Articles récents \ Culture \ Musique Euphonik : « Le rap est à l’image de la société : il y a du sexisme et il y a des gens qui luttent contre »

Euphonik a enchaîné mixtapes, opus et morceaux, avant de sortir son premier album « Amour » en 2013. Fin 2019, son album « Thérapie » a pour fil conducteur le statut des femmes dans la société et les violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent. De la dénonciation de l’image du violeur qui attend dans une ruelle sombre, jusqu’à l’hommage rendu à Muniba Mazari, ambassadrice nationale du Pakistan auprès de l’ONU… Euphonik fait partie des rappeurs qui déconstruisent l’idée selon laquelle sexisme et misogynie sont inhérents au rap.

Vous avez d’abord dédié de nombreux sons à l’amour, notamment au prisme d’expériences et de sentiments. Comment expliquez-vous votre cheminement artistique et l’évolution de vos prises de position, dont votre dernier album « Thérapie » serait l’aboutissement ?

Je dirais que cela s’est fait plutôt naturellement, le rap est pour moi l’une des seules manières d’exprimer librement mes émotions, mon ressenti et ma façon de penser. Avec le temps, notre vision de nous-même et du monde gagne en maturité. A cela s’ajoutent des idées, des combats sociétaux que nous avons besoin d’exprimer, de défendre et qui vont parfois au-delà de notre propre personne. Le rap est un prisme qu’on peut utiliser pour véhiculer n’importe quel message, c’est sa force.

Dans « Deuxième sexe », vous finissez par la phrase : « Dis-toi qu’il y a des hommes qui luttent pour le deuxième sexe ». Vous considérez-vous comme étant l’un de ces hommes alliés de la cause féministe ? Comment en êtes-vous venu à écrire « Deuxième sexe » ? 

Oui, bien entendu. Cela me semble juste naturel à vrai dire d’être dans la considération de l’autre (de sa condition, sans prendre en compte son genre ou quoi que soit d’ailleurs). J’ai eu beaucoup de réflexions, de remises en question, de doutes sur la « légitimité » en tant qu’homme à aborder le sujet. 

J’ai longuement discuté, échangé, avec de nombreuses femmes, de tous âges, de tous milieux sociaux, avant de me lancer dans l’écriture. Je voulais déjà appréhender et comprendre le sujet de manière assez large. J’ai aussi tenté de comprendre les choses par moi-même. Enfin, je l’ai écrit rapidement : je dirais qu’en deux jours, le morceau était né. Ce sont toutes les étapes d’avant qui ont pris du temps, notamment la réflexion sur le sujet.

Que répondez-vous aux gens qui disent que le rap est sexiste ? A votre avis, pourquoi le rap est-il plus taxé de sexiste que d’autres types de musique ? 

Je dirais que c’est comme dans n’importe quel domaine, artistique ou non. C’est évident qu’il peut y avoir du sexisme mais c’est pas parce qu’il y a quelques pommes pourries qu’ il faut tomber dans une généralité.

Je dirais que c’est sûrement à cause de certains textes, certains clips. Le rap est tout simplement à l’image de la société : il y a du sexisme et il y a des gens qui luttent contre cela. Personnellement, je trouve qu’il y a de plus en plus de rappeuses et c’est vraiment une bonne chose sur le plan artistique et humain. Je crois qu’il faut du temps pour que les mentalités changent, mais je pense que le rap est sur la bonne voie.

Dans « Vierge folle », vous décrivez un homme « banal » qui commet un viol : « Je t’assure que c’est réel, c’est peut-être autour de toi. L’être humain est cruel, c’est juste qu’il ne le montre pas » Pourquoi insister sur la banalité du violeur, le décrire comme pouvant être « n’importe qui » ?

Tout simplement parce que j’ai le sentiment que les violences se banalisent. Commencer à en parler c’est peut-être commencer à appréhender, anticiper, dénoncer, arrêter ce genre de drame mais, malheureusement, c’est un sujet encore trop tabou.

Dans « Muniba », vous faîtes le portrait de Muniba Mazari, ambassadrice nationale du Pakistan auprès de l’ONU, mariée de force à l’âge de 18 ans, paraplégique à 21 ans à la suite d’un accident de voiture. Pourquoi cet hommage ?

J’aime beaucoup faire du storytelling. Un jour, je suis tombé sur sa conférence TEDx et ses combats, ses valeurs m’ont particulièrement touché. Elle m’a vraiment inspiré alors j’ai voulu raconter son histoire à ma manière et lui dédier un son. Suite à cela, j’ai même eu la chance d’échanger avec elle, c’est vraiment une femme inspirante.

Propos recueillis par Maud Charpentier et Chloé Vaysse 50-50 Magazine.

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