Articles récents \ France \ Économie Thérèse Binder : «vous savez, je pilote avec mes mains et mes pieds, pas avec mes ovaires »

Voler : une perspective qui en fait rêver certain·es, qui fait peur à d’autres, mais ne laisse personne indifférent·e. Pour Thérèse Binder cependant, le ciel n’est pas qu’un espace de rêve et de liberté, mais aussi son lieu de travail. Capitaine aviatrice de l’armée de l’air belge et pilote d’hélicoptère pour le SAMU français, elle endosse chaque jour sa combinaison pour porter secours à celles et ceux qui en ont besoin. Rencontre avec une femme qui met sa passion pour l’aviation au service des autres.

Il ne faut pas se laisser tromper par son visage calme et impassible, car Thérèse Binder est une vraie passionnée. Malgré la fatigue, elle rentre d’une semaine de permanence, pendant laquelle elle a passé 21h30 en vol, ses yeux bleus s’éclairent dès qu’elle parle de voler. « J’ai toujours aimé voir le monde d’en haut », avoue cette « fana de l’aviation », pour reprendre le titre du magazine dont des exemplaires couvrent sa table basse. Elle et son mari, pilote également, habitent d’ailleurs à quelques minutes de l’aérodrome du Plessis-Belleville, où est garé leur petit avion. On demande souvent à Albert comment il a bien pu convaincre sa femme d’acheter un avion… Sa réponse ? « Mais c’est pas moi, c’est elle ! » Pour cause, les avions la fascinent depuis son enfance, quand elle et son père regardaient les avions atterrir à l’aéroport de Bâle-Mulhouse. « Je devais avoir 3 ou 4 ans. Il m’expliquait comment tout fonctionnait. Plus tard, je voyais plutôt l’école comme une prison, alors je regardais les avions par la fenêtre en me disant que j’aimerais bien voler. »

Thérèse Binder aurait pourtant pu passer à côté de sa vocation, car la formation de pilote avait la réputation d’être chère et d’exiger un très bon niveau en maths. Lorsqu’après des études de génie biologique, elle rencontre par hasard un futur pilote militaire, elle hésite, demande si ce métier est accessible aux femmes, sans diplôme d’ingénieure. « Mais évidemment ! » lui répond-il. Son dernier doute, celui de « ne pas savoir si elle est douée pour ça », il le balaye en l’emmenant voler : dès qu’elle prend les commandes, elle sait qu’elle a trouvé sa voie. Elle se forme à l’armée belge (FAB) en coopération avec la France, d’abord sur avion, puis sur hélicoptère, et devient capitaine aviatrice de la FAB, qui engage des candidat·es de l’Union européenne. Après un contrat de 14 ans, elle décide cependant de quitter l’armée pour le civil, pour ne pas passer officier de carrière, ce qui signifie passer plus de temps dans les bureaux qu’en vol. « Je voulais être encore sur le terrain », explique celle qui a ainsi rejoint, à l’automne 2019, la société Babcock MCS France afin de devenir pilote d’hélicoptère pour le SAMU.

Un métier qui exige sang-froid et concentration

Dès le début de sa permanence à 8 heures, après avoir vérifié l’état de l’hélicoptère, les conditions météorologique et l’espace aérien, Thérèse Binder garde les yeux rivés sur son téléphone, dans l’attente d’un appel du 15. Lorsque la sonnerie retentit, elle dispose de cinq minutes pour repérer le lieu de l’intervention et un terrain où se poser, vérifier la météo, et déterminer si elle peut aller chercher la/le patient·e, dont elle ne connaît pas la pathologie. « Je ne dois pas prendre de décision émotionnelle mais toujours rationnelle », explique-t-elle. Elle vérifie surtout les coordonnées de sa destination, une étape primordiale, car « aller au mauvais endroit, alors que toute l’équipe médicale qui doit prodiguer les soins est dans l’hélicoptère, serait une erreur fatale ». Elle s’envole alors avec l’équipe médicale vers le lieu de l’intervention où, avant de se poser, elle et son assistant·e de vol évaluent d’un seul coup d’œil les obstacles, et vérifient si le terrain est effectivement adapté pour se poser. Elle doit être rapide, sans pour autant prendre de risques inutiles, car elle porte, en tant que commandante de bord, une lourde responsabilité. Sur place, l’équipe médicale prend en charge la/le patient·e, avant de redécoller au plus vite en direction de l’hôpital. Des vols courts et intenses, pendant lesquels elle ne doit pas se laisser déstabiliser par la présence d’un·e malade à l’arrière de l’hélicoptère.

Difficile pour une femme de se faire une place dans le milieu de l’aviation, réputé masculin ? Pas tant que ça, selon Thérèse Binder, qui raconte n’avoir reçu dans l’armée que peu de remarques sexistes, sur lesquelles elle ne s’est jamais attardée. Les comportements sexistes étaient vite recadrés, et les femmes, tout comme ses collègues qui ont changé de sexe, n’étaient pas discriminé·es, sauf par quelques individus isolés remis à leur place par le commandement. Elle raconte même qu’au SAMU, la neutralité est totale : « je n’étais pas là pour être testée, j’étais là pour faire mon métier ». Même si les femmes sont peu nombreuses, un manque que les services de recrutement cherchent à combler, la majorité de ses collègues et son staff ne voient en elle que ses compétences et ses quinze ans d’expérience, pas son sexe. « Sur le terrain, la question ne se pose pas », déclare l’aviatrice avant d’expliquer que pour elle, le problème ne vient pas des institutions et du milieu aéronautiques, mais plutôt d’une partie de la population. Ce qui l’agace, ce sont les personnes qui s’étonnent encore de voir une femme pilote et trouvent que « c’est drôlement bien pour une femme », comme s’il s’agissait d’un exploit. Le genre de réflexions auxquelles elle répond, tout sourire : « vous savez, je pilote avec mes mains et mes pieds, pas avec mes ovaires. »

« Ce que j’ai fait, je l’ai fait par passion. »

Ce qui est important pour Thérèse Binder, c’est de rappeler que chacun·e est libre de faire le métier de son choix. Elle a d’ailleurs témoigné à ce sujet avec onze autres femmes dans le livre de Cécile Maïchak, Les femmes se rêv’elles. « Nous avions la même vision des choses : ce que nous avons fait, nous l’avons fait par passion », raconte-t-elle. Elle ne cherche pas à mettre en avant son statut de femme dans l’aviation, mais plutôt à le normaliser, et déclare : « ce n’est pas parce que je suis une femme et que je fais ce métier que je suis particulièrement admirable. » Dans ce milieu encore loin de la parité, se pose notamment la question des quotas. Cependant, pour Thérèse Binder, la parité imposée a un côté pernicieux. « Favoriser une femme au détriment de la compétence serait contre-productif, y compris pour la suivante, qui sera, elle, compétente, mais devra encore plus prouver qu’elle n’est pas là juste parce qu’elle est une femme », explique-t-elle avant d’ajouter que la misandrie est tout aussi condamnable que la misogynie, et que discriminer un groupe au profit d’un autre « aurait tout l’effet inverse de celui souhaité ».

Pour elle, s’il y a un combat à mener, c’est celui de l’adelphité (1) : homme ou femme, peu importe, « ce qui compte, c’est ce que l’on fait ». Elle a d’ailleurs une vision assez neutre, voire « asexuée », de la société, et voit avant tout les gens comme des personnes, sans se poser la question de leur sexe. Quand, dans un article de presse belge, elle est désignée comme « le capitaine aviateur Thérèse Binder, directeur de l’exercice », elle est donc loin de s’offusquer. « Oui, j’étais directeur de l’exercice. Ça ne me gêne pas que ce soit masculin, parce que j’y vois seulement ma fonction : la direction de l’exercice. » Elle-même, avant d’atterrir sur l’héliport de l’hôpital, se présente comme « Thérèse Binder, le pilote de l’hélico », une façon neutre selon elle de se désigner par sa fonction. Pas question, donc, de s’attarder sur la forme, mieux vaut se concentrer sur le fond et sur l’éducation des gens pour vraiment faire évoluer la société. L’important, c’est que chacun·e soit libre de ses choix. Elle conclue avec un petit sourire : « si j’avais été passionnée par la couture, ou par les aquariums, j’aurais ouvert une mercerie, ou un magasin d’aquariums, mais voilà, je suis passionnée par l’aviation, alors je fais de l’aviation. »

Lou Cercy 50-50 magazine

1 L’adelphité est un néologisme construit à partir de la racine grecque adelph, qui a donné adelphos (frère) et adelphé (sœur). Il désigne le lien de parenté entre frères et sœurs, des relations harmonieuses entre êtres humains, et réunit ainsi les notions de fraternité et de sororité.

print