Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Évaluation interministérielle de la loi du 13 avril 2016 sur la prostitution
Le 22 juin, les inspections générales de l’administration (IGA), de la justice (IGJ) et des Affaires sociales (IGAS) ont publié le rapport d’évaluation interministérielle de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Le Mouvement du Nid, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), Osez le féminisme !, la Fondation Scelles, ainsi que l’Amicale du Nid s’expriment sur ce rapport.
Le Mouvement du Nid a étudié le rapport d’évaluation des trois inspections et salue leurs 28 recommandations pour une mise en œuvre accélérée et plus ambitieuse de la loi de lutte contre le système prostitutionnel et d’accompagnement des personnes prostituées.
En tant que l’une des premières associations françaises de soutien aux personnes prostituées par sa présence sur le territoire (27 départements) et par le nombre de personnes rencontrées chaque année (5000), le Mouvement du Nid tient à saluer la qualité du rapport interministériel d’évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Vivement attendu, ce rapport fouillé et technique, de 238 pages et 28 recommandations, basé sur près de 300 entretiens et les retours de questionnaires adressés notamment aux préfets, parquets et ARS, et co-signé par trois inspections (l’Inspection Générale de l’Administration, l’Inspection Générale de la Justice et l’Inspection Générale des Affaires sociales) conforte très largement l’analyse et les recommandations des associations de terrain engagées au quotidien auprès des personnes prostituées, y compris dans le cadre des parcours de sortie de la prostitution.
Les enseignements que nous retirons de ce rapport
- L’évaluation inter-inspections montre à nouveau combien la loi d’avril 2016 est une loi cadre abolitionniste ambitieuse et cohérente, qui refond l’ensemble des politiques publiques en matière de prostitution, de proxénétisme et de traite des êtres humains. Les préfets, interrogés, le confirment.
- Les nouvelles dispositions protectrices de la loi sont saluées par les acteurs en charge de sa mise en œuvre (préfets, parquets, délégué·es aux droits des femmes) et ce, alors que la loi est très loin d’être mise en œuvre autant qu’elle pourrait l’être !
- Elle a cependant produit des résultats chiffrés tout à fait significatifs :
Hausse de 54 % des procédures pour proxénétisme et lutte contre la traite des êtres humains ;
Multiplication par 7 des indemnisations des victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains ; 395 personnes (chiffre de juin 2020) ont bénéficié d’un parcours de sortie de la prostitution, ouvrant le droit à un titre de séjour, un accès prioritaire au logement et à une aide financière ; près de 5000 clients de la prostitution ont été interpellés depuis l’adoption de la loi ; la loi a aussi permis de réattribuer 2,35 millions d’euros de fonds proxénètes saisis à l’accompagnement des personnes prostituées. - Le rapport des trois inspections met en avant que cette loi implique un pilotage et un portage interministériel renforcés: le Premier ministre, les ministères de l’Intérieur et de la Justice doivent s’engager davantage. Le ministère de l’égalité femmes-hommes doit être davantage soutenu dans son travail sur cette loi, y compris en termes de moyens.
- Une grande part de l’intérêt de l’étude réside dans le retour des préfets. Ils voudraient mettre en œuvre la loi mais constatent un manque de moyens, et un manque de souplesse sur les titres de séjour.
- L’évaluation souligne aussi à juste titre le grand tournant de 2016 avec l’abrogation du délit de racolage et l’inversion de la charge pénale vers les « clients » prostitueurs, mais aussi la réaffirmation du statut de victimes de violences. La politique pénale s’est durcie en conséquence et le nombre de personnes poursuivies a augmenté. Mais la Justice doit faire beaucoup plus pour utiliser toutes les dispositions protectrices de la loi autour du statut de victime et de témoin. Enfin, l’évaluation dénonce le maintien d’arrêtés municipaux à l’encontre de personnes prostituées, qui sont « contraires à l’esprit de la loi ».
- Les trois inspections générales s’inquiètent de l’augmentation continue de la prostitution des mineur·es. Bien que la loi s’applique tout autant à la prostitution des majeur·es qu’à celle des mineur·es, leur évaluation confirme la nécessité d’une véritable stratégie interministérielle en la matière.
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Le HCE salue l’évaluation de la loi du 13 avril 2016 et appelle à donner sa pleine mesure à la politique abolitionniste de la France
Le HCE, mobilisé, depuis sa création, en faveur de l’abolition du système prostitutionnel, se félicite des conclusions de l’évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, menée par les inspections générales de l’administration (IGA), de la justice (IGJ) et des Affaires sociales (IGAS).
La mission met en évidence la montée en charge des dispositifs prévus par la loi, à la fois dans son volet d’accompagnement des personnes en situation de prostitution et dans son volet répressif en direction de l’achat d’actes sexuels et du proxénétisme et de la traite des êtres humains :
- en quatre ans, « la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle enregistre des résultats en hausse », le nombre d’enquêtes pénales menées en France sur ces sujets ayant augmenté de 54% en quatre ans. Mais la mission souligne que les moyens à la disposition des services enquêteurs ne sont pas encore « à la hauteur » du phénomène.
- Depuis la mise en œuvre de la loi, près de 5000 « clients » de la prostitution ont été interpellés : 799 en 2016, à 2072 en 2017 et 1 939 en 2018. La mission souligne toutefois que cette politique est inégalement mise en œuvre sur le territoire.
- En juin 2019, environ 230 personnes en prostitution bénéficiaient d’un parcours de la sortie de la prostitution, ce chiffre est passé à 395 en juin 2020 d’après le SDFE. Ces chiffres, en augmentation constante, sont encore faibles comme le souligne le rapport, et ce alors même que les préfet·es interrogé·es dans le rapport estiment, dans leur très grande majorité, que ce dispositif est efficace.
Au global, la loi du 13 avril 2016 fonctionne dès lors qu’elle est appliquée, et doit bénéficier de moyens renforcés pour permettre sa pleine mise en œuvre.
La mission rappelle que la loi de 2016 a réaffirmé l’engagement abolitionniste de la France, avec pour objectif de « traiter le système prostitutionnel dans sa globalité ». Pour produire les pleins effets de cette politique ambitieuse, le HCE appelle à un engagement renforcé de la part de l’ensemble des ministères chargés de sa mise en œuvre.
Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes
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Osez le Féminisme ! salue la grande qualité du rapport interministériel d’évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel. Il confirme ce que les associations féministes disent depuis longtemps : la loi abolitionniste de 2016 est une loi cadre complète et ambitieuse qui fonctionne quand elle est appliquée. En particulier, elle permet de lutter efficacement contre les violences prostitutionnelles : + 54 % de procédures pour proxénétisme et traite des être humain·es. Le rapport souligne cependant qu’un “engagement volontariste des pouvoirs publics” est plus que nécessaire, notamment plus de moyens financiers pour accompagner les personnes prostituées.
Lundi 22 juin, a paru l’évaluation interministérielle de la loi du 13 avril 2016 sur la prostitution, signée par trois inspections : Inspection Générale de l’Administration, Inspection générale de la Justice et Inspection Générale des Affaires Sociales. Basé sur 300 entretiens et sur les questionnaires adressés aux préfet·e·s, parquets et ARS ; le rapport réaffirme le caractère ambitieux et transversal de la loi : renforcement de la lutte contre le proxénétisme; accompagnement des personnes prostituées, enfin considérées comme victimes, et pénalisation des “clients” prostitueurs; prévention des IST et risques sanitaires, sociaux et psychologiques; et sensibilisation aux dangers de la marchandisation des femmes.
Les chiffres de la mission d’évaluation confortent les analyses de longue date des associations féministes abolitionnistes : la loi est efficace quand elle est appliquée, mais la mise en oeuvre est très inégale sur le territoire et les moyens nécessitent d’être fortement augmentés
–Lutte contre le proxénétisme : En 4 ans, hausse de 54 % des procédures pénales pour proxénétisme et traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et multiplication par 7 des indemnisations des victimes du proxénétisme et de la traite. Grâce à la loi, 2,35 millions d’euros de fonds proxénètes saisis ont été réalloués à l’accompagnement des personnes prostituées.
–73 % des préfet·es ont souligné que le parcours de sortie de la prostitution était efficace, mais en nombre insuffisant, seules 395 personnes en ont bénéficié. En effet, celui-ci nécessite un accompagnement social important, or, les moyens des associations d’accompagnement comme ceux alloués aux délégations départementales aux droits des femmes n’ont pas augmenté depuis 2016. De plus, l’autorisation provisoire de séjour de 6 mois est trop courte et le montant de l’allocation (330E) est trop faible.
–5000 “clients” prostitueurs ont été interpellés, malheureusement cette mesure est très inégalement appliquée, ainsi 50% des verbalisations concernent Paris. De plus les arrêtés municipaux contre les personnes prostituées sont à proscrire, allant à l’encontre de l’esprit de la loi qui rétablit justement la charge de la responsabilité sur le “client” prostitueur et décriminalise complètement les personnes prostituées.
–90 % des préfèt·es jugent utile la commission départementale prévue par la loi. Celle-ci améliore la connaissance mutuelle des acteurs et la compréhension des mécanismes de violences du système prostitueur.
–40 000 personnes sont en situation de prostitution en France : 85 % sont des femmes et 85 % sont des étrangères. Ce chiffre est stable et à comparer avec celui de l’Allemagne (400 000 personnes prostituées !) qui a explosé depuis la légalisation des bordels en 2002. Toutefois, la prostitution des mineur·es est en hausse et la lutte contre cette pédocriminalité nécessite des actions et moyens spécifiques.
La mission formule 28 recommandations et réclame un “portage interministériel” et “un engagement volontariste des pouvoirs publics” pour un pilotage de la loi renforcé.
Osez le Féminisme ! ne peut qu’appuyer ces 28 recommandations : davantage de moyens et plus de volonté politique pour lutter contre les violences prostitutionnelles !
Nous demandons un renforcement de la lutte contre le cyber-proxénétisme, et les réseaux criminels de proxénètes transnationaux. Nous demandons un renforcement de la lutte contre la prostitution des mineur·es. Les “clients” prostitueurs doivent être rendus responsables de leurs actes pédocriminels (5 ans de prison selon la loi) et les mineur·e·s vulnérables protégé·es.
Nous demandons aussi plus de moyens pour l’application de cette loi d’une manière homogène sur le territoire français, ainsi que l’allongement de la durée de l’autorisation provisoire de séjour, et l’augmentation du montant de l’allocation financière des parcours de sortie.
C’est urgent ! Avec les personnes prostituées, contre le système prostitueur !
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La mission d’évaluation interministérielle de la Loi du 13 avril 2016 réclame une impulsion politique, des moyens humains et financiers pour lever les blocages et répondre aux défis.
Le Rapport Interministériel d’évaluation de la loi du 13 Avril 2016 était très attendu du milieu abolitionniste comme des opposants à la loi, qui fait encore aujourd’hui l’objet d’attaques régulières (la dernière en date étant le dépôt d’un recours devant la CEDH en Avril 2020).
Ce rapport est le résultat de neuf mois d’enquête ponctués de déplacements, de plus de 200 personnes rencontrées, et d’une série de questionnaires adressés aux parquets, préfets, et Agences Régionales de Santé, menés par trois Inspections : l’Inspection générale des Affaires Sociales, l’Inspection Générale de l’Administration et l’Inspection Générale de la Justice.
Il dresse un état des lieux précis de la mise en œuvre de la loi, une analyse des points de blocage et des facteurs favorisants, et propose 28 recommandations pour étendre et optimiser l’application de tous les volets du texte sur l’ensemble du territoire national.
Le rapport souligne les progrès accomplis :
- +54 % des procédures pénales pour proxénétisme et traite des êtres humain·es
- Multiplication par 7 des victimes identifiées de traite des êtres humain·es
- 395 parcours de sortie de la prostitution depuis 2016
- 90 % des préfets interrogés jugent les commissions départementales de lutte contre la prostitution utiles (page 118)
- près de 5000 « clients » de la prostitution interpellés (799 en 2016, 2072 en 2017, 1939 en 2018)
Ces résultats montrent une nouvelle fois que, lorsque la loi est intégralement appliquée, elle fonctionne. Pour autant, sa mise en œuvre demeure inégale et hétérogène. Dès octobre 2019, les conclusions de l’étude d’évaluation locale de la mise en œuvre de la loi dans 4 villes et cofinancée par la Fondation Scelles et la DGCS, appelaient déjà à une application complète de la loi sur l’ensemble du territoire et soumettaient 9 recommandations que l’on retrouve peu ou prou dans les 28 émises dans ce rapport.
La Fondation Scelles, déjà engagée dans la mise en application de certaines recommandations citées ci-dessous, sera particulièrement attentive sur les sujets suivants :
Recommandation N°5 « Elaborer un tableau de bord et des indicateurs de suivi de la loi du 13 avril 2016 concernant tant les moyens mis en œuvre que les résultats obtenus ».
L’expérience montre que sans une évaluation régulière de la mise en œuvre des recommandations et sans volonté des services publics de les appliquer la situation ne changera pas. L’adhésion de la société à cette loi ne se fera que si les résultats obtenus montrent l’efficacité du dispositif.
Recommandation N°7 « Renforcer les moyens affectés aux services de police et de gendarmerie en matière de cyberproxénétisme et accroître le nombre des habilitations spéciales des officiers et agents de police judiciaire pour procéder à des enquêtes sous pseudonyme prévues par l’article 230-46 du code de procédure pénale ».
L’ampleur prise par la prostitution sur internet dépasse aujourd’hui la capacité de réponse de l’État (Police et Justice). Pour autant, l’expérience nous montre que localement, comme dans le Val-d’Oise, lorsque les services d’enquêtes, le Parquet et les associations sont mobilisés, la mise en œuvre de la loi fonctionne : réseaux de proxénétisme oeuvrant sur internet démantelés, « clients » sollicitant des personnes en situation de prostitution via des sites internet interpellés… Il n’y aura pas de diminution de la prostitution sans une lutte contre la demande à la hauteur des défis posés par l’utilisation massive des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Recommandation N°9 « Installer le groupe de travail interministériel, prévu par le 5ème plan de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, chargé d’identifier les moyens et modalités d’actions de lutte contre le cyberproxénétisme ».
La loi doit permettre aujourd’hui d’engager des poursuites pour proxénétisme ou de faire fermer les sites favorisant la prostitution en ligne. La responsabilisation des acteurs du numérique quant à l’utilisation qui est faite de leurs plateformes doit permettre de lutter plus efficacement contre le cyberproxénétisme.
Recommandation N°11 « Améliorer l’offre de stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels sur l’ensemble du territoire et en assurer l’harmonisation par un pilotage par les chefs de cour d’appel ».
Forte de son expérience dans la création du contenu et la co-animation des stages de sensibilisation à Paris et à Pontoise aux côtés de ses partenaires (APCARS et ARS95), la Fondation Scelles recommande la systématisation de l’implication des survivantes de la prostitution (vidéos et/ou en présentiel) et de la présence de la gendarmerie ou de la police dans cette journée de formation. Leur présence apparait déterminante dans la prise de conscience de la violence prostitutionnelle et la dissuasion de la récidive.
Recommandation N°13 « Achever le déploiement du dispositif d’évaluation personnalisée des victimes prévu par l’article 10-5 du code de procédure pénale et recourir systématiquement à l’évaluation approfondie de la situation des victimes d’exploitation sexuelle ».
C’est une étape indispensable pour que les victimes puissent être indemnisées lors des procès et les proxénètes condamnés en fonction de leurs actes. La Fondation Scelles se félicite de la tendance à l’augmentation des peines des auteurs (constatée depuis la mise en œuvre de la loi) et des progrès réalisés, mais encore insuffisants, en matière de saisie des avoirs criminels.
Recommandation N°2 « Organiser des campagnes gouvernementales d’information sur le contenu de la loi et en assurer la diffusion sur les sites destinés au grand public, en portant une attention particulière aux mineurs et aux étudiants ».
L’expérience des opérations de sensibilisation menées par la Fondation montre que cette mesure est primordiale pour la réalisation d’un vrai projet de société fondé sur l’égalité entre les femmes et les hommes. La prise de conscience dans l’opinion publique et chez les jeunes en particulier de la non marchandisation du corps et des conséquences de la prostitution est nécessaire à un changement durable et à une adhésion bien fondée à cette loi.
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L’Amicale du Nid salue l’évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées par les trois Inspections Générales des Affaires Sociales, de l’Administration et de la Justice.
Ce document vient d’être rendu public, nous en rejoignons l’analyse et souhaitons vivement que les recommandations formulées soient prises en compte dans toutes leurs dimensions.