Articles récents \ France \ Société Femmes en prison : la double peine

En janvier 2020, les prisons françaises comptaient 2532 détenues pour une population carcérale de 70 878 personnes, selon les chiffres donnés par l’Observatoire International des Prisons. Le chiffre est constant depuis 20 ans. Cela représente environ de 3,8% de la population carcérale. Seules deux prisons spécifiques pour les femmes existent, elles sont situées à Rennes et Versailles. Sinon, les femmes sont reléguées aux confins des prisons, dans des enclaves au sein des centres de détention majoritairement occupés par des hommes.

Les femmes souffrent de l’éloignement géographique de la prison par rapport à leur lieu d’habitation, ce qui complique les visites au parloir. D’autant plus pendant la période de confinement et de restriction de déplacement à moins de 100 kilomètres dans le contexte de crise sanitaire lié au coronavirus. Elles souffrent d’isolement, étant parfois incarcérées dans des quartiers de femmes comptant seulement trois places. Les raisons de leur isolement sont, entre autres, liées au principe de non-mixité en milieu carcéral. Hommes et femmes ne doivent pas se croiser, les femmes doivent être encadrées par des surveillantes. Comme elles ont l’obligation de rester entre elles, elles ont peu d’accès au travail en prison, peu d’activités, peu de formations et peu d’ateliers. Par exemple, à la prison de Bapaume dans les Hauts de France, il y avait en 2011 six ateliers pour les hommes et un seul pour les femmes. Il s’agissait d’un atelier de conditionnement de jouets. En 2018, cet atelier fut remplacé par un atelier de conditionnement de cornets de glaces. Les activités sont non seulement insuffisantes mais également fortement genrées parfois jusqu’à la caricature.

Il en va de même pour l’enseignement : quatre jours de cours hebdomadaires sont proposés aux hommes contre un seul jour au bénéfice des femmes.

L’accès à la bibliothèque se limite à une demi-journée par semaine. Si les cours et les ateliers sont planifiés le même jour, les détenues se voient obligées de procéder à un choix exclusif.

Selon le code, la direction de la prison peut établir la mixité mais dans les faits quasiment aucune prison ne la met en place. Un amendement avait été déposé pour faire exister la mixité dans les activités afin d’éviter les sorties sèches, l’isolement et le désœuvrement en détention mais l’amendement a été retiré du Projet de Loi justice. Seul le Centre national d’enseignement à distance (CNED) est très « présent » et une université, Paris Diderot, propose un enseignement universitaire aux étudiant·es empêché·es mais il n’y a pas d’accès internet en prison pour les détenues. Cela limite donc encore une fois les possibilités de mettre à profit le temps de détention de manière constructive.

Le Corps et la santé des femmes détenues

Selon les expertes, Juliette Chapelle, avocate pénaliste, Adeline Hazan, magistrate, Giorgia Tiscini, maître de conférence en psychopathologie, il est établi que les femmes supportent encore plus mal la détention que les hommes. En effet, il est encore plus infamant pour une femme d’être incarcérée car, dans les stéréotypes toujours présents dans notre société, la femme est envisagée comme devant être douce et protectrice. Le sentiment de culpabilité est fort chez de nombreuses femmes détenues.

L’incarcération génère des pathologies physiologiques et psychiques qui leur sont propres, comme des problème de fertilité pour les femmes en détention longue qui ne peuvent plus avoir d’enfant à leur sortie. La prison peut priver une femme de maternité.

Les femmes enceintes ou mères de tout petits enfants ont besoin d’un suivi gynécologique dont elles ne bénéficient pas toujours. Les femmes qui accouchent durant leur détention peuvent garder leur enfant jusqu’à l’âge de 18 mois, après les pédopsychiatres considèrent que l’enfant réalise qu’il est enfermé. L’enfant est ensuite confié au père, à la famille ou à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Normalement, les mères avec enfant bénéficient d’une cellule plus grande et d’un accès à un « espace herbeux » en réalité jonché de détritus, de mégots et de rats. Notons que depuis 2009, les femmes doivent pouvoir être examinées et accoucher sans entraves ni escorte dans la salle d’examen ou d’accouchement.

Concernant les soins, les règles juridiques ne s’appliquent pas toujours dans la mesure où il y a parfois des ruptures dans la chaîne de soins alors qu’ils devaient se poursuivre avec la même qualité qu’à l’extérieur. Il y a des jours et heures spécifiques pour accéder aux soins et souvent pas assez de médecins.

Il y a peu ou pas de prise en charge psychologique sauf à Fleury, où existe une unité hospitalière spécifique de 60 places pour des milliers de détenu·es. En cas de besoin de consultation, il faut emmener les détenues à l’hôpital sous escorte.

Les femmes sont la plupart du temps privées de leur féminité : elles ne peuvent plus être comme avant. Elles doivent cantiner pour avoir des protections hygiéniques, du maquillage. Cela contribue à la dégradation de leur amour-propre. Elles considèrent qu’elles ne sont plus rien quand certains détenus se vantent de leur passage en prison qu’ils érigent comme un trophée.

Violences agies, violences subies

L’Observatoire international des prisons (OIP) a mené une grande enquête auprès des femmes détenues. Elle a été publiée dans le trimestriel Dedans-dehors de décembre 2019. L’OIP reçoit environ 5000 lettres de détenu·es pas an. Les lettres des femmes dénoncent les pressions dont elles sont victimes et qui visent à dégrader leur féminité : insultes, brimades … elles sont soupçonnées de chercher à séduire, tenter les surveillants, les autres détenus et sont donc confinées à la non-mixité. On les nie et on les rend invisibles. Les femmes font l’objet d’une construction sociale autour de la honte.

La justice contribue à genrer les détenu·es. Les femmes ont plus souvent que les hommes des condamnations pécuniaires et d’un montant plus élevé. Elles ont des peines moins longues. Une femme à 30% de risque en moins d’être incarcérée. Les passages à l’acte sont souvent moins violents. Le monde carcéral n’est donc pas du tout adapté aux femmes. Le taux de suicide et d’automutilation est plus élevé chez les détenues. Elles sont moins nombreuses que les hommes à demander des aménagements de peine. Elles se sentent moins légitimes à le demander.

Les chantiers sont ouverts et nombreux pour œuvrer à l’amélioration des conditions de détentions des femmes dans le respect des droits humains et de la dignité.

Sophie Courtois, 50-50 Magazine 

Photo de Une : Prison Jacques Cartier de Rennes, couloir intérieur.

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