Articles récents \ Monde Sophie Duval : « il faut débloquer des fonds pour les associations féministes »
Sophie Duval est chargée de plaidoyer pour la commission genre et développement de Coordination SUD. Au cœur de ses missions et préoccupations : faire en sorte que les problématiques liées au genre soient mises sur le devant de la scène diplomatique, et influencer, à travers les ONG de son réseau, la politique française de coopération internationale sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Lors du Forum Génération Egalité (FGE), repoussé en 2021, Coordination SUD espère que le gouvernement sera largement impliqué.
Comment analysez-vous les enjeux liés au genre aujourd’hui ?
En 25 ans, depuis Pékin, nous avons fait des progrès concernant les droits des femmes et des filles, avec la Convention d’Istanbul par exemple. Les questions de genre sont au centre de la société. Mais il y a une persistance de systèmes sociaux discriminatoires. À l’échelle mondiale, 12 millions de filles sont mariées de force chaque année, 1 fille sur 4 ne reçoit pas d’éducation. Malgré des lois qui sont plus progressistes, il y a une persistance des systèmes de domination basés sur le genre. Certains Etats européens, comme la Pologne, adoptent même des lois régressives (sur l’avortement par exemple). Ces dernières années, la montée en puissance du conservatisme remet aussi en cause de nombreuses avancées. C’est préoccupant. Mais la mobilisation sociale est aussi très forte, la nouvelle vague de féministes lutte avec force contre les violences faites aux femmes dans l’espace public. C’est assez paradoxal mais aussi stimulant.
Qu’attendez-vous du FGE ?
Déjà, nous soutenons la position adoptée de ne pas rouvrir les négociations, de peur de revenir en arrière par rapport aux acquis sociaux obtenus à Pékin en 1995. Nous souhaitons qu’il y ait de réelles avancées sur les points précis des six Coalitions d’action, et que la société civile soit associée aux politiques publiques mises en place par les Etats. Nous aimerions obtenir un socle commun d’engagement politique sur toutes les problématiques soulevées par les Coalitions. L’autre volet sur lequel il nous semble important d’insister c’est le volet financier. L’argent c’est le nerf de la lutte, et nous avons besoin d’investissements financiers suffisants pour faire vivre ces Coalitions.
Quels sont les risques de ce Forum ?
Notre inquiétude, c’est de voir ce Forum se transformer en une simple célébration du féminisme entre Etats. Ce Forum veut déterminer les champions de l’égalité de genre, mais c’est assez contradictoire car aucun Etat ne peut se revendiquer d’être égalitaire à 100%.
On pense que le Forum peut être un moment important pour le gouvernement français. Emmanuel Macron a voulu faire de l’égalité femmes/hommes une grande cause de son quinquennat, avec une diplomatie féministe. Mais les financements pour y parvenir ne sont pas suffisants. Selon les chiffres de l’OCDE, le Canada et la Suède, initiateurs de cette diplomatie féministe, dépensent environ 85% de l’aide publique au développement à des programmes de lutte pour l’égalité de genre. En 2018, la France avait comme objectif de dépenser 50% de l’aide publique au développement (APD) à des programmes de lutte pour l’égalité de genre. Entre 2013 et 2017, notre pays avait le même objectif. Pour nous c’est clairement insuffisant ! Aujourd’hui la France consacre seulement 20% de l’APD à des programmes destinés à promouvoir l’égalité entre les sexes. Ce Forum c’est l’occasion pour la France de présenter des objectifs plus ambitieux.
Comment comptez-vous vous engager sur ce FGE concrètement ?
Nous comptons lister toutes les ONG partenaires pour voir sur quelles Coalitions d’action nous pourrions nous engager. Par exemple, sur « l’autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle », les associations Equipop, le Planning Familial et Médecins du Monde sont très mobilisées. Sur « Justice et droits économiques », nous avons plusieurs organisations qui travaillent sur l’accès à la propriété foncière de communautés de femmes dans les pays du Sud.
La France a fait le choix d’une diplomatie féministe, donc cet événement c’est l’occasion pour nous d’exiger un engagement plus fort de la part du gouvernement français. Il faut être ambitieuses/ambitieux maintenant, c’est indispensable. Et il faut débloquer des fonds pour les associations féministes, c’est primordial de soutenir les militantes.
Le FGE affiche de nombreuses ambitions sur le papier, mais comment allez-vous vérifier que les objectifs annoncés seront atteints ?
Pour les Coalitions d’action il y a une feuille de route à 5 ans. Nous aimerions qu’il y ait une évaluation tous les ans. Nous avons 10 ans avant la fin des Objectifs de Développement Durable (ODD) et dans les ODD, il y a un volet sur l’égalité entre les sexes. C’est important d’avoir une évaluation annuelle pour constater les progrès ou non de cet objectif.
Pensez-vous que le temps supplémentaire pour organiser le FGE pourra être mis à contribution de façon positive ?
Le temps supplémentaire nous permettra, je l’espère, d’engager plus d’actrices et acteurs sur cet événement. La France et le Mexique avaient limité la participation de la société civile à 5000 places, et pour nous c’est insuffisant. J’espère que nous pourrons les convaincre d’augmenter le nombre de places. Nous devons aussi faire en sorte que le lieu soit accessible aux personnes handicapées, et que les organisations et militantes soient représentées dans toute leur diversité.
Propos recueillis par Chloé Cohen, 50-50 magazine