Articles récents \ France \ Société Christian Balaud : » la contraception des hommes est un exemple concret de leur comportement dans la société «
Et si nous partagions enfin la charge contraceptive ? Bien qu’il existe aujourd’hui plusieurs moyens de contraception pour les hommes, les femmes sont encore majoritairement en charge de cette responsabilité. Une inégalité qui s’explique notamment par un manque d’informations et une méconnaissance sur le sujet. Christian Balaud est membre du collectif breton « Thomas Bouloù ». Fondé en 2015, le groupe organise des ateliers, chaque premier samedi du mois à Quimper, afin de promouvoir la contraception masculine.
Qu’est-ce que le collectif « Thomas Bouloù » ? Quelles actions menez-vous au sein du collectif ?
À l’origine, nous étions cinq hommes qui voulaient agir sur la société patriarcale et qui cherchaient des moyens pour la changer, pour nous changer et pour changer les assignations genrées qui nous entourent. Une partie du collectif s’est rencontrée à l’occasion du festival « Klito’rik », organisé à Trégunc (Bretagne) en 2015, dont le sujet était les sexualités. Nous nous sommes donc intéressés à la question de la contraception des hommes car c’est un exemple concret de leur comportement dans la société. L’objectif du collectif n’est pas de travailler uniquement sur la contraception, mais de travailler sur le monde patriarcal.
Nous avons commencé à travailler sur le sujet en écrivant notamment des témoignages et nous avons finalement réalisé une brochure. En parallèle, nous avons développé nos propres systèmes de contraception thermique : nous avons créé des modèles, nous les avons fabriqués et nous nous sommes contraceptés avec. Nous avons également organisé des « contraceptours », c’est-à-dire des tournées dans toute la France pour parler des contraceptions : nous avons été dans le Sud-Est, à Grenoble, Marseille, dans les Sévènes, à Clermont-Ferrand, puis dans le nord de la France, à Caen, Lille, Paris, Nancy, Strasbourg, en passant par la Belgique et l’Allemagne. Le but de ces «contraceptours» était d’organiser des soirées d’information, comme des conférences et des discussions, que l’on couplait avec des ateliers de fabrication et d’essayage de contraceptifs thermiques. Nous apprenions aux hommes à les fabriquer eux-mêmes.
Nous avons également mis en place un atelier, qui a lieu tous les premiers samedis du mois à Quimper : il est composé d’une partie information, d’une partie discussion du bien fondé de la contraception des hommes et d’une partie pratique. Nous donnons par exemple des conseils sur la vasectomie, sur les docteur·es, sur la contraception hormonale, etc. Nous prêtons également des modèles aux hommes pour qu’ils puissent les essayer de leur côté. Ils peuvent ensuite les reproduire chez eux ou venir à l’atelier pour que nous les aidions à reproduire le modèle qui leur convient.
Quels sont les moyens de contraception les plus utilisés par les hommes ?
Il y a d’abord le préservatif : c’est le plus répandu et il a l’avantage d’être une protection contre les maladies sexuellement transmissibles (MST), il est donc important. En revanche, il n’est pas sûr à 100 %.
Le deuxième, également connu, est la vasectomie. C’est une opération très simple : elle ne dure qu’un quart d’heure et se fait sous anesthésie locale. Les médecins la proposent de plus en plus et nous constatons une évolution. Mais il y a encore beaucoup de méconnaissances autour de cette méthode car elle n’est pas assez expliquée : beaucoup d’hommes ont tendance à confondre vasectomie et castration. En France, elle a un statut particulier par rapport aux autres pays : à l’étranger, nous estimons qu’entre 10 et 20 % des hommes ont pratiqué une vasectomie, alors qu’en France, ce chiffre tombe à 0,2 %. Sur ce point-là, Cécile Ventola a écrit une thèse de sociologie dans laquelle elle compare le Royaume-Uni, qui compte 20 % de vasectomisés, et la France. Elle met en lumière plusieurs choses. D’abord, le système de santé : outre-Manche, les docteur·es sont obligé·es de présenter tous les systèmes de contraception et ce sont les individus qui prennent les décisions. En France, les docteur·es font ce qu’elles/ils veulent, n’ayant aucune obligation. La loi dit qu’une personne de plus de 18 ans a le droit de demander une vasectomie, dans ce cas la/le docteur·e n’a pas le droit de refuser. Si elle/il refuse, elle/il doit donner à sa/son patient·e l’adresse d’un·e consœur/confrère qui le fera. Dans la réalité, c’est plus compliqué que cela : les docteur·es français·es ont dicté leur propre loi qui dit, grosso modo, « il faut avoir 35 ans et au moins deux enfants pour réaliser une vasectomie ». Ce qui est complètement faux. Il faut aussi savoir que la France est un pays très nataliste : la vasectomie y était interdite jusqu’en 2001, comme la ligature des trompes, qui étaient considérés comme des mutilations.
Que pouvez-vous nous dire de la contraception hormonale ?
La contraception hormonale a été validée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui a réalisé une étude sur 500 couples – 1500 personnes environ. Le docteur Soufir, un médecin français, est le premier à l’avoir mise en place il y a 30 ans. Comment ça marche ? Il faut savoir qu’il y a des glandes dans le cerveau, appelées hypophyse et hypothalamus, qui infirment les testicules lorsqu’il faut produire de la testostérone ou lorsqu’il y en a assez. S’il y en a assez, le testicule arrête d’en produire, et arrête également de produire des spermatozoïdes. La contraception hormonale propose donc d’injecter, une fois par semaine, 200 mg de testostérone dans le sang. Au bout de trois mois, il n’y a plus de production de spermatozoïdes et l’individu est contracepté. Il y a tout de même quelques contre-indications, mais elles sont de même nature que celles de la pilule (problèmes cardio-vasculaires, obésité, effets sur la libido, etc). Il est rare qu’un·e docteur·e ne donne pas la pilule à une femme pour ces raisons-là, alors que pour les hommes, ces effets secondaires sont fortement mis en avant…
Actuellement, à ma connaissance, il y a au moins trois lieux en France qui prescrivent cette méthode : le planning familial de Paris, celui d’Orléans et celui de Grenoble. Les docteur·es qui la pratiquent acceptent également de travailler à distance avec d’autres docteur·es. Par exemple, un homme qui souhaite utiliser cette méthode de contraception peut aller voir sa/son docteur·e, et celle/celui-ci peut se mettre en relation avec des consœurs/confrères qui prescrivent cette méthode : elles/ils vont conseiller et aider la/le docteur·e pour la prescription.
Qu’est-ce que la contraception thermique ?
La contraception thermique a été inventée dans les années 80, en même temps que la contraception hormonale, par des docteur·es et un groupe d’hommes qui souhaitaient se contracepter. Pour comprendre le système, il faut savoir que les testicules doivent être à une température de 34-35 °C pour produire des spermatozoïdes, c’est pour cette raison qu’ils sont à l’extérieur du corps dans ce que l’on appelle le scrotum. S’ils sont à la température du corps, c’est-à-dire 36-37 °C, la production de spermatozoïdes s’arrête. Lorsque l’on ressent une émotion forte ou que l’on va dans l’eau froide, le scrotum se contracte et repousse les testicules dans le corps et donc à une température de 37 °C. L’idée qui a donc été développée est de remonter les testicules dans le corps à l’aide d’un anneau, qui peut être en tissu ou en silicone. Il faut passer le penis dans cet anneau et tirer sur la peau pour que le scrotum passe à l’intérieur de l’anneau. Les testicules n’ont plus de place et remontent donc dans le corps. L’anneau en silicone tient tout seul, alors que celui en tissu est intégré à un slip. Ce n’est pas un sytème à mettre pendant une relation sexuelle, il faut le mettre tous les jours pendant 15 heures.
Avec cette méthode, nous sommes également contraceptés au bout de trois mois et nous pouvons le vérifier avec des spermogrammes. Il n’y a pas besoin que le taux de spermatozoïde soit à 0 : l’OMS a ainsi montré qu’à moins d’un million de spermatozoïdes dans le sperme, l’efficacité contraceptive était aussi bonne que le stérilet ou la pilule. Il faut aussi savoir que cette technique est réversible car plusieurs hommes ont eu des enfants après l’avoir utilisée. Actuellement, nous estimons qu’entre 200 et 300 personnes utilisent la contraception thermique, ce qui est beaucoup par rapport à il y a 5 ans !
Malgré une évolution constatée, la France est-elle en retard sur la question de la contraception des hommes ?
La France est en retard en ce qui concerne la vasectomie, mais elle est un des seuls pays à proposer la contraception thermique et hormonale. Ces techniques commencent à se faire connaître en Belgique et aux alentours, mais c’est en France qu’elles ont été développées. Le retard en France est dû au manque d’intérêt des hommes : il y a plusieurs années, on pouvait presque dire que la contraception était en partie aux mains des hommes, avec ce qu’on appelle le retrait. La pilule est ensuite arrivée, avec d’autres contraceptifs réservés aux femmes, et la contraception est passée aux mains des femmes. Ce qui a aussi arrangé les hommes qui ne voulaient pas se prendre la tête. Il y a également peu de travaux sur la contraception des hommes, et ce pour des raisons sociaux-économiques. Les laboratoires pourraient par exemple développer des pilules pour les hommes, qui seraient plus simples que les injections. Mais la plupart fabriquent déjà la pilule pour les femmes, ils n’auraient donc pas grand intérêt à se faire de la concurrence à eux-mêmes. Ces grosses structures pensent également que la pilule pour les hommes rapporterait moins et qu’ils ne rentabiliseront pas. Le problème étant aussi que les décideurs sont majoritairement des hommes, et non des femmes…
Plusieurs événements ont cependant fait basculer cette situation. D’abord, il y a la remise en cause de la pilule par les femmes : il y a une différence entre les militantes féministes des années 70, qui ont vu l’arrivée de la pilule et l’importance qu’elle avait, et les nouvelles militantes, qui sont plus critiques par rapport à ces moyens lourds de conséquences. Dans les soirées que nous organisions avec Thomas Bouloù, 75 % des personnes qui venaient nous voir étaient des femmes, et lorsqu’il y avait des couples, il n’était pas rare que les femmes s’y intéressaient plus que leurs partenaires. Je pense que les femmes qui ne considèrent plus la pilule comme automatique ont un peu bousculé leur partenaire, qui n’avait jamais pensé qu’ils pouvaient se contracepter. Nous observons une évolution, mais les hommes ont besoin de temps pour digérer la nouvelle.
Y-a-t-il suffisamment de communication autour de la contraception des hommes, notamment dans le milieu médical ?
Dans le milieu non médical, des informations commencent à être accessibles. Il faut juste que les hommes les voient et qu’ils y croient. En revanche, dans le milieu médical, les docteur·es ne sont pas encore au courant, et c’est un vrai problème. Certains médecins ne connaissent rien à la contraception des garçons et sont capables de dire des âneries. Il y a tout de même des colloques et des discussions à ce sujet, ainsi que des interventions dans les écoles et les facs de médecins. La Société Anthropologique de Langue Française (SALF) propose également des formatons dans le parcours des médecins. Le planning familial forme aussi des médecins à travers la France : ils connaissent les méthodes et les présente aux enfants, aux adolescent·es et aux adultes. C’est un réseau solide.
Quels conseils donneriez-vous aux homme qui souhaiteraient se contracepter ?
Je conseillerai d’abord de prendre contact avec les différents réseaux : Ardecom, Thomas Bouloù, Garcon à Toulouse, etc. Il faut poser des questions pour savoir si, dans son secteur, quelqu’un peut l’informer sur le sujet. Il faut parfois accepter de faire une centaine de kilomètres pour prendre des informations et discuter, mais ils peuvent également contacter les différents réseaux par mail.
Priscillia Gaudan, 50-50 magazine
Article déjà publié le 15 mai 2020
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Étiquettes : France Contraception Société