Articles récents \ Monde Lopa Banerjee : « Le changement est urgent et ne sera possible que si tous les pays unissent leurs forces pour obtenir l’égalité des sexes »
Le report du Forum Génération Egalité (FGE) n’a pas découragé les organisatrices et organisateurs de cet événement majeur. De l’autre côté de l’Atlantique, le siège d’ONU Femmes à New York continue de travailler sur le FGE. Au cœur de ce processus : Lopa Banerjee, coordinatrice exécutive du FGE et directrice de la branche société civile pour ONU Femmes. Elle coordonne tous les aspects du Forum pour l’organisation onusienne, et représente ONU Femmes au sein de l’organe décisionnel clé du FGE, le « Core Group ».
Où en sommes-nous et que reste-t-il aujourd’hui à faire pour l’organisation du Forum ?
Compte tenu de la crise de la COVID-19, vous le savez, le FGE est reporté au premier semestre 2021. Les nouvelles dates seront annoncées dans les prochains mois. En attendant, une série d’engagements virtuels sera organisée, en collaboration avec les partenaires, afin de stimuler l’élan, la participation et l’engagement de toutes les parties prenantes.
Nous sommes convaincu·es, surtout avec cette crise qui a mis en évidence les inégalités flagrantes et systémiques dans le monde, que les objectifs du Forum sont plus importants que jamais. Toutes les personnes impliquées dans le Forum restent déterminées à mobiliser les actrices et acteurs, en particulier les jeunes, pour élaborer un programme d’actions ambitieux, pour enfin obtenir l’égalité des sexes et pour renforcer les mouvements féministes.
Avez-vous progressé sur le contenu détaillé des 6 Coalitions d’action ? Violence basée sur le genre, Justice et droits économiques, Autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle, Action féministe pour la justice climatique, Technologies et innovations pour l’égalité des sexes, Mouvements et leadership féministes.
Le contenu complet des 6 Coalitions d’action est actuellement en cours d’élaboration, avec la participation des parties prenantes. Nous devrons prendre en compte les impacts de la COVID-19 et remédier et corriger les inégalités fondamentales que la crise a exacerbées.
Certaines associations féministes françaises ont peur de ne pas pouvoir participer au FGE, et certaines pensent que les décisions sont prises à New York, que répondez-vous ?
Les décisions du FGE sont prises en collaboration avec ONU Femmes, la France, le Mexique, et leurs sociétés civiles. Ces 4 parties prenantes participent à la prise de décision, donc tout n’est pas centralisé à New York.
La représentation de la société civile s’exprime via un groupe composé de 21 dirigeant·es de la société civile du monde entier. Chacun et chacune disposant de ses propres réseaux régionaux et nationaux. En tant qu’ONU Femmes, nous consultons aussi régulièrement nos bureaux à travers le monde, pour nous assurer que les voix de celles et ceux qui sont sur le terrain soient écoutées.
Cela dit, des améliorations sont possibles. Et nous travaillons à renforcer la voix et la participation des organisations féministes françaises locales, ainsi que le leadership actif des jeunes dans les processus de prise de décision du FGE. Nous essayons également de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d’engagement, pour que les organisations exclues de la gouvernance du FGE puissent néanmoins contribuer à la planification et aux résultats du Forum.
Les femmes portent le plus gros fardeau de la crise actuelle, pensez-vous que la crise va changer la façon dont le monde perçoit les femmes ?
Les femmes sont en première ligne face à la COVID-19, aussi bien dans les sphères publiques que dans les sphères privées, car leur charge de travail de soins a augmenté de manière disproportionnée dans les familles et les communautés.
La contribution des femmes pour faire face à la pandémie est sans ambiguïté. À l’échelle mondiale, les femmes représentent 70% des travailleuses et travailleurs du secteur sanitaire et social. À l’échelle mondiale, les femmes effectuent 3 fois plus de travail non rémunéré et lié aux soins, que les hommes. La pandémie a ajouté de nouvelles responsabilités aux femmes et a augmenté la charge mentale. Dans de nombreux cas, l’enseignement à domicile est non seulement impossible, mais la pandémie a entraîné une augmentation du taux d’abandon scolaire des filles, car elles devaient assumer la garde de leurs frères et sœurs.
Pour que le monde puisse se reconstruire, il est essentiel que le rôle, la contribution, le leadership et la voix des femmes soient amplifiés et soutenus.
Les impacts économiques sont ressentis en particulier par les femmes et les filles qui gagnent généralement moins, épargnent moins, occupent des emplois précaires ou vivent en situation de pauvreté. La crise mondiale du COVID-19 a mis en évidence le fait que les économies officielles du monde et le maintien de notre vie quotidienne reposent sur le travail invisible et non rémunéré des femmes et des filles. La réponse politique doit inclure l’expansion des protections sociales, l’expansion des programmes de garde d’enfants et la conception de plans de relance économique, qui rendent enfin visibles et valorisent le travail non rémunéré et non comptabilisé dans l’économie formelle.
Il est aussi impératif que tous les pays luttent efficacement contre les violences domestiques et augmentent le financement des organisations de la société civile fournissant des services de protection contre ces violences.
En 25 ans, depuis Pékin, que peut-on dire de l’évolution des luttes pour l’égalité de genre ?
Depuis l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin il y a 25 ans, nous avons constaté des progrès en matière d’égalité des sexes dans certains domaines, notamment dans la réduction de la pauvreté, l’accès à l’éducation, la santé et le leadership politique des femmes. Aujourd’hui, une jeune fille dans un pays en développement a beaucoup plus de possibilités que son homologue il y a 25 ans.
Mais ces gains ont été progressifs, inégaux et insuffisants. Le rapport d’examen et d’évaluation du Secrétaire général de l’ONU sur Pékin +25, avec les contributions de 167 États membres, publié en décembre 2019, a souligné les obstacles auxquels les femmes sont toujours confrontés : les femmes gagnent moins d’argent, elles risquent aussi d’être victimes de violences à la maison et dans les espaces publics. À leurs luttes s’ajoutent d’autres problèmes, comme le changement climatique.
Tout cela est désormais aggravé par les impacts sociaux et économiques de la pandémie de la COVID-19 sur les femmes et les filles. Comme l’a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, l’impact de cette crise pourrait inverser les progrès qui ont été réalisés en matière d’égalité des sexes et de droits des femmes. L’impact disproportionné de la pandémie sur les femmes et les filles met en évidence l’immense travail qui reste à faire pour s’attaquer aux problèmes non résolus depuis la plateforme de Pékin en 1995.
Nous avons besoin d’une combinaison de réformes juridiques et de politiques gouvernementales audacieuses qui permettent aux femmes de lutter contre les normes sociales et culturelles discriminantes, et nous avons besoin que les initiatives et les engagements soient pleinement financés. Les actions de la communauté mondiale détermineront désormais les perspectives, non seulement de la génération actuelle de jeunes femmes, mais aussi des générations futures. Le changement est urgent et ne sera possible que si tous les pays unissent leurs forces et agissent avec détermination pour obtenir l’égalité des sexes et la justice pour toutes et tous.
Les organisations féministes sont à l’avant-garde du changement grâce à leur travail et à leur mobilisation, malgré les immenses obstacles auxquels elles se heurtent, tant financiers que politiques. Ces dirigeantes féministes considèrent la lutte pour l’égalité entre les sexes comme indissociable des luttes plus larges pour la justice raciale, les droits des travailleuses et travailleurs, la justice climatique, les droits des LGBTQI+… Et nous devons amplifier cette voix collective pour transformer nos sociétés !
Pensez-vous que l’Europe soit suffisamment ambitieuse dans sa diplomatie féministe ?
Pendant de nombreuses années, l’Europe a joué un rôle actif et de chef de file dans l’adoption d’engagements, de traités internationaux et de résolutions des Nations Unies pour protéger les droits des femmes et promouvoir l’égalité des sexes. Aussi bien sur le plan international que sur le plan national dans les pays du continent.
En plus de cette diplomatie active, l’Europe a également pris des mesures pour faire progresser l’égalité des sexes en fournissant un soutien financier et politique aux organisations de la société civile et aux gouvernements du monde entier. La Commission européenne et les différents pays européens sont des alliés solides d’ONU Femmes depuis sa création et sont des partenaires solides du FGE.
Chloé Cohen 50-50 magazine