DOSSIERS \ Après #metoo, avons-nous plus d'alliés pro-féministes ? Martin sexe faible ou les aventures d’un héro sans pouvoir dans un monde dirigé par les femmes
Antoine Piwnik est auteur du roman Martin sexe Faible et co-réalisateur de la série Eponyme avec Juliette Tresanini et Paul Lapierre. La première saison de la série qui commence en 2015 intéresse les éditions des Equateurs qui souhaite sa novélisation. C’était au début de l’affaire Weinstein, et donc un moment opportun pour faire connaître le personnage de Martin aux prises avec un monde où le pouvoir est aux mains des femmes. Le livre est paru en 2016.
La série Martin sexe Faible, diffusée par France 2, est rapidement devenue virale, elle comporte 4 saisons et 44 épisodes et a été produite et diffusée entre 2015 à 2019, d’abord par Studio 4 pour la première saison puis par France tv slash. L’idée au début, précise Antoine Piwnik, était de surprendre et de faire rire en inversant les rôles sexués. En la réalisant, les co-réalisatrice/réalisateurs se sont vite aperçu·es que les rôles masculins avaient toujours des avantages. En écrivant de nouveaux scénarios, elle/ils se sont surpris, en découvrant que l’égalité réelle n’était qu’apparente. L’arrivée de #metoo les a persuadé·es de se positionner du côté militant.
Antoine Piwnik, 54 ans, est issu d’un milieu où les femmes sont libres, fortes et très éduquées puisque sa mère est professeure d’université. Depuis son enfance, il n’a aucun doute sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est marié à une féministe. Il découvrira les inégalités hors de son expérience familiale.
Après des études de lettres, art et communication à la Sorbonne et Nanterre et un DESS de communication sociale et politique à la Sorbonne, Antoine Piwnik suit aux USA, les masterclass de formation scénaristique de Robert Mac Kee et de John Truby, les deux « script doctors » d’Hollywood. Il se dit allié des femmes et a volontiers un discours féministe pour défendre les femmes en situation de violences patriarcales.
La genèse de la série est la suivante : tout a débuté avec Canal plus, Antoine avait réalisé la série Vice/Versa avec l’inversion parent/enfant. Le but était de faire rire en montrant le règne de l’enfant roi. Cette série avait rencontré un tel succès que Canal plus a fait une demande de séries avec le même principe d’inversion mais pour les femmes et les hommes. Ceci était prévu pour amuser et distraire, sans aucun objectif militant pour l’égalité.
Antoine Piwnik, Juliette Tresanini et Paul Lapierre se sont mis·es à la tâche et ont commencé simplement en faisant deux colonnes avec les différences entre les hommes et les femmes et se sont aperçu·es rapidement que ces différences étaient des inégalités. Dans la série, explique Antoine Piwnik, « ce sont surtout les rapports de pouvoir qu’on a inversé pas vraiment les rôles sexués.«
Finalement, c’est France 2 qui acceptera le projet, mais avec un regard critique sur la persistance des inégalités et stéréotypes, non pas dans la caricature du style : les hommes au volant de grosses bagnoles, et les femmes à la cuisine, mais dans les différences plus fines, comme l’intimidation verbale, la charge mentale, les différences de salaire…
L’épisode L’allumeur met en scène Martin dans la rue, habillé on ne peut plus normalement et accompagné de sa sœur. Il se fait siffler par deux banlieusardes et abreuver d’insultes graveleuses, sa sœur le défend certes mais à la fin, en aparté, lui déclare « tu devrais quand même fermer ta chemise aussi, c’est un peu normal que tu les excites ! » L’incongruité d’une telle remarque est démultipliée quand il s’agit d’un homme et le message passe d’autant mieux pour dénoncer le harcèlement de rue quotidien que subissent les femmes.
L’écriture elle-même révèle et dévoile des différences
Elle/ils ont continué à écrire et réaliser les épisodes très courts, de trois minutes, dans la même veine, et ont découvert sans difficulté un grand nombre de situations discriminantes correspondant parfaitement à ce qu’une femme peut vivre aujourd’hui.
Même le couple de co-réalisatrice/réalisateurs dans la vraie vie : Juliette Tresanini et Paul Lapierre, qui se pensait parfaitement égalitaire, a découvert dans son quotidien quelques interstices où se glissaient des petites différences qu’elle/il croyaient avoir dépassé, dont la charge mentale.
Elle/Ils ont ainsi abordé plusieurs sujets clés comme le harcèlement au bureau, dans les transports, la rue, le paternalisme des médecins et l’injonction à la maternité dans L’andrologue, l’invisibilité des femmes, l’injonction à la beauté, le porno comme modèle de sexualité.
Dans l’épisode Baby sitting, le rôle fondateur des contes de fées est traité. L’effet de l’inversion est irrésistible dans l’histoire racontée aux enfants où seules les filles savent se défendre contre les dragonnes alors que les garçons attendent passivement d’être délivrés.
Les discriminations dans le monde du travail sont développées dans la saison 2 et 3 où Martin se fait constamment remonter les bretelles par sa cheffe, qui se permet des remarques déplacées sur son physique et entretient le doute sur ses capacités. Elle minimise son travail, quand il dénonce trop clairement les discriminations. En effet Martin est chroniqueur à la Télévision et spécialiste des inégalités hommes/femmes.
La cheffe critique et dévalorise systématiquement ses projets quand il s’agit de parler objectivement des injustices et lui demande de rendre la chose télégénique c’est à dire d’en oublier les contenus objectifs les plus importants tels les chiffres. Elle fera aussi pression sur son collègue Kevin afin que celui-ci ne dénonce pas publiquement les agressions sexuelles dont il a été victime dans l’entreprise. Tout en affirmant haut et fort qu’elle est tout à fait contre ce type d’agissement, elle le persuade que cela doit rester en interne ! Martin divulguera l’info et se fera virer de la chaîne.
Après qu’il ait été viré de la chaîne, on retrouvera Martin dans l’épisode Entretien d’embauche au cours duquel on lui pose des questions relevant de l’intime et de la vie privée, voire graveleuses, ouvrant les yeux sur le traitement discriminatoire et sexiste que reçoivent encore bon nombre de jeunes femmes quand elles cherchent un emploi.
#metoo, un déclencheur pour plus d’engagement militant
Pendant la première saison, explique Antoine Piwnik, le but est de faire rire et de dénoncer en même temps. Ensuite, arrive #metoo et là, il faut se positionner. C’est ce qu’elle/ils font clairement dans l’épisode Radio Déesses, Martin est invité dans une émission de TV pour parler de « même pas honte » (entendez #metoo). Il est seul face à quatre femmes qui font tout pour l’interrompre et décrédibiliser sa parole tournée en dérision. Les deux femmes invitées pour parler de la tribune le droit d’importuner accaparent le plateau et réduisent l’action féministe à un incident mineur car en fait, tout le monde sait bien que les hommes ont besoin des femmes et vice et versa. Les arguments tels que « les femmes ne sont pas toutes des violeuses » pour couper court à tout débat est clairement avancé. Cet épisode est un concentré ultra-réaliste de la mauvaise foi de celles/ceux qui niaient le problème dans les médias en avançant des arguments totalement irrecevables. Clairement militant, cet épisode est une sorte de tournant explique Antoine Piwnik, on rigole encore mais on dénonce plus, vu l’ampleur des problèmes révélés par #metoo.
Les co-réalisatrice/créalisateurs vont alors mettre en scène tout ce que les hommes (donc les femmes) subissent, du moins grave au plus grave. Ce ne sont plus quelques petits harcèlements, regards appuyés ou tentatives d’intimidation qui sont mis à jour mais de vrais abus de pouvoir, des discriminations dans tous les domaines et des agressions régulières subies par les femmes.
Les scénettes adoptent un temps court de trois minutes. Elles sont portées par Martin qui, seul au début, se met rapidement en couple avec une « masculiniste » (entendez dans la vraie vie une féministe) acquise à sa cause qui le soutient dans son combat. Le couple se retrouve constamment dans des situations où il est en porte-à-faux avec ses collègues et familles à qui il doit à chaque fois expliquer le sexisme des situations les plus courantes : manière efficace de « faire du féminisme pour les nul·les ».
Dans l’épisode Slut Shaming, on parle d’un gars qui serait « une chaudière », et l’on dit « que tout le monde lui serait passé dessus et ce n’est pas étonnant vu comment il s’habille ». La compagne de Martin, affirme clairement : « même si tu te mets torse-nu, je n’ai pas le droit de te violer, et si tu mets des cols roulés à toi ou à ton fils, ce n’est pas une protection, on n’a simplement pas le droit de violer ». Martin et sa compagne, les deux protagonistes principaux de la série, forment un couple égalitaire qui a pour but, certes de pointer les injustices provoquées par les préjugés et les stéréotypes, mais aussi de servir de modèle pour les nouvelles générations.
L’objectif de conscientisation ou tout au moins de sensibilisation est semble-t-il atteint car la série a eu 15 millions de vues pour les quatre saisons entre 2015 et 2019 ! « Le public de la série est plutôt jeune et comprend tout de suite les implications alors que le public plus âgé ne voit parfois que le côté bizarre et incongru de la position de Martin sans pouvoir« , ajoute Antoine Piwnik, très satisfait des résultats auprès des 15/25 ans.
Roselyne Segalen 50-50 Magazine
On peut voir et revoir sur France TV les 44 épisodes et rire et s’émouvoir avec Martin, réveilleur de consciences.