Articles récents \ Culture \ Cinéma Chronique l’aire du psy : Désir d’enfant et féminicide

Sortant du film l’enfant rêvé , j’éprouve un sentiment de mécontentement et d’incompréhension : à quelle nécessité répond ce féminicide porté à l’écran ? Quelle responsabilité engage le réalisateur en imposant cela aux spectatrices/spectateurs ? C’est une protestation, un refus d’être complice de ce que m’impose le cinéaste, qui me pousse à écrire cette chronique. Bien sûr, on pourra me reprocher ici de spolier le film, mais c’est autour de l’énigme de ce meurtre, que se centre mon propos. Mon correcteur orthographique n’a d’ailleurs pas encore admis ce terme féminicide, pourtant apparu dès le XIXème siècle. Mon hypothèse est que ce féminicide constituerait l’impensé du film de Raphaël Jacoulot.

Pourquoi le meurtre d’une femme accompli par un homme proche, ici son mari (1), devrait-il ainsi être mis en scène et à quelles fins ?

Il est question d’un couple, qui tente de traiter sa stérilité. Nous sentons que cette grossesse empêchée pourrait être d’origine psychogène et localisée chez la femme. Le parcours de stimulation ovarienne précédant les FIV est éprouvant pour les couples qui s’y engagent. Les injonctions médicales ne sont pas anodines non plus : « Vous avez bien respecté l’abstinence ? » demande la soignante au monsieur, qui va aller se masturber pour apporter sa contribution procréative. Préalablement, le quotidien conjugal abstinent aura été ponctué des injections hormonales pratiquées par le mari. Les techniques de procréation médicale assistée s’invitent dans le quotidien du couple en prescrivant des modalités reproductrices disjointes de la sexualité. La chambre parentale n’est plus alors le lieu du mystère de la conception.

C’est le laboratoire, qui apprend au couple si leur accouplement par assistance médicale a donné lieu à reproduction. Ce parcours laborieux, douloureux, ne fonctionne pas toujours. C’est le cas pour François (Jalil Lespert) et Noémie (Mélanie Doutey). Les déceptions répétées la conduisent à se tourner vers un autre parcours d’accès à la parentalité, celui de l’adoption. Là encore, les épreuves se succèdent : il faut démontrer sa motivation, se plier à une enquête sociale, à des investigations psychologiques : il faut faire la preuve que l’on a vraiment envie d’avoir un enfant, formuler un projet parental et renoncer à l’enfant imaginaire. Ce sont des spécialistes, des professionnel·les de l’Aide Sociale à l’Enfance, qui vont ou non accorder un agrément pour une durée de cinq ans. Le désir d’enfant est bien ballotté, sinon malmené au cours de ces démarches.

Lorsqu’il signe une facture en chef d’entreprise détenteur du pouvoir, François a le regard qui se porte au-delà du subalterne, déjà occupé ailleurs sans considération pour son collaborateur. Lorsque Noémie a en quelque sorte pris le pouvoir en décidant d’adopter, plutôt que de désespérément insister dans un projet de grossesse visiblement inaccessible, leurs postures respectives changent : Noémie prend les commandes et François devient un suiveur. C’est désormais elle qui marche en tête, prend les initiatives et les décisions financières qui s’imposent.

François s’était inscrit dans la succession de son père au sein de la scierie familiale. La passion du bois se transmettait d’homme à homme depuis plusieurs générations. Plus que les racines, c’est le tronc et la cime des arbres de la forêt jurassienne, à laquelle est relié cet homme. Comme s’il faisait fi de l’origine du monde. C’est lui et non sa sœur, qui avait été désigné comme héritier de l’entreprise et l’on attendrait tout naturellement que la femme de François lui fasse un fils pour poursuivre cette logique patriarcale. Il y a bien le neveu, qui pourrait s’inscrire dans la succession et le grand-père paternel ne manque d’ailleurs pas d’investir ce jeune homme. Faute de descendance de son fils, c’est le petit-fils, que lui a fait sa fille, qu’il investit…

L’amante 

Mais de son côté, François a fait une conquête. En rencontrant Patricia (Louise Bourgoin), son désir devient procréateur. Patricia  » tombe enceinte  » de lui. François est bouleversé et l’enjoint à garder l’enfant, qui s’avèrera être un fils. Dès lors, tiraillé entre deux femmes, l’une avec laquelle les rencontres sont passionnelles, l’autre, son épouse, avec laquelle le projet d’adoption se poursuit, mais dans lequel François ne s’inscrit que superficiellement, écartelé entre devenir père d’un enfant qu’il a engendré et révéler la situation à son épouse fragilisée par les démarches de l’adoption et les années d’espoirs vains de maternité.

Dans ce film, l’épouse et l’amante se montrent respectueuses et attentives aux mouvements psychiques de l’être aimé. Patricia, l’amante enceinte, accorde une place considérable à cet homme, lui donnant jusqu’au bout sa chance d’être le père de l’enfant tout en conservant néanmoins l’idée du respect de son mari. Patricia espère tellement d’un père qu’elle n’a pas eu, qu’elle endosse une position quasi sacrificielle pour elle-même, mais pas pour son enfant.

François est déterminé, mais se montre lâche face aux implications de sa décision. L’amante lui avait offert le choix d’avorter. Il s’est engagé auprès d’elle dans un projet d’avenir ensemble avec ce bébé à naître. Patricia est mère de deux enfants et vit avec son mari. Elle révèle à François son enfance avec un père parti abandonnant mère et fille. François ne trouve pas le bon moment pour parler à sa femme. La grossesse de Patricia se poursuit, l’enfant va naître. Patricia renonce à sa relation passionnelle : c’est l’enfant qui compte désormais. François déraisonne. L’histoire transgénérationnelle semble le rattraper : son devenir de père biologique devient obsédant. La vie de cet homme coincé par un destin, qui l’a visiblement privé de choisir sa vie hors du milieu forestier, le fait déraisonner. Il ne peut se résigner à devenir le géniteur de l’ombre et renoncer à cet enfant, qu’il n’a pu assumer laissant Patricia conduire sa grossesse aux côtés de son mari, prête à enterrer ce secret des origines.

François commet l’irréparable. Sacrifiant les apparences, il provoque la mise à jour de la vérité, mais sans considération pour les conséquences tant sur les enfants de Patricia, que sur les conjoints respectifs. Le féminicide  » accidentel  » surviendra peu après lorsque Noémie affirme son pouvoir de retenir son mari et l’incite à une relation sexuelle, qu’il ne peut honorer. « T’es même pas capable ! » lui clame-t-elle peu avant de mourir. Ce raccourci confondant virilité et puissance sexuelle aboutit au meurtre. C’est l’impardonnable de ce film, que j’ai tenu à dénoncer dans cette chronique. Je ne décolérai pas en sortant du cinéma. L’artiste a une responsabilité dans l’œuvre, qu’il produit. Ce n’est pas au nom d’une quelconque moralité que je m’insurge. L’aspiration à être père ne saurait se faire sur le dos des femmes et encore moins au prix de les sacrifier.

Daniel Charlemaine 50-50 magazine

1 En conformité avec les statistiques, puisque 80 % des homicides conjugaux sont commis par des hommes

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