur·es, des infirmières/infirmiers, des psychologues, des juristes, des avocat·es, des masseuses/masseurs, des ostéopathes, des professeur·es d’art thérapie par le théâtre.

Qu’est ce qui a déclenché votre engagement auprès des femmes ?

L’Institut Women Safe & Children ne revendique aucune appartenance militante. Je dirais même qu’elle s’en défend. Notre dessein est clair : accueillir et prendre en charge gratuitement, de manière multidimensionnelle et dans un cadre éthique les femmes et enfants victimes/témoins de violences. Engagé·es, nous le sommes par les actes bien plus que par les mots, en offrant aux personnes citées un accompagnement adapté, global, sans distinction d’origine, d’orientation sexuelle, d’identité de genre ou de religion.

Quels sont les partenaires de Women Safe ? La fondation de Women Safe est-elle différente de l’Institut en Santé Génésique ?

Il s’agit en vérité de simples nuances juridiques. L’Institut en santé génésique est un fonds de dotation, via lequel transitent notamment les dons particuliers ou ceux de nos partenaires ; tandis que l’Institut Women Safe & Children est l’association loi 1901 qui supervise toute la partie opérationnelle. Cette structuration nous permet tout à la fois de collecter des fonds auprès du grand public et de notre belle communauté, de répondre aux appels à projets publics et d’aller solliciter des financeurs privés pour nous accompagner. C’est notre principal enjeu : pour assurer une prise en charge gratuite aux personnes vulnérables, nous devons trouver des fonds en parallèle. Chaque euro compte pour nous, car chaque euro finance les vacations et missions de nos professionnel·les non-bénévoles.

Pouvez-vous nous parler du concept holistique de soins ?

Women Safe & Children est né d’un constat : celui de l’universalité des violences faites aux femmes et de l’absence de réponses adéquates à ce fléau. Pour une femme victime, le parcours de sortie de violences a souvent des airs de chemin de croix. Il est difficile de traiter d’abord le traumatisme dès lors qu’il faut se rendre dans un même temps au commissariat pour porter plainte, chez un juriste pour envisager les droits à faire valoir, chez un·e avocat·e pour attenter une action en justice, chez un·e docteur·e pour faire état des séquelles, etc.

L’idée du concept holistique était de réunir toutes ces compétences en un seul et même lieu et de les mettre au service des femmes accueillies, afin qu’elles puissent se reconstruire au mieux dans un cadre bienveillant. Reconnu pour ses qualités d’écoute et de disponibilité, Women Safe & Children prend également en considération l’accompagnement des enfants.

Le concept du secret partagé permet aux différent·es professionnel·les d’échanger dans un cadre privilégié pour épargner à la victime la phase éprouvante de retour sur l’expérience traumatisante.

Comment organisez-vous la prévention des violences ?

Si la prise en charge des femmes et enfants victimes de violences est à l’origine du concept, l’Institut Women Safe, avec un volet de curation prégnant, nous y avons rapidement accolé un aspect prévention, incontournable. Soigner, c’est bien, mais le mieux serait encore de ne pas avoir à guérir. Aussi nous appuyons-nous sur notre expertise reconnue pour prévenir les violences selon trois axes.

La sensibilisation : nous intervenons dans différents environnements pour donner des clés de lecture (juridique, médicale, psychologique) à différents publics. C’est par exemple dans ce cadre que nous avons établi des conventions avec la plupart des universités parisiennes afin de devenir leur dispositif externalisé sur la partie prévention/prise en charge des violences sexuelles et sexistes.

La formation : notre catalogue de formations, incessamment nourri des travaux de notre Pôle Recherche, nous permet de former les professionnel·les de tous les secteurs (du board exécutif aux salarié·es en passant par les RH, les forces de l’ordre, les universitaires, etc).

Le plaidoyer : nos sept années d’expérience et d’expertise sur le sujet nous ont permis d’être largement identifié·es par les décideur·es publiques/publics du territoire. Nous avons donc une légitimité à co-construire les politiques publiques et à impulser des changements sociétaux.

Comment faites-vous la promotion des formations ? Sont-elles parfois sollicitées, gratuites ? A qui en priorité les proposez-vous ? Vous parliez de missions pour L’Outre-mer, pouvez-vous solliciter des missions choisies ?

 Nous sommes longtemps intervenu gratuitement mais tendons actuellement vers une professionnalisation de notre offre à travers un catalogue riche, varié et très pointu. Les connexions se font prioritairement grâce à nos réseaux locaux et auprès de nos partenaires financiers, mais aussi à la faveur de contextes particuliers. Par exemple, nous intervenons beaucoup auprès des agences de publicités depuis quelques mois et le lancement du mouvement #MeTooPub. De la même façon, notre implication auprès des universités n’a fait qu’augmenter depuis les révélations dramatiques concernant les violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur et le monde de la Recherche.

Au sujet des Outre-mer, nous avions de beaux projets en cours, malheureusement interrompus par la seconde vague de la pandémie de COVID-19. Mais il ne fait aucun doute qu’ils verront le jour dès que le contexte sanitaire le permettra.

Combien de femmes par an pouvez-vous soigner ?

Depuis quelques années, nous accompagnons et prenons en charge entre 600 et 700 femmes et enfants par an. Avec la pandémie de COVID-19 et les mesures adoptées par le Gouvernement pour y faire face (le confinement au premier chef), ce chiffre sera probablement supérieur en 2020 puisque nous avons connu une véritable flambée des violences conjugales et intra-familiales. Pour illustrer le propos, nous avons répondu aux besoins de plus de 300 femmes sur la seule période mi-mars/fin mai, soit autant qu’en sept mois d’activité « habituelle ». Nous atteignons actuellement la jauge maximale pour garantir un accueil qualitatif. Au-delà, nous ne pourrions aider ces femmes et ces enfants de manière aussi complète et pérenne.

Est-ce qu’elles viennent spontanément ou sont-elles dirigées vers vous ?

Jusqu’à présent, nous n’avons pas énormément communiqué pour promouvoir l’action de l’Institut car nous mobilisons l’entièreté de nos ressources à l’accompagnement et à la prise en charge des personnes que nous suivons. Notre implantation sur Saint-Germain-en-Laye et sept ans de vie sur le territoire des Yvelines nous a permis de développer une fine connaissance des écosystèmes locaux (associatif, institutionnel et économique), et d’être clairement identifié·es par les actrices/acteurs de la région. Pour autant, notre rayonnement s’étend bien au-delà des frontières franciliennes puisque nous accueillons des femmes en provenance de 51 départements français (métropole et outre-mer), et même de l’étranger. En ce qui concerne les enfants, elles/ils sont bien souvent victimes collatérales des violences conjugales et sont ainsi pris·es en charge en même temps que leur mère ; ou bien adressé·es directement par les services départementaux de l’Aide Sociale à l’Enfant.

A part la Maison des Femmes de Ghada Hatem qui a dupliqué le modèle de concept holistique, y a-t-il d’autres Instituts en France sur ce modèle et comment favoriser ce fonctionnement ailleurs ?

Ghada Hatem et son équipe, que nous avons formées en marge de l’ouverture de la Maison des Femmes de Saint-Denis, s’inscrivent effectivement dans la logique de l’accompagnement pluridisciplinaire. Il est évident que ce modèle holistique, traitant globalement les violences et y apportant des réponses médicales, psychologiques et juridiques, est le plus pertinent pour envisager un « retour à la vie » de manière pérenne. En tant que pionnier·es et inventrices/inventeurs de cette approche, nous avons été reconnu·es pour nos qualités d’écoute et de disponibilité. L’Institut Women Safe & Children prend également en considération l’accompagnement des enfants.

Sept ans de recul sur la question nous permettent d’évaluer sa force et son efficacité. Nous en mesurons aussi mieux que quiconque les aspects perfectibles, que nous tâchons de corriger. C’est le cas de la prise en charge des enfants, que nous avons intégrée à notre méthode en 2017 ; mais aussi de la sensibilisation et de la formation qui nous permettent de prévenir, désamorcer et/ou détecter les violences dans différents environnements.

En 2021, le Centre de Planification va rejoindre notre organisation, en permettant d’installer une collaboration transversale au bénéfice du plus grand nombre de femmes ayant recours à l’avortement ou tout simplement besoin d’une contraception adaptée.

Roselyne Segalen 50-50 Magazine

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