DOSSIERS \ Après #metoo, avons-nous plus d'alliés pro-féministes ? Pierre Foldes : « j’essaie de réparer, à ma mesure, quelques horreurs engendrées par le machisme »

Chirurgien de guerre, Pierre Foldes a été pionnier dans la reconstruction du clitoris des femmes mutilées. S’étant rendu compte de l’ampleur des violences faite aux femmes, en 2014, Il fonde avec Frédérique Martz, l’Institut Women-safe, l’Institut de santé génésique. La spécificité de cet Institut est le concept de prise en charge holistique des violences, physiques et mentales, vécues par les femmes dans un même lieu. 

Quel est votre parcours ?

J’ai été médecin puis chirurgien et me suis engagé dans l’humanitaire presque tout de suite. J’ai été immédiatement dans des situations de conflit et ma première expérience a été la guerre. Je me suis aperçu que personne ne s’intéressait aux femmes pourtant il y avait des milliers de femmes violées, c’est une situation qui m’a tout de suite interpellé.

Ce qui a fait de vous un allié des femmes ?

Cela se passait dans les années 80. J’ai vu que les femmes subissaient des mutilations sexuelles et j’ai trouvé cela insupportable. Elles savaient que j’étais chirurgien et m’ont demandé de l’aide. C’est comme cela que j’ai commencé mon action de reconstruction chirurgicale génitale des femmes. J’ai découvert entre autres mutilations, l’ablation du clitoris et j’ai introduit alors les premières techniques de reconstruction du clitoris.

En fait à côté de cette violence physique, j’ai découvert toutes les autres violences, les mariages forcés, la privation de liberté, les obligations sexuelles imposées aux femmes etc. C’est à ce moment que j’ai pris conscience d’une violence totale envers les femmes : physique et psychologique.

J’ai alors rencontré Frédérique Martz, avec qui j’ai créé l’Institut de santé génésique. En fait c’est surtout elle qui a inventé le concept de prise en charge holistique de ces violences, c’est à dire de tous les aspects de la violence considérés dans un même lieu, avec une prise en charge médicale, sociale, psychologique et juridique.

Vous décririez vous comme féministe ou pro-féministe ?

Non je ne me décris pas féministe, je suis simplement un soignant qui essaye de faire son boulot. Je fais une tentative de réparation, mais on se rend compte que ce sont les femmes elles-mêmes qui choisissent et assument la guérison. Prétendre leur prendre cette place est encore un acte hautement machiste. Je me rends compte du crime des hommes, de l’androcentrisme insupportable qui régit la société et j’essaie de réparer à ma mesure quelques horreurs engendrées par le machisme.

Oui je tente de tendre la main aux femmes, et je fais un travail que j’imagine militant. Est-ce que cela fait de moi un féministe ? Je ne saurais le prétendre. Est ce que j’ai la légitimité de la parole ? Ce n’est pas à moi d’en juger. J’essaye de faire et d’être dans l’action.

Que pensez-vous des violences obstétricales ?

Elles existent malheureusement et bien qu’il y ait de bons médecins, il y a des violences faites aux femmes au sein de l’appareil médical. Je me suis engagé contre ces violences et ainsi je fais les réparations d’épisiotomie mal réalisées, mal suivies ou mal réparées C’est en effet une violence faite aux femmes de faire des épisiotomies rapidement, mal réparées et non expliquées.  Bien des pathologies dites « fonctionnelles », autour du périnée, de la vulve, sont bien mal prises en compte, alors qu’elles détruisent la vie des femmes. Alors oui, je tente de les soigner et je me bats contre ces violences.

Mais les soigner vraiment, comme toutes violences, implique une prise en charge pluridisciplinaire qui est essentielle et souvent encore plus importante que l’acte médical. C’est cette approche globale qui est merveilleusement réalisée par l’équipe de Women-Safe sous la direction de Frédérique Martz.

Cela change tout et redonne aux femmes leur premier rôle. Elles sont au centre de leur propre thérapie et c’est pour cela qu’elles gagnent.

Toutes ces violences sont en fait similaires, elles sont physiques et toujours mentales. C’est la femme qui en venant nous voir décide de se réparer, c’est elle la première à se réparer, nous, nous sommes là pour l’aider et l’accompagner et non pour prendre la première place. Il faut accompagner sur le long terme, le travail chirurgical n’est qu’une petite partie du travail de reconstruction.

La femme est l’actrice de sa réparation. Ce n’est pas le médecin qui est le chef, le médecin est juste à ses côtés.

Quelle est votre réaction à #metoo ?

C’est un mouvement essentiel. #metoo enfin ! C’est la condition du progrès humain ! Cela nous rappelle le crime des hommes.  Nous sommes dans un monde encore totalement androcentré.

On le voit partout, on a pris beaucoup de retard par rapport à l’égalité femmes/hommes. On le constate dans tous les domaines. Il faut détruire les stéréotypes.

Pour vous quelles sont les mesures de prévention des violences ?

Il faut avoir la connaissance des signes avant coureurs, détecter absolument les premiers signes et entrer le plus tôt possible dans l’histoire des violences. C’est ce que nous a appris Women-Safe : le harcèlement est un phénomène extrêmement répandu qui concerne essentiellement les filles. « Il faudrait pouvoir agir avant la première claque…» Le harcèlement est le type de violence qui a le plus fort sex-ratio femmes/hommes.

Il faut porter cette parole de prévention partout dans les universités, les écoles, les commissariats de police, les hôpitaux. C’est essentiel. Et c’est ce que font les équipes de Women-Safe.

Les femmes sentent tous les signes mais ne peuvent en parler parce qu’elles pensent qu’elles n’ont pas le droit de parler, qu’on ne les écoute jamais. Leur parole n’est pas encore légitime. Pourtant, elles sentent beaucoup plus que les hommes. Il faut apprendre à les écouter et favoriser leur parole.

Concernant la prévention, L’institut a acquis une énorme connaissance des circonstances qui alertent. Nous avons des données éminemment pertinentes et importantes qui peuvent sauver des vies. Nous sommes prêt·es à les partager avec des associations qui pourraient agir avec nous en prévention et en accompagnement de ces femmes en danger.

Les stéréotypes restent en place partout. L’avenir de l’humanité doit passer par la destruction des stéréotypes, pour l’égalité femmes/hommes.

Un stéréotype qui vous choque particulièrement ?

Je pense qu‘il y en a partout : par exemple sur les photos de bateaux, on voit quasi toujours l’homme musclé à la barre, et une femme un peu dénudée sur le pont…On est encore dans un monde plein de ces visions ancestrales ridicules et destructrices.

Je songe encore à un autre exemple qui m’avait frappé par sa violence : Il y avait eu un sondage réalisé en Belgique par un institut Européen très sérieux dont le sujet était : les critères de choix des partenaires. Les résultats ont été les suivants : pour les femmes, l’intelligence chez les partenaires était un des critères très important, en revanche pour les hommes, il fallait que les femmes soient le moins intelligentes possible ! Cela donne une idée du déséquilibre des mentalités.

Quelle est la spécificité de votre Institut ?

C’est le côté holistique qui consiste à rassembler toutes les aides dans un même lieu. Médecins, psychologues, thérapeutes, avocat·es. Dans notre institut, l’infirmière est la première et la plus importante personne pour gérer la réparation, c’est elle qui organise tout et met tout le monde en relation. Les femmes ont une parole plus naturelle qui permet d’aller vers tous les autres.

Frédérique Martz, co-fondatrice de l’institut, a mis en place des protocoles où la victime est au centre, et où les métiers coexistent, sans hiérarchie, avec le principe du secret partagé.

Quels sont les messages à faire passer aux jeunes médecins femmes et hommes, aujourd’hui ?

Il faut bien sûr être loyal·e , honnête et respectueuse/respectueux mais surtout il faut élargir son point de vue en se mettant en relation avec les autres professionnel·les qui s’occupent des patientes. Il faut toujours douter pour apprendre, le respect ne suffit pas.  Il faut apprendre à se remettre en question. Une approche non médicale peut enrichir énormément. Les femmes se remettent en cause beaucoup plus facilement que les hommes, nous devons apprendre à le faire car c’est une richesse.

Un conseil à tous les hommes pour faire avancer l’égalité femmes/hommes au quotidien ?

Se rappeler, qu’on est deux sexes pour construire l’avenir de notre planète. Se souvenir qu’il y a une façon féminine et masculine d’agir. Il faut toujours échanger entre les sexes pour progresser. La parole devrait être rendue plus naturelle pour les hommes.

Qu’ils écoutent et regardent les femmes, elles vont leur dire comment faire.

D’après vous pourquoi le combat féministe n’avance pas suffisamment ?

Les homme craignent les femmes c’est pour cela qu’ils freinent le mouvement alors que ce n’est qu’ensemble que l’on peut avancer…

Les femmes sont différentes des hommes, elles ne sont pas plus faibles. Elles sont juste plus vulnérables du fait du monde tel qu’il est. En fait ce que l’on peut considérer comme une faiblesse est une force. Leur fragilité est une force. Elles ont la première charge du petit humain.

L’anthropologue Françoise Héritier disait : « les femmes ont le pouvoir exorbitant de faire les deux sexes ».

 Vous avez utilisé le mot pouvoir, en fait derrière les problèmes des lutte féministes, il y a un problème de pouvoir. Les hommes ont peur du pouvoir des femmes.

Propos recueillis par Roselyne Segalen 50-50 magazine

 

 

 

 

 

 

 

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