Articles récents \ Île de France \ Société Zahra Agsous : « Certaines femmes préfèrent être à la rue plutôt que de retourner chez elles »

La Maison des Femmes de Paris (MDF), située dans le 12e arrondissement, est un espace unique, ouvert à toutes les femmes, qui propose de les accueillir et de les orienter quels que soient leurs besoins. Pendant le confinement, le travail des salarié·es a dû être repensé dans son intégralité, tandis que les violences sexistes et la précarité se sont accentuées. Pour Zahra Agsous, Chargée de mission pour l’action contre les violences masculines faites aux femmes et aux mineures à la MDF de Paris, la coopération de l’ensemble des actrices/acteurs de la solidarité féministe a été vitale. Elle regrette que le gouvernement n’ait pas pris ses responsabilités et ait refusé de statuer sur des questions cruciales comme la question de l’hébergement d’urgence.

En quoi consiste le travail de l’équipe de la Maison des Femmes de Paris ?

La Maison des Femmes (MDF) de Paris est une association féministe créée en 1981. Elle a été initiée par des militantes féministes qui ont d’abord voulu créer un espace de discussions et de solidarité, qui s’est ensuite ouvert à toutes les femmes. La MDF est un espace non-mixte : il s’agit d’écouter, d’orienter et d’aider les femmes, notamment sur les questions de l’accès aux droits, à la contraception, à l’avortement, etc. Aujourd’hui, plus de la moitié des femmes qui viennent nous voir ont connaissance de notre travail via internet. Il y a plusieurs autres Maisons des Femmes qui ont vu le jour partout en France.

En quoi la Maison des Femmes est-elle une structure si particulière ?

Nous fonctionnons sur un principe d’accueil sans rendez-vous : les femmes se présentent et nous recueillons leurs histoires et leurs demandes. Nous essayons ensuite de les diriger vers des structures qui peuvent les aider, vers des programmes qui peuvent répondre à leurs attentes. Nous menons des actions collectives comme des ateliers, des rencontres ou des groupes de parole. Il est crucial pour nous de garantir un accès aux droits pour des femmes parfois en grande détresse et de ne pas les laisser seules. Avec l’épidémie de Covid-19, nous avons décidé d’ouvrir une permanence téléphonique effective 7 jours sur 7, afin de pouvoir aider au plus vite les femmes dans le besoin.

Quels nouveaux défis avez-vous dû affronter pendant la crise sanitaire ? Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

Les groupes de parole qui étaient prévus avant le confinement ont dû être annulés. Nous avons dû nous réinventer : l’épidémie a surpris tout le monde, l’ensemble du tissu associatif engagé dans la solidarité féministe a été impacté. Malheureusement, les violences conjugales et la précarité ne s’arrêtent pas en période de crise, bien au contraire. Face à ce constat alarmant, nous avons décidé, en plus de la permanence téléphonique, de continuer à nous battre pour subvenir aux besoins de base des femmes que nous accompagnons. Certaines se sont retrouvées à la rue avec leurs enfants, fuyant leur conjoint violent, d’autres n’avaient aucune source de revenu et donc aucun moyen de se nourrir. Nous avons aussi mis en place une aide alimentaire d’urgence. Ne pas laisser ces femmes seules et isolées était une priorité ; nous ne sommes pas la seule association à avoir pu s’organiser pour maintenir un lien avec les femmes. Je vais citer la Maison des Femmes de Montreuil ou Féminité Sans Abri à Paris.

Craignez-vous que les fonds versés à la Maison des Femmes (publics et privés) soient revus à la baisse face à la crise économique qui s’annonce ?

Nous faisons face à des problématiques importantes concernant le financement des salarié·es et le paiement des charges, entre autres. Nous avons rapidement contacté nos bailleurs, et nous avons pu compter sur le soutien du Fonds pour les Femmes en Méditerranée et de la Fondation des Femmes. Grâce à ces aides, nous avons pu continuer notre veille, acheter du matériel (téléphones, ordinateurs) pour le télétravail et maintenir notre soutien aux femmes.

Quel est votre ressenti face à la politique gouvernementale en termes de protection et d’accompagnement des victimes, de sensibilisation aux violences, etc. ? 

Nous ne sommes et ne serons pas satisfait·es tant que le gouvernement ne prendra pas ses responsabilités vis-à-vis de la situation des femmes victimes de violences et des femmes dans la précarité. Il faut bien comprendre que c’est la mobilisation de l’ensemble des mouvements féministes qui a permis d’obtenir les mesures de protection des femmes pendant le confinement. Il en va de même pour l’accès d’urgence à l’avortement et aux moyens de contraception. Il a, par exemple, fallu se mobiliser face à la fermeture des services de certains hôpitaux. L’accès aux droits pour les femmes, notamment celles en situation de précarité, était loin d’être une priorité; sans interpellation du gouvernement par les féministes, rien n’aurait été fait. Il faut reconnaître que des dispositifs ont été mis en place, comme le 3919 qui s’est réorganisé très vite, le numéro Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95 ou le 114 pour les personnes sourdes et malentendantes. Néanmoins, il est important de rappeler qu’à la Maison des Femmes de Paris, nous avions déjà mis en place une permanence juridique et sociale pour les femmes sourdes et malentendantes. Ce qui est donc présenté comme novateur est en fait en vigueur depuis longtemps, mais inconnu du grand public. Même si cela part d’une bonne intention, les critères mis en place pour certains dispositifs d’aide, ou encore les conditions d’utilisation de certains outils restent obscurs et difficiles d’accès. Plus encore que des belles paroles, nous voulons des actes concrets qui entraînent des sanctions judiciaires pour les agresseurs. Nous n’avons de cesse de répéter que le budget alloué à la protection des victimes doit être augmenté ; pour ne donner qu’un exemple, on ne nous donne même pas d’affiches mais des fichiers numériques à imprimer avec des fonds que nous n’avons pas. Par ailleurs, nous répétons que la question de l’accès au logement d’urgence pour les femmes en situation de précarité est primordiale si nous voulons faire face à la vague de violences sexistes en France. Certaines femmes préfèrent être à la rue plutôt que de retourner chez elles. Comment expliquer qu’en France, ces femmes doivent choisir entre deux violences ? Aucune n’est acceptable ni justifiable. Nous réclamons aussi un traitement équitable et systématique des plaintes pour violences, qu’elles soient maritales ou non. Nous attendons des actions concrètes, pas de simples mots ou des cas malheureusement rarissimes d’agresseurs condamnés par la justice relayés dans les médias.

Croyez-vous que le nouveau gouvernement fera mieux que l’ancien ?

Macron a montré une fois encore son mépris envers le féminisme en général et surtout envers l’ensemble des femmes victimes de violences. Il a nommé Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur, donc chef de la police, avec les plaintes dont il fait l’objet, un ministre de la Justice qui a à plusieurs reprises attaqué les féministes pour les besoin de ses plaidoiries, une ministre aux Droits des femmes qui ne connaît rien à ces problématiques, et enfin Marlène Schiappa ministre déléguée chargée de la citoyenneté comme caution ! C’est de la politique antiféministe, anti-femmes, anti-droits des femmes. Nous luttons au quotidien pour améliorer nos droits, et on ne voit là qu’un recul. Rappelons que le féminisme n’a jamais tué personne, mais que le machisme tue tous les jours (1). Malgré cela, nous résistons et continuerons de résister.

Avez-vous dû faire face à plus de violences que d’habitude à votre encontre ?

Nous sommes formé·es pour faire face à de potentielles agressions, par exemple quand un conjoint cherche à rentrer à la MDF de Paris pour retrouver sa femme. Nous n’avons pas constaté une hausse des violences à notre encontre, mais certaines “associations” ont pu profiter du confinement pour étendre leur influence. A titre d’exemple, une vidéo tournée par une militante féministe dénonce le discours du site ivg.org, avec des paroles culpabilisantes voire des menaces envers des femmes en grande détresse. Nous savons que ces gens vont parfois jusqu’au harcèlement des femmes qui les appellent, il est donc important de rester vigilant·es et à l’écoute.

Que pensez-vous de l’élection d’Emmanuelle Pierre-Marie (EELV) à la mairie du 12e arrondissement de Paris ?  

Nous la connaissions déjà comme élue de Paris déléguée à l’égalité femmes/hommes. Sur une note personnelle, je suis heureuse d’apprendre qu’une femme féministe soit à la tête du 12e arrondissement. Mme Pierre-Marie a toujours été à l’écoute de nos problématiques et nous a soutenu·es plusieurs fois. Je lui souhaite de continuer son engagement auprès des associations féministes, et nous verrons ce qui en résultera.

Propos recueillis par Perrine Arbitre, 50-50 magazine

(1) Citation de l’autrice et journaliste féministe Benoîte Groult (1920-2016)

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