Articles récents \ Île de France \ Société Solitude : une nouvelle statue de femme chargée de symbole bientôt érigée à Paris
Le 26 septembre 2020, Anne Hidalgo inaugurait un jardin au nom de la figure guadeloupéenne de la résistance des esclaves, Solitude. À terme, une statue à son effigie sera érigée dans ce même jardin situé sur les pelouses nord de la place du Général Catroux dans le 17ème arrondissement.
Dans le contexte de résurgence des débats sur le déboulonnage de statues, qui revient périodiquement dans l’espace publique, la maire de Paris propose des actes empreints de sens. Renommer un jardin au nom d’une femme noire et avoir le projet d’y installer sa statue marquent un tournant dans la représentation des esclaves des anciennes colonies françaises, mais aussi des femmes dans l’espace public.
Qui est Solitude ?
Rosalie, dite la « mulâtresse » selon le terme colonial pour désigner une personne métisse, est née d’un viol, vers 1775 : celui d’une esclave africaine par un marin, sur le navire qui la déporte aux Antilles. Très tôt séparée de sa mère en raison de sa peau plus claire, elle devient la domestique d’un colon. En 1794, Rosalie est libérée par le décret annonçant la fin de l’esclavage. Elle devient alors Solitude, nouveau nom qu’elle choisit. Quand huit années plus tard, Napoléon Bonaparte rétablit le système esclavagiste à la Guadeloupe, la jeune femme s’engage auprès des rebelles de la résistance. Enceinte, Solitude prend part au combat mais finit par être arrêtée et condamnée à mort par les forces coloniales. Elle est alors désignée comme rebelle et fauteuse de trouble à l’ordre public. Les insurgé·es perdent leur combat. Le 29 novembre 1802, au lendemain de son accouchement en prison, elle est pendue.
Une figure enfin reconnue au-delà des frontières guadeloupéennes et antillaises
L’histoire de Solitude a inspiré de nombreux récits dont celui de l’auteur français André Schwarz-Bart qui a fait de l’esclave guadeloupéenne l’héroïne de son roman, paru en 1972, La Mulâtresse Solitude. Elle est d’autant plus connue à la Guadeloupe où des monuments, des rues et des lieux lui rendent hommage. Sa représentation la plus marquante est la statue à son effigie réalisée par le sculpteur guadeloupéen Jacky Poulier située sur le boulevard des Héros, aux Abymes. Celle-ci a été érigée en 1999, lors du 150éme anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Dans l’hexagone, on compte tout de même une statue en l’honneur de Solitude située avenue Henri-Barbusse à Bagneux ainsi qu’une salle du ministère des Outre-mer à son nom.
À Paris, ce choix de mettre à l’honneur une femme héroïne de la lutte contre l’esclavage est très symbolique. Surtout durant cette période où de nombreuses statues de personnages sombres de l’esclavage dans l’hexagone et les Outre-mer sont remises en question. « Solitude est la première femme noire représentée pour elle-même et pour son action dans l’espace public parisien », a déclaré à l’AFP Jacques Martial, adjoint à la maire de Paris chargé des Outre-mer. Située sur la place du Général Catroux dans le 17e arrondissement, cette statue contribuera à faire de cet espace un lieu mémoriel de la lutte contre l’esclavage. D’autant que depuis 2008, le jardin renommé Solitude comporte une œuvre représentant une chaîne brisée monumentale en mémoire du général Dumas, né esclave à Haïti.
Un déséquilibre qui persiste entre femmes et hommes dans la statuaire publique parisienne
Solitude rejoindra donc la liste des trop rares héroïnes résistantes statufiées à Paris, comme Bertie Albrecht, Sainte Geneviève ou Jeanne d’Arc. Alors que la statuaire publique parisienne compte une grande majorité d’hommes, soit plus de 500, on y fait seulement état d’une quarantaine de femmes, en excluant les figures mythologiques et les allégories telles que la République. Ces dernières incarnent des notions abstraites ou des corps-objets décoratifs tandis que la statue commémorative honore une personne.
Le géographe Yves Raibaud, auteur de l’ouvrage La ville faite par et pour les hommes et invité dans le podcast Les couilles sur la table en mars 2020, lie les inégalités de genre dans les villes à leur conception. Selon lui, la ville se décline surtout au masculin, autant dans les choix d’architecture que d’urbanisme. Les noms des rues comme les statues sont autant des marqueurs d’inégalités que des leviers d’action pour rendre la ville plus égalitaire. L’appropriation de l’espace urbain peut donc passer par l’installation de « statues de femmes célèbres, qui soient des architectes, des scientifiques, des militantes politiques et qui ne soient pas simplement mises en statue pour leur beauté, mais pour leur rôle social » (1).
Alors que le jardin Solitude est la première étape d’un processus « d’hommage public à cette héroïne de l’histoire » selon Anne Hidalgo, il est prévu donc qu’une statue soit également érigée dans ce même jardin. La mairie de Paris devrait lancer un appel à projets dans les prochains mois pour trouver la/le sculptrice/sculpteur qui aura la lourde tâche de représenter la figure emblématique de la résistance des esclaves à la Guadeloupe. Sera-t-elle enceinte ? N’y aura-t-il que son buste ? Sera-t-elle debout et en mouvement ? Quelle sera son expression faciale ? Le choix de la représentation esthétique des personnes honorées est toujours délicat, autant dans le fond que dans la forme. D’autant qu’une représentation si inédite sera scrutée et commentée, quelle qu’elle soit.
Léa Booz Parny, 50-50 Magazine
(1) Yves Raibaud, Une ville faite par et pour les hommes, Belin, coll. Egale à égal, en partenariat avec le Laboratoire de l’Egalité, 2015.