Articles récents \ Culture \ Livres Marylène Patou Mathis : L’HOMME PREHISTORIQUE EST AUSSI UNE FEMME Une histoire de l’invisibilisation des femmes.
Marylène Patou Mathis est préhistorienne, directrice de recherche au CNRS, rattachée au département préhistoire du Musée de l’Homme. Son dernier ouvrage L’homme préhistorique est aussi une femme , destiné aussi bien aux expert·es qu’au grand public, couvre une période plus importante que son titre ne le laisse présager, il en est d’autant plus éclairant.
Dans un premier temps l’autrice explique deux mille ans de notre passé misogyne depuis les débuts de la civilisation européenne. Elle met en lumière les assertions des philosophes de l’antiquité, repris par les dogmes de l’Eglise et par les scientifiques qui se sont efforcés de prouver ces dires. Elles permettent de mieux comprendre l’interprétation biaisée de la préhistoire, développée dans un deuxième temps.
Marylène Patou Mathis a choisi de thématiser la misogynie et d’en classer les manifestations: elle passe en revue les affirmations de Platon ou d’Aristote et autres philosophes qui ont amené aux croyances sur la femme inférieure, la femme coupable, la femme subordonnée, la femme comme être inachevé, gouvernée par son sexe, éternelle malade, prédestinée à la maternité.
Elle cite les pépites misogynes qui ont tracé le sillon de l’inégalité des sexes de l’antiquité grecque à nos jours. Platon : « la femme est dirigée par son utérus « , Aristote : » seuls les mâles sont des êtres humains complets. Une femelle est femelle en vertu d’une incapacité particulière, St Thomas d’Aquin : » La femme est un homme raté » Epiphane : » Les femmes constituent une race faible, à laquelle on ne peut faire confiance, et d’intelligence médiocre. «
Marylène Patou Mathis résume l’essence de ces affirmations : « La femme est une extension des hommes, qu’ils rejettent et convoitent, une esquisse ratée. D’essence incertaine, animale sans doute, inquiétante, possédant des pouvoirs et possédée par ses sens, toujours fondamentalement coupable. Il faut la surveiller et la punir. » Elle montre clairement que l’Eglise et la plupart des textes sacrés largement propagés dans les principales religions ont repris ces affirmations en les amplifiant, et en se demandant même si les femmes avaient une âme. Ces assertions ont été ressorties et recyclées, au Moyen âge par exemple par les pères de l’Eglise et jusqu’au 20ème siècle, pour « remettre les femmes à leur place de procréatrices » quand elles s’en éloignaient.
Extrêmement documenté, ce livre ajoute de précieux éléments à ce que l’histoire féministe nous avait déjà appris.
L’autrice nous fait découvrir des personnes positives des deux sexes qui ont œuvré pour l’égalité des sexes et ceci dès l’appropriation du pouvoir par les hommes. On apprend par exemple que dès le IIème siècle, les femmes se sont rebellées contre le système du pater familias donnant tous les droits à l’homme sur sa famille, et que tout au long de l’histoire, de nombreuses femmes ont refusé la domination masculine. Elles ont été invisibilisées par l’histoire officielle. Certains hommes, moins nombreux, se sont également érigés contre le sort réservé aux femmes, mais la misogynie a toujours triomphé dans les lois, us et coutumes.
Pourtant, et c’est une partie de la nouveauté qu’apporte cet ouvrage, Marylène Patou Mathis parle des mythes de la déesse-mère qu’on trouve dans beaucoup d’anciennes civilisations. Elles sont peu ou pas du tout évoquées dans l’histoire traditionnelle.
De grandes guerrières et des cheffes de clan
Le mythe grec de Gaïa est le plus vulgarisé mais est loin d’être le seul, affirme l’autrice, et des récits de déesse-mère ont existé partout dans le monde. Les Celtes aussi croyaient en la grande déesse appelée Dana, principe féminin régissant le monde. En Egypte, la déesse Isis est également celle qui sauve l’humanité et c’est son frère Seth qui commet le péché originel. Marylène Patou Mathis ajoute que ce ne sont pas des accidents de l’histoire ou des anecdotes. Cependant l’histoire a été écrite par les hommes et ils ont préféré omettre ces croyances ou les minorer. Ils ont choisi de privilégier le récit de notre histoire à partir de l’institution du pater familias née à l’ère romaine, au premier siècle, alors que l’histoire de l’humanité a commencé il y a des millions d’années.
Le même traitement de la part des historiens et préhistoriens masculins précise l’autrice, a été réservé aux sociétés matrilinéaires ou matriarcales considérées comme des inventions, des accidents de l’histoire ou dans le meilleur des cas comme des exceptions. Cependant, nous savons désormais que ces sociétés ou la transmission des noms et des biens se faisaient de mères en filles ont très vraisemblablement existé au néolithique et au paléolithique. Les dernières découvertes archéologiques démontrent clairement l’importance du rôle social des femmes dans certaines parties du monde. De plus, ce type de sociétés existe encore de nos jours.
La chercheuse explique comment les préjugés les plus tenaces sur les femmes ont été renforcés au 19ème siècle et reposent sur des données pseudo-scientifiques. Le médecin/neurologue Paul Broca affirmait que la taille plus petite du cerveau des femmes impliquait leur infériorité. Les savants de l’époque baignaient dans cet esprit : les nouvelles disciplines comme l’archéologie et l’anthropologie sont nées à ce moment-là et ont été imprégnées par ce sexisme exacerbé. Ces chercheurs ont donc projeté leurs convictions sur leurs découvertes, ce qui en a faussé l’interprétation.
L’autrice démontre qu’il a fallu attendre que les femmes deviennent elles aussi anthropologues pour que la préhistoire soit éclairée différemment. On sait maintenant que « les femmes ne balayaient pas la grotte pendant que les hommes chassaient » mais qu’elles participaient à la chasse, à la cueillette, qu’elles ont développé un savoir sur les plantes et participèrent à l’art rupestre.
Grâce aux techniques nouvelles, on peut mieux identifier le sexe des squelettes et on peut désormais dire avec certitude que certaines tombes contenant des armes, étaient celles de femmes et non d’hommes comme on l’avait affirmé auparavant. On sait à présent avec certitude qu’il y avait de grandes guerrières et des cheffes de clan.
Toutes les affirmations misogynes nous semblent absurdes aujourd’hui dit Marylène Patou Mathis, pourtant, elles ont été entérinées par les gouvernements depuis l’antiquité jusqu’au début du 20ème siècle : les lois ont institutionnalisé l’infériorité des femmes. Le code Napoléon, édité en 1804 est le plus misogyne de tous, souligne t’elle, désappropriant les femmes des quelques droits acquis. Ce code dont nous avons hérité leur donne un statut d’éternelles mineures.
L’autrice de ce livre fourmillant d’informations et d’exemples démontre brillamment que le patriarcat repose sur des affirmations mensongères, des pseudo-vérités scientifiques qui ne sont que des projections du narcissisme des mâles et la répétition permanente de préjugés véhiculés et recyclés de siècles en siècles.
L’anthropologue et chercheuse Marylène Patou Mathis contribue à réhabiliter un récit féministe de l’humanité depuis la préhistoire et démontre que les femmes ont bel et bien participé, à toutes les époques, aux progrès de l’humanité.
Pascal Picq, paléo anthropologue, qui apparaît aujourd’hui dans tous les médias comme le découvreur et synthétiseur de ces connaissances ne fait que reprendre à sa manière, des chemins que les chercheuses féministes avaient déjà emprunté.
Roselyne Segalen 50-50 Magazine
Marylène Patou Mathis : l’homme préhistorique est aussi un femme. Une histoire de l’invisibilisation des femmes Ed. Annary 2020
Lire plus : Claudine Cohen Femmes au temps de la préhistoire Ed. Belin 2016