Articles récents \ Monde \ Afrique Zoneziwoh Mbondgulo-Wondieh : « Au Cameroun, nous comptons 62 femmes sur les 180 membres des parlements, contre 5 en 1995 »
Si la France fait partie des pays organisateurs du Forum Génération Egalité (FGE), d’autres pays comptent bien influencer les discussions. Parmi les pays participants on retrouve le Cameroun. Et plus exactement Zoneziwoh Mbondgulo-Wondieh directrice exécutive de Women for a change, une organisation camerounaise de défense des droits des femmes et des filles en matière de santé sexuelle et reproductive. Zoneziwoh Mbondgulo-Wondieh fait partie des personnalités qui composent le Groupe consultatif de la société civile du FGE. Cette conteuse et chercheuse féministe humanitaire, avec plus de dix ans d’expériences dans le genre et l’activisme numérique, le plaidoyer politique et le leadership des jeunes, partage son point de vue sur cet événement.
Où en est l’organisation du Forum aujourd’hui. A quels défis avez-vous dû faire face ?
Globalement, je dirais que l’organisation du FGE prend du temps, surtout en ce qui concerne l’implication du secteur privé. Cela est peut-être dû à la crise sanitaire actuelle.
Par contre, je suis ravie de constater qu’il y a un réel engouement des sociétés civiles à travers le monde. Nous observons une mobilisation de masse, des adolescent·es, des jeunes dirigeant·es, des organisations, toutes et tous déterminé·es à faire progresser l’égalité des sexes et la justice.
Au sein de la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), nous avons débuté l’organisation du FGE dès 2019, avec la création du groupe Beijing25 CEMAC, maintenant appelé GenEGaliteECCAS. Le GenEgaliteECCAS est un mouvement de militant·es des droits des femmes, qui s’efforce de faire progresser l’implication et la participation des femmes et des filles autour d’événements mondiaux comme le FGE, et plus localement dans l’ensemble de la CEEAC.
En ce qui concerne les défis auxquels nous faisons face dans l’organisation du FGE, je dirais que la langue continue à entraver la participation des femmes et des jeunes féministes de la région de la CEEAC, car la plupart des communications et des échanges sont en anglais. Et il faut aussi noter qu’aucun pays de la CEEAC ne fait partie des champions des Coalitions d’action de la Génération Egalité.
Les femmes souffrent énormément de la crise sanitaire actuelle… quelle est la situation au Cameroun ?
La COVID19 et le conflit armé au Cameroun, ainsi que dans une partie de la région de l’Est et du Nord du pays, ont causé d’énormes souffrances aux femmes et aux filles. Des dizaines de milliers de filles n’ont plus accès à l’éducation. Beaucoup d’entre elles continuent d’être victimes de violences de la part de groupes armés étatiques et non étatiques. Avec la COVID19, ces femmes et ces filles sont également exposées à la violence domestique et sexuelle. La crise a révélé les inégalités flagrantes qui existent dans notre monde, en particulier celles que vivent les femmes et les filles au quotidien.
Plus généralement, où en est l’égalité de genre au Cameroun ?
Le Cameroun, comme la plupart des sociétés à travers le monde, est encore loin de réaliser l’égalité des sexes. Une femme sur trois subit encore des violences quotidiennement. La mortalité maternelle est maintenant de près de 800 décès pour 100 000 naissances. 30% de ces décès sont dus à des recours à un avortement à risque. Même si l’alphabétisation des femmes a augmenté, les femmes restent moins bien payées que leurs homologues masculins, et n’accèdent pas aux mêmes postes, en particulier dans le secteur privé.
Le conflit armé et la crise politique actuels ont exacerbé et aggravé les inégalités pour les femmes et les filles au Cameroun, en particulier dans la région du sud-ouest et du nord-ouest du pays. Selon les rapports, en juin 2020, plus de 3 000 personnes ont été tuées, avec environ 700 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays et environ 60 000 cherchant refuge au Nigéria voisin, avec une majorité de femmes et de filles.
Malgré tout, même dans un environnement hostile et instable qui entrave leur travail, les nombreuses militantes féministes continuent leur combat et travaillent collectivement pour dénoncer et condamner les inégalités et les crimes commis contre les femmes et les filles.
Pensez-vous que le Forum Génération Égalité pourrait améliorer la situation des femmes et des filles au Cameroun ?
Oui. Le FGE et tous les préparatifs en amont concernent nos vies, notre avenir, et nous ne pouvons pas rester les bras croisés. D’autant plus que certain·es d’entre nous n’étaient pas né·es en 1995 lors de la Conférence de Pékin. Et même celles et ceux d’entre nous né·es avant 1995, n’avons pas participé au processus de Pékin, non parce que nous ne pouvions pas faire partie des délibérations, mais parce que le type d’organisation de l’époque ne nous a pas inclu·es dans le processus.
25 ans plus tard, nous disposons de nouveaux outils numériques, comme les réseaux sociaux, qui nous permettent d’accéder aux informations et d’influencer les décisions. « Technologies et innovation pour l’égalité des sexes » est d’ailleurs l’une des coalitions d’action du FGE. La technologie est indispensable et nous offre l’opportunité de ne plus être absentes des discussions et mises de côté lors d’événements internationaux, comme cela a pu être le cas en 1995.
Notre plateforme GenEgaliteECCAS travaille quotidiennement pour s’assurer que les actions menées dans le cadre du FGE sont inclusives, intersectionnelles et diversifiées. Nous voulons être la première génération d’actrices et d’acteurs à faire les choses différemment, de façon plus audacieuse, afin de faire en sorte que l’égalité des sexes devienne une réalité dans nos communautés, dans la région de la CEEAC et à travers le monde.
En 25 ans, depuis la première Conférence de Pékin, que dire de l’égalité de genre ?
À l’échelle mondiale, nous pouvons dire qu’il y a eu des progrès, mais ils sont très lents et dans certains cas stagnants. Par exemple, en 1995, il n’y avait que 12 femmes cheffes d’État, contrairement à aujourd’hui où il y en a environ 22. Au Cameroun, nous comptons 62 femmes sur les 180 membres des parlements, contre 5 en 1995. Mais ces chiffres ne doivent pas masquer les inégalités, la marginalisation et les discriminations que subissent les femmes. La situation est encore pire pour les jeunes femmes des zones humanitaires touchées par les conflits.
Néanmoins, je suis optimiste, car les jeunes militantes féministes parviennent à faire pression et à défendre leurs droits, malgré les obstacles quotidiens. C’est grâce à cette résilience que nous avons pu adopter un programme progressiste à l’horizon 2030, avec les Objectifs de Développement Durable (ODD). Nous avons également vu l’élaboration d’un plan d’action national, au Cameroun, avec la mise en œuvre de la résolution 1325 de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité.
Le FGE est-il une des réponses pour obtenir l’égalité des sexes aujourd’hui ?
Le FGE représente une opportunité cruciale pour les mouvements de défense des droits des femmes, en particulier pour les adolescentes, de s’imposer et de redistribuer les cartes. Le FGE est aussi l’occasion de renforcer la solidarité entre les mouvements féministes, le public, le secteur privé, pour une mise en application efficace des six coalitions d’action au cours des cinq prochaines années. Pour les jeunes femmes et les filles qui n’étaient pas nées en 1995, le FGE leur permettra, je l’espère, d’influencer la politique mondiale.
Avec « Women for a change » et certains membres du mouvement GenEgaliteECCAS, nous avons travaillé dur pour galvaniser et renforcer la collaboration internationale, alors que nous étions touché·es de plein fouet par la crise sanitaire. Nous avons réinventé nos façons de travailler et nous avons renforcé l’activisme intergénérationnel. Je crois qu’il n’y a pas de meilleur moment pour un réel engagement et de profonds changements. L’approche multipartite du FGE, c’est-à-dire en mobilisant les États membres, le privé, le public, la société civile, est unique et innovante.
Chloé Cohen 50-50 magazine