Brèves Turquie : les organisations féministes s’opposent au mariage réparateur pour les enfants victimes de violences sexuelles
En Turquie, les organisations féministes s’opposent à un projet d’amendement, qui permettrait aux coupables de pédocriminalité de conserver leur liberté en épousant leur victime. Cet amendement à l’article 103 du Code pénal turc (TPC) devrait être soumis au Parlement pendant l’été. En 2016, un amendement similaire avait été retiré en raison des mouvements d’opposition des organisations féministes, et du manque de soutien de la part des partis de l’opposition.
Le projet récent d’amendement prévoit qu’un homme accusé, jugé et condamné pour pédocriminalité sera libéré s’il épouse sa victime, à condition que :
- la victime soit âgée de 13 ans ou plus au moment de l’agression,
- la différence d’âge entre la victime et son agresseur soit de moins de 15 ans,
- le mariage ait été contracté avant la promulgation de la loi,
- le mariage dure au moins 5 ans.
L’argument utilisé pour justifier ce projet d’amendement est le suivant : accorder une amnistie exceptionnelle aux hommes poursuivis pour pédocriminalité, sous couvert d’un « mariage religieux » et/ou de l’accord tacite des parents, officiellement donné une fois la jeune fille majeure, permettrait de résoudre les problèmes rencontrés par ces familles. Blanchir les auteurs de violences sexuelles sur mineur·es par le biais du mariage, comme proposé dans cet amendement, attesterait d’un échec à protéger les enfants, et les filles en particulier.
Le principal danger est qu’une fois l’amendement voté par le Parlement, la Cour constitutionnelle de Turquie supprime les conditions ci-dessus, qui pourraient être jugées contraires à la garantie constitutionnelle d’égalité. Ceci transformerait une amnistie exceptionnelle en un usage généralisé qui inciterait les survivantes de viol à épouser leurs agresseurs.
En vertu de l’article 90 de sa constitution, la Turquie se doit de respecter les conventions internationales des droits humains dont elle est partie, dont :
- La Convention relative aux droits de l’enfant (CRC), qui impose aux parties de défendre « l’intérêt supérieur de l’enfant » (article 3)
- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) qui interdit les mariages d’enfants et précise que chacun·e devrait avoir « le droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement » (article 16)
- La Convention de Lanzarote, qui impose aux États « d’ériger en infraction pénal le fait de se livrer à des activités sexuelles avec un enfant qui […] n’a pas atteint l’âge légal pour entretenir des activités sexuelles » (article 18)
- La Convention d’Istanbul, qui souligne l’importance de promouvoir l’égalité des genres afin de prévenir et de combattre les violences faites aux femmes, et impose aux États d’ériger en infraction pénale « le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage » (article 37)
Selon les principes fondamentaux de ces conventions, les mariages de mineur·es menacent non seulement la santé sexuelle et reproductive des jeunes filles, en augmentant les risques de mortalité et de morbidité maternelles liées aux grossesses précoces, mais aussi en les rendant plus vulnérables aux violences faites aux femmes.
Nos inquiétudes concernant les droits et le bien-être des femmes et des filles sont renforcées par les récentes déclarations publiques des hauts fonctionnaires du parti au pouvoir, qui suggèrent que la Turquie pourrait se retirer de la Convention d’Istanbul.
Nous appelons la communauté internationale à nous soutenir contre toutes les initiatives qui mettent en danger le bien-être des enfants et les droits humains des femmes. Nous rappelons que la Turquie doit se conformer à ses obligations légales, respecter ses engagements relatifs aux objectifs de développement durable, et appliquer les lois préexistantes de protection des enfants, afin d’assure leur bien-être et de promouvoir les droits humains des femmes et l’égalité des genres.