Articles récents \ Île de France \ Société Priscillia : « Je pense que nous allons être plus nombreuses/nombreux à utiliser des outils numériques en classe »
Priscillia est une jeune professeure des écoles d’Ile-de-France. Elle enseigne depuis trois ans dans trois établissements différents, une situation déjà compliquée. Elle a vécu, comme tout·es ses collègues, le confinement, le déconfinement et, à partir de lundi prochain, le retour en classe de tout·es les élèves. Un parcours compliqué pour une jeune professeure qui arrive cependant à relativiser et à en tirer des enseignements positifs.
Comment s’est passé le confinement pour vous ?
Pour être honnête, je m’y suis habituée rapidement. Mais il est vrai qu’au début, cela a été compliqué. Je dois, tout au long de l’année, gérer trois classes, avec trois manières différentes de travailler. Pendant le confinement, une classe travaillait à travers un blog que nous avions mis en place, une autre a fait la tentative du blog mais a finalement décidé de passer par les mails, et la troisième a toujours suivi les cours par mail. Il a donc tout d’abord fallu s’adapter à ce nouveau fonctionnement.
Il a aussi fallu répondre aux très nombreux messages des parents, ce qui n’est pas le cas en temps normal. Cela prend du temps. C’était en moyenne cinq à six échanges par élève pour donner les informations demandées. Ce sont des choses que nous ne ne faisions pas du tout avant, et que nous faisons encore régulièrement aujourd’hui. Je ne dirais pas que c’est un boulot en plus, mais que c’est plutôt une manière différente de travailler. Échanger avec un parent ou deux, cela arrive durant la journée typique de travail mais là, il y avait vraiment beaucoup plus de parents avec qui nous étions en contact très régulièrement.
Ce qui était très bien, nous en discutions d’ailleurs hier avec des collègues, c’est que nous avons pu nous concentrer sur la pédagogie et non sur la gestion de la classe. Nous avons vraiment pu nous concentrer sur la manière d’enseigner ! Comme nous enseignons à distance, nous sommes allé·es chercher beaucoup de nouvelles ressources qui nous permettent de bien préparer les cours.
Je n’avais donc pas à dépenser mon énergie face aux élèves. L’enseignement est tellement différent lorsque nous sommes à distance des élèves. Par exemple, lorsque nous donnons un cours d’histoire sur la Première Guerre mondiale, en face à face, nous pouvons captiver les élèves avec des moments forts d’histoire, mais ce n’est pas possible si nous leur donnons juste des textes à lire chez elles/eux. Il fallait donc arriver à leur expliquer ce qui s’était passé durant cette guerre, et nous avons cherché des vidéos, des animations, des choses sympas, pour qu’elles/ils apprennent de manière ludique.
Nous utilisons aussi ces outils en classe mais pas du tout dans les mêmes proportions. Je pense que nous allons être plus nombreuses/nombreux à utiliser des outils numériques en classe pour clôturer une séance, par exemple. Je pense que c’est plus marquant pour les élèves, cela les aide à mieux comprendre, à mieux retenir. Et je trouve cette façon d’enseigner très sympa !
Comment s’est passé le retour en classe le 11 mai ?
D’abord, les directrices/directeurs ont dû choisir les élèves qui allaient revenir en classe. Uniquement 15 d’entre elles/eux sur 180 ou 200. Cela a été un casse-tête pour elles/eux de faire ces choix… Il y en a beaucoup qui avaient besoin de revenir à cause de difficultés scolaires. Nous savons aussi qu’il y en a beaucoup qui ne sont pas heureuses/heureux à la maison. Par exemple, nous avons un élève qui dit avoir peur de son père, certainement parce qu’il est violent avec lui. Nous avons donc décidé de le faire revenir.
Et puis il y a eu toutes les mesures sanitaires qu’il fallait prendre et suivre. Nous ne savions pas comment on allait faire au début. Mais finalement, cela c’est bien passé globalement. J’appréhendais beaucoup, mais il n’y a pas eu de réels problèmes.
Vous avez donc repris les cours le 11 mai, comment cela s’est-il passé pour vous ?
Oui, j’ai repris les cours depuis le 11 mai, ce qui fait déjà un peu plus d’un mois, et cela s’est bien passé. Ce n’était vraiment pas facile pour les élèves parce qu’elles/ils étaient choqué·es par l’épidémie. Certain·es pleuraient parce qu’elles/ils ne comprenaient pas pourquoi il fallait suivre toutes ces règles de non-contact. Je pense que suivre des croix, des chemins, marcher les un·es derrière les autres, toute cette organisation mise en place, cela peut être dur pour un enfant.
Il fallait qu’elles/ils écartent leurs bras pour garder leurs distances avec leurs copines/copains. Il fallait aussi qu’elles/ils se lavent les mains 50 fois par jour. Les pauvres ! (rires)
Donc oui, certain·es ont pleuré lors de leurs premiers jours à l’école. Je pense que moi aussi, si j’avais été gamine à cette époque là, dans ces conditions-là, je l’aurais très mal vécu. En plus, elles/ils n’étaient pas forcément avec leurs copines/copains. Par classe, il y avait 15 élèves qui n’étaient pas forcément ami·es. Tous les niveaux étaient rassemblés : CP, CE1, CE2, CM1, CM2…
Ce qui n’est pas facile pour nous, en ce moment, c’est que nous n’enseignons pas vraiment. Nous faisons des études dirigées parce que chaque enfant arrive avec les devoirs demandés par son enseignant·e. Et de ce fait, nous sommes là juste pour expliquer ce qu’elles/ils n’ont pas compris. Donc nous essayons de faire vite pour arriver à suivre chaque élève. Nous jonglons avec tous les niveaux.
Moi, je n’ai eu que deux élèves de mes classes habituelles, mais depuis la semaine dernière, nous avons deux groupes. Le nombre d’élèves a été doublé, donc 30 élèves séparé·es en deux groupes.
Pensez-vous que le niveau de certain·es élèves a beaucoup baissé ?
Les élèves performant·es, qui sont suivi·es en général par leurs parents depuis toujours, l’ont été encore plus avec le confinement. Elles/ils ont des adultes disponibles rien que pour elles/eux et ont donc encore plus avancé.
Et puis il y en a d’autres qui déjà n’étaient pas bien suivi·es, n’avaient pas de bons résultats et étaient perdu·es. Elles/ils se retrouvent encore plus en difficulté. Nous en avons un qui, par exemple, ne sait plus du tout faire de simples multiplications basiques. Il a fallu revoir tout avec lui.
Cela va jouer sur leur avenir finalement… C’est possible. Quand tu décroches pendant plusieurs mois, je ne sais pas si c’est possible de rattraper. Les inégalités se sont creusées.
Le retour de tou·tes les élèves en classe le 22 juin vous fait-il peur ?
Je suis assez inquiète pour la rentrée prochaine. Cela va être très compliqué pour certain·es. Je pense qu’au premier trimestre, nous allons devoir faire beaucoup de révisions.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
Le prénom de la jeune professeure a été modifié.