Articles récents \ Culture \ Livres La puissance des femmes, une autre histoire de la philosophie 1/2

La puissance des femmes. Une autre histoire de la philosophie regroupe interviews, portraits autobiographiques, bêtisiers et frises chronologiques. Une contribution d’historien·nes, d’essayistes, d’autrices/auteurs, qui nous permet de revisiter l’histoire de la philosophie sous un autre angle. Rarement citées dans les cours au lycée et à l’université, cet ouvrage de 240 pages met en lumière les pensées de celles dont l’œuvre a pu être égarée, pour ne pas dire dédaignée.

De l’Antiquité, du Moyen-Age à la Renaissance, de l’Age classique à la Révolution Industrielle, des Empires au Temps Moderne, de l’après-guerre aux années post-1968, et enfin, des années 1980 à #MeToo, les femmes reprennent place dans l’Histoire. Retour sur quelques portraits de femmes qui ont marqué l’Histoire de la philosophie.

L’Antiquité, les oubliées

Pendant l’Antiquité, les citoyennes d’Athènes étaient exclues des arènes politiques. Pourtant l’invention du mot « athénien » soulève un paradoxe à ce sujet. Un mythe affirme qu’il aurait été inventé par des femmes pour définir une cité politique alors même qu’elle n’est constituée que d’hommes. « Athénien » est d’ailleurs tiré du personnage mythique « Athéna », déesse vierge et sans mère. Elle refuse le mariage et la maternité et joue un rôle dans le bon fonctionnement des institutions de la cité. « Faut-il conclure que ce mythe dit à la fois la défaite des femmes et la victoire du féminin ? » se demande Nicole Loraux (1943 – 2003).

« Dès les premiers écrits de la culture occidentales, les voix des femmes ne sont pas entendues dans la sphère publique » affirme Mary Beard née en 1955. Dans l’Odyssée, Pénélope apparaît comme le premier exemple littéraire d’une femme réduite au silence par un homme, plus précisément par son jeune fils Télémaque.

Exclues des sphères intellectuelles de l’époque, certaines platoniciennes et néoplatoniciennes, comme par exemple Speusippe et Lasthénéia de Mantinée se rendaient à l’Académie originelle déguisées en homme.

Diotime est présente dans le Banquet, célèbre dialogue de Platon qui cherche à définir l’amour. Socrate, plutôt que de parler en son nom à la fin de l’ouvrage, se réfère à sa pensée . Pour autant aucune preuve historique atteste son existence. Mais l’hypothèse qu’elle a bien existé ne peut être exclue.

Hypathie, figure importante et influente du Vème siècle rejoint un des principaux centres intellectuels, en 370 dans la ville d’Alexandrie. Philosophe, mathématicienne, astronome, elle dépasse son père Théon qui lui enseigne les mathématiques. Jalousée pour son influence intellectuelle et accusée d’alimenter des conflits, elle a été démembrée et brûlée par une foule de chrétiens en 415. La figure d’Hypathie a été négligée pendant des siècles. Elle est redécouverte aux siècles des lumières par Edward Gibbon, qui en faisant des recherches, tombe sur un texte de Socrate le Scolastique la mentionnant. Diderot ne manquera pas non plus de la citer dans son œuvre : « la nature n’avait donné à personne, ni une âme plus élevée, ni un génie plus heureux qu’à la fille de Théon. » Plutôt que de la nommer par son prénom, Diderot la réduit, inconsciemment ou non, à son statut de « fille ». Hypathie est rattachée à un homme, son père, pourtant moins brillant qu’elle.

Moyen âge et Renaissance, les hérétiques

L’écrivaine Isabelle Sorente explore l’identité changeante et les différents visages que l’on attribue à la « sorcière » dans l’histoire. Cette figure apparaît à la charnière du Moyen-Age et de la Renaissance. Elle est d’abord perçue comme une vieille femme, marginale et mystique, sage-femme, guérisseuse. Au XVème siècle, la sorcière connaît une autre signification : elle n’est plus seulement une magicienne ou une guérisseuse, mais une femme démoniaque aidée par des forces surnaturelles. Elle est considérée comme une femme ayant passée un pacte avec le diable. Mangeuses d’enfants, capables de rendre les hommes impuissants, de contrôler la météo, on a tout entendu à propos des sorcières. Son troisième visage est celui du féminicide : le nombre de femmes mortes sur le bûcher car accusées de sorcellerie s’élèverait selon certain·es historiennes/historiens à 200 000. Les hommes ont aussi été accusés de sorcellerie mais la condamnation à mort est bien moins systématique : Michelet évoque un sorcier pour dix sorcières. La quatrième et dernier visage de la sorcière est celui de la liberté spirituelle, religieuse ou non.

Connue pour La cité des dames (1405), Christine de Pizan, (1364-1430) écrivaine et poétesse a été la défenseuse de la condition féminine. Néanmoins, l’historienne Mathilde Laigle (1865-1949) considère qu’elle n’a jamais remis en cause directement les inégalités femmes-hommes.

Vivement critiquée et menacée, Marguerite Porete (1250-1310) reste fidèle toute sa vie à ses convictions . Elle meurt brûlée vive sur la place publique avec son ouvrage Le Miroir des âmes simples anéanties (1295), dialogue allégorique entre l’amour et la raison. La démarche de Porete se passe de « l’Eglise comme institution, relativise les sacrements et rejette la morale. » affirme Olivier Boulnois.

Marie de Gournay (1565-1645), « fille d’alliance » de Montaigne, défend la condition des femmes. S’il est difficile à son époque d’être une autrice vivant de ce métier, grâce à Richelieu, elle obtiendra une petite pension et une autorisation d’éditer ses propres œuvres. On retiendra deux grands textes : Egalite des hommes et des femmes (1622) et Grief des Dames (1626.)

Bêtisier 

Le regard des Contemporain·es amusé·es par les paroles misogynes des « grands penseurs »

Télémaque dans l’Odyssée s’adressant à Pénélope : « La parole est l’affaire des hommes »

Aristote, De la génération des animaux, livre III : « la femelle peut être considérée comme un mâle qui à certains égards est mutilé et imparfait : les menstrues sont du sperme, mais du sperme qui n’est pas pur puisqu’il lui manque encore une seule chose, à savoir le principe de l’âme. »

Platon, le Timée : « parmi tous ceux qui sont nés mâles, tous ceux qui ont été lâches et ont mené une vie injuste ont été transformés en femelles à la seconde naissance. »

Machiavel, Le Prince, « La fortune est femme : pour la tenir soumise, il fut la traiter avec rudesse ; elle cède plutôt aux hommes qui usent de violence qu’à ceux qui agissent froidement. »

Rousseau Emile ou De l’éducation, « La femme est faite pour céder à l’homme et pour supporter même son injustice ».

De l’âge classique à la Révolution Industrielle, les universalistes

« Si tous les hommes sont nés libres, comment se fait-il que toutes les femmes soient esclaves ? » se demande Mary Astell (1666-1731) dans ses Réflexions sur le mariage, (1700). Considérée comme « la première féministe anglaise », elle s’oppose ouvertement au célèbre John Locke qui soutenait que, contrairement au pouvoir étatique dominant les citoyen·nes, la domination de l’homme sur son épouse était naturelle.

On doit les Lettres sur la sympathie et les Lettres sur l’amour à Sophie de Condorcet (1764-1822). Elle a aussi été traductrice de Thomas Paine et de la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith. Cette femme de lettres françaises a probablement joué un rôle important dans l’élaboration de l’ouvrage de son époux Nicolas de Condorcet, Sur l’admission des femmes au droit de la cite. (1790).

« La légèreté des femmes n’a d’autres sources que l’injustice qu’on leur fait en les privant de sciences » affirmait en 1693 Gabrielle Suchon (1632-1703). Au cours de sa vie, elle s’échappe du couvent pour se rendre à Rome et défendre sa liberté devant le pape. Féministe et autodidacte elle démontre que l’inégalité des sexes et l’infériorité des femmes est infondée. Son insoumission et sa liberté se traduiront par une réticence au mariage et un refus de la maternité.

Si l’Histoire retient surtout d’Emilie du Châtelet qu’elle était l’amante de Voltaire, elle était aussi physicienne de premier rang, et a publié des essais de philosophie morale qui influenceront Kant. Les Eléments de la philosophie de Newton, attribués à Voltaire, sont en réalité en grande partie son œuvre. Voltaire le reconnaît lui-même dans une lettre à Frédéric II de Prusse : « Minerve dictait et j’écrivais. »

Les femmes sont inéligibles, privées du droit de vote et marginalisées durant toute la période Révolutionnaire. « O femmes ! quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la Révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé » affirme Olympes de Gouges (1748 – 1793). Elle rédige en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, et y réclame « un Contrat social de l’homme et de la femme ».

« Je ne souhaite pas que (les femmes) aient le pouvoir sur les hommes, mais sur elles-mêmes. » affirme Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) dans la Défense des droits de la femme. L’ouvrage fait suite aux propositions de 1791 de Talleyrand à l’Assemblée constituante. Ce dernier proposait de limiter l’éducation des jeunes filles pour qu’elles se consacrent davantage aux tâches domestiques.

Flora Tristan ( 1803-1844) se considérée elle-même comme une « aristocrate déchue, femme socialiste et ouvrière féministe. » « L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est la prolétaire du prolétaire même » écrit-elle. Mariée de force à 17 ans, elle sera battue et séquestrée par son mari André Chazal, avant de s’évader en 1825.

Chloé Vaysse 50-50 Magazine 

« La puissance des Femmes. Une autre histoire de la philosophie » , Philosophie Magazine Editeur, 2020

Lire la deuxième partie de l’article « La puissance des femmes, une autre histoire de la philosophie ».

print